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Qui êtes vous et quel est votre rôle dans l'industrie du numérique ?
Pour faire simple, je travaille à la mise en place globale/mondiale d'offres de services concernant les nouvelles technologies liées au Cloud. Je suis spécialisé dans l’infrastructure sécurisée et travaille dans toutes les industries, mais j’ai une expertise particulière dans celle de la Défense et du Renseignement.
Permettez-moi deux mises au point avant de commencer. D'abord, je ne représente pas mon entreprise dans les propos qui suivront. Ensuite, si l’emploi que j'occupe pourrait suffire à me considérer comme biaisé, j’encourage les lectrices et lecteurs à regarder en premier lieu mes expériences professionnelles qui me donnent, je le crois, une vision assez large des sujets qui touchent le numérique.
Quel est votre rapport personnel à la sécurité et à la souveraineté numérique ? Quelles seraient les pratiques que vous conseilleriez à quelqu’un qui connaît peu le sujet mais souhaite éviter de laisser s’envoler ses données aux quatre vents ?
À partir du moment où on a quelque échange à travers une médium numérique, on a déjà exposé ses données. Entre ma voix et votre oreille, de nombreux éléments sont à prendre en compte pour considérer la sécurité de ces données. Même en retirant les moyens numériques, la question de sécurité reste entière : une conversation à l’extérieure pourrait tout à fait être entendue ou écoutée par un voisin. Celle tenue dans un appartement privé alors que l’Alexa, le Google Home ou le Windows Cortona sont ouverts ne garantissent pas non plus une confidentialité totale. « Les murs ont des oreilles », et c'est d'autant plus vrai dans le monde numérique actuel. Ceci étant dit, cela ne veut pas dire qu'on nous espionne forcément de manière malicieuse.
Il me semble essentiel de prendre en compte son environnement et donc des données qu'on échange dans cet environnement et se poser la question de : « quelle donnée, où, comment, avec qui et pourquoi ? » Si vous prenez une photo du plat de spaghetti partagé hier avec des amis, ça n’est pas forcément un problème, mais la question que vous devez vous poser - et qui rejoint les réseaux sociaux - est : « quelle est votre intention par rapport à ces données que vous partagez ? » Je pense que les trois quarts du temps les gens utilisent les réseaux sociaux car ils veulent se "marketer". C’est de l'égocentrisme, du narcissisme, contre lequel je n’ai rien, mais dont il faut accepter les conséquences. Il ne faut pas accuser Instagram de prendre des données qu’on partage, parce qu’on cherche un miroir que l’on souhaite présenter à tous ! À titre personnel, je n'utilise pas Facebook, partant du principe que je garderai ou créerai autrement un lien avec qui je souhaite. Avec mon enfant, qui possède sans doute plus d'outils électroniques que moi, - par ma faute puisque ce sont les parents qui mettent les enfants sur les écrans voir qui leur mettent dans la main - je contrôle le contenu qu’il regarde, avec des sécurités parentales. C’est qui m'a permis de voir qu'il y a quelques semaines, il a tenté d’installer Tik Tok, dont j’ai refusé l’accès. Je lui ai expliqué pourquoi, et il a compris et n'a pas réessayé depuis. Conscience et vigilance pour mes proches et moi, voilà un peu mon mantra. Les informations ne manquent pas pour sécuriser ses données relativement facilement.
Il faut donc faire attention à ce qu'on dit ?
Oui, mais ça n'a rien à voir avec le numérique ! Si vous étiez dans mon salon, je ferais aussi attention aux propos que je tiens ! Dans le milieu de la Défense et du Renseignement, pour tenir des conversations secrètes, il ne suffit pas d'appuyer sur le bouton d'un téléphone chiffré, il faut surtout être sûr de sécuriser son environnement. Ce n’est pas une chose facile. Le meilleur moyen est donc ne pas dire n'importe quoi, n'importe où, à n'importe qui, n'importe comment. « Ne dis pas des choses privées en public ! », Cette loi générale, vos parents vous l’ont sans doute inculquée, même si elle se perd. Il n’y a pas besoin d'être agent du Mossad ou parano pour appliquer le sens commun. Avec le numérique, c'est la même chose : « ne dis pas des choses que tu ne devrais pas dire, parce qu'à partir du moment où c'est électronique, de toute façon quelqu'un a une copie. »
Qu’avez-vous pensé le jour où Trump a été banni de Twitter et Facebook ?
Que ce soit Trump ou n'importe qui, la vérité est que chacun utilise les réseaux sociaux pour son propre bénéfice. En cliquant sur le Yes I agree, on signe un contrat - qu'on ne lit pas forcément. Les réseaux sociaux ne sont pas des services publics, ce sont des entreprises privées. Donc elles ont la légitimité pour décider qui entre, ou sort, à leur convenance ! Vous venez chez moi, je vous laisse entrer, mais aussi vite, je peux vous faire sortir si votre comportement me déplaît. Vous utilisez mon service : vous n'êtes pas content, vous partez ; et moi je ne suis pas content avec ce que vous faites, je vous vire ! Voilà ce qui s'est passé avec Donald Trump ! À titre personnel, je pense qu'ils auraient dû lui couper le sifflet il y a bien longtemps, mais il y a ce grand sujet de la liberté d'expression qui fait toujours couler beaucoup d’encre. Pour en revenir plus largement aux réseaux sociaux, rien ne vous force à les utiliser de manière personnelle. Vous êtes le gestionnaire des données que vous acceptez de partager via ces plateformes. Si vous mettez des choses personnelles dessus, ne vous étonnez pas qu'on les utilise ! Si vous me payez pour vous fournir un outil et que je ne vous le fournis pas et que tout d'un coup je vous le coupe, il y aura un problème. Mais si c'est gratuit, ce n'est pas la même chose ! Je vous rappelle la phrase de Google « Si c'est gratuit, c'est toi le produit ». Si vous n'êtes pas content de cela, vous avez encore la possibilité de créer l’alternative, espérons pour encore quelques années.
Quelle est votre définition de l’identité numérique, comment se poser les questions du : « quelles données, à qui, avec qui, comment, quand, où » ?
Le récent débat public en France me semble très révélateur de l’ignorance coupable dans laquelle baigne un grand nombre de politiques sur le plan du numérique. En tête, le Parti socialiste. Deux concepts dans leur discours me paraissent nous mener droit vers le fascisme, sans qu’ils s’en rendent compte ; un peu comme les Radicaux ont mis Pétain au pouvoir en 1940. L’exemple le plus parlant est celui de Mila, jeune femme harcelée pour avoir tenu des propos très virulents à l’endroit de l’Islam. Pour répondre à ce sujet grave, on nous propose la levée de l'anonymat sur internet, en nous disant que « Ça évitera que des gens puissent dire tout et n'importe quoi, on pourra leur faire des procès etc… ». Outre le fait que le nombre de troll à poursuivre en justice va exploser, avec la réponse judiciaire que l’on imagine, l'anonymat sur internet est le point le plus fondamental à défendre concernant la souveraineté. En fait, tout dépend de l'identité ! Comme George Bataille, je considère que, si je veux protéger mes données, il faut les rendre anonymes. En utilisant un réseau social, Mila utilise une plate-forme ouverte dans la mesure où n’importe qui peut accéder au contenu, mais ce n'est pas un service public ! Les notion d'ouvert et de public sont très différentes l'une de l'autre et ne doivent surtout pas être confondues et mélangées. Là est le grand point. Il faut qu'elle puisse dire ce qu’elle veut, mais qu'elle accepte aussi que les autres ne vont pas accepter de ce qu'elle dit, et le lui dise. Est-ce que je défends le type qui va aller la harceler, la menacer ou passer à l’acte ? Bien évidemment que non ! Mais j’encourage chaque personne à se protéger, et surtout à éviter de dire tout et n’importe quoi.
En levant l’anonymat, on contraindrait l'internet ?
Absolument ! D’ailleurs, à ce propos, comment va-t-on faire pour le contraindre ? Quelle est l'autorité qui va donner le ton ? Qui va approuver, valider notre identité numérique ? Est-ce que c’est le gouvernement ? Non, certainement pas ! Aujourd'hui, les entités capables de faire cela sont les GAFAM. Lever l'anonymat dans l'espace numérique donnerait tout pouvoir, soit à un État autoritaire, soit à de grosses entreprises financières. Le soi-disant « contrôle pour le bien des personnes » que ces gens veulent nous faire entendre, revient, soit à créer petit à petit un état hyper autoritaire à la chinoise, soit à donner tout à Microsoft, Google ou autre. Ils se partageront le gâteau, au même titre que le monde de la finance est contrôlé par dix grosses banques dans le monde. À bien y réfléchir, je trouve ça assez réduit comme nombre d’entreprises pour gérer toutes les ressources financières de la planète. Comme je n’ai pas envie qu'on fasse pareil avec internet et l'espace numérique, le meilleur moyen est de laisser l'internet tel qu'il est, c'est à dire de laisser la possibilité à vous, moi ou n'importe qui, de mettre son serveur en ligne pour divulguer le cas échéant sa propagande. Ce discours qui infuse sera contre-productif, puisqu’on risque de se retrouver exactement avec ce qu'on veut éviter : donner le contrôle du contenu hébergé aux géants du numérique. En gros, leur déléguer le contrôle de la liberté d’expression.
Mais elles l’ont déjà, non ?
Oui, c'est vrai puisque c'est elle qu'il le mettent en place, mais elles n’ont pas le contrôle politique dessus, même si c’est en train de changer petit à petit. L’histoire de Trump a créé un précédent.
C’est-à-dire ?
Prenons un exemple fictif. Demain, vous souhaitez mettre un serveur en ligne pour dire que vous n’aimez pas les roux, il y a de grandes chances pour que Microsoft ou Google vous explose votre serveur dans la seconde. Vous allez me dire que ce n’est pas grave, parce que c'est répugnant de ne pas aimer les roux. Sur le principe je suis d’accord, mais où mettre la limite ? Il y a quelques années, le cas fictif dont je viens de vous parler aurait été inenvisageable
Il faut absolument laisser l'espace le plus ouvert possible, c'est le seul moyen de créer l'innovation dans le sens, créer des alternatives. À partir du moment où il y a une situation de monopole pour n'importe qui, en particulier pour les grosses entreprises, elles vont s'arranger entre elles pour se partager le marché. Le vrai problème est là : on donne des gages seulement à certaines entreprises en pensant qu’on va les contrôler, et vu qu'il y en a moins, elles vont contrôler le reste. Même si je n’ai aucun problème à ce qu’une entreprise privée soit mandatée par l’État pour accomplir telle ou telle tâche, dans ce cas précis, cela reviendrait à lui déléguer, non seulement le droit d’héberger du contenu publique et privé, mais aussi d’en contrôler le contenu. Aux vues de la masse de contenu et de l’impossibilité de définir les paramètres de la liberté d’expression, ce sera donc à ces entreprises-là de mettre en place les filtres, réduisant ainsi notre liberté d’expression et d’entreprise, aux conditions d’utilisations définies par celles-ci.
Les GAFAM seront donc les seules autorités.
Oui ! Mais aujourd’hui, cette autorité est encore vous ou moi ! On a trop tendance à accuser de tous les maux les GAFAM, mais je rappelle que je peux créer ma propre autorité de passeport numérique, en utilisant leur technologie ou pas. Elle, est valide pour moi déjà, puisque je l'ai créée, et peut l’être aussi pour vous si vous me faites confiance. Il se trouve que la plupart des gens font confiance à Microsoft avec Hotmail ou Outlook, ou à Google avec Gmail. Voilà des exemples de passeports numériques qu’on peut utiliser dans le monde numérique. Lever l'anonymat sur Internet veut dire qu'on va encore une fois sélectionner seulement certaines autorités numériques. Les GAFAM étant les groupes possédant la technologie nécessaire, ils seront nécessairement sélectionnés. L’autre alternative serait d’avoir cette autorité fournie par l’État, mais lui fait-ont forcément plus confiance ? Nous ne sommes pas obligés de considérer que l’État français vaut mieux qu’une entreprise américaine. Les faits, l’expérience empirique ne le prouvent pas forcément. Lever l’anonymat obligera chaque citoyen à s’identifier via un passeport numérique pour utiliser internet. Toutes vos données seraient alors immédiatement liées à vous. Il n’y aura plus de déplacement sur la toile sans être identifié et identifiable. Si on veut protéger la souveraineté numérique, la première chose à faire c'est de garantir la liberté numérique et avant tout de bien comprendre ce que c'est que l'identité numérique et comment elle est validée.
Pouvez-vous nous aider à comprendre justement ce qu'elle est, comment la valider, la déterminer et éventuellement la préserver ?
L'identité numérique, c'est l'identité tout court. Dans le monde physique elle permet de reconnaître un individu. C'est ce qui le caractérise. Sur nos passeports, figurent quelques données biométriques qui vont permettre cette identification. Parmi les 8 milliards d'individus sur la planète, un grand nombre ont plusieurs identités. Il se trouve que j’en ai deux, étant Français et Australien. L'identité, rien que dans le monde physique, est déjà compliquée à définir. C'est exactement la même chose sur le monde numérique. Plus seulement liée à un aspect territorial, ou national, notre identité va avant tout être donnée par différentes autorités : Google, Microsoft, etc. Nietzsche a écrit : « Grâce à la liberté des communications des groupes d’hommes de même nature pourront se réunir et fonder des communautés. Les Nations seront dépassées. » Aujourd’hui, les communautés s'étendent au-delà des frontières physiques avec WhatsApp, Tik Tok ou autre. Cela remet en jeu l’identité puisque mon identité devient aussi validée par ma communauté ! Valider l'appartenance à une Communauté veut dire valider l'identité de la personne. Reste à cette communauté de décider du moyen, et de l'autorité pour la valider, ce qui passe nécessairement par créer dans le monde numérique un système d'autorité. Parmi eux, il se trouve qu’il y a des systèmes commerciaux, comme les GAFAM.
Un dernier point : la souveraineté numérique se définit aussi contractuellement. À partir du moment où je fournis un outil numérique, en tant que professionnel, j’ai une obligation légale de protéger les données par exemple selon les critères de la General Data Protection Regulation. Cette réglementation européenne dit que tout outil informatique qui stocke des données des citoyens européens doit être sécurisé.
Le problème c’est qu’il y a seulement une obligation de résultats et pas de moyens dans cette législation…
En effet, ils ne disent pas « comment sécuriser », là est toute la difficulté ou l’aubaine. Mais ces lois, ces régulations en place, notre métier est obligé d'une manière ou d'une autre de les respecter, il en va de notre survie professionnelle et commerciale. En effet, on le voit aujourd’hui, tout cas d’exfiltration de données, légitime, légale ou non, devient une presque a une affaire d’État.
Prenons l’exemple de Microsoft, pour qui vous travaillez. Une entreprise si grosse ne peut-elle pas contourner ces réglementations ?
Non, c'est un contrat, c'est une loi. On ne peut pas contourner la loi. Enfin est-ce qu'elle se contourne ? Oui bien sûr. Est-ce que je peux passer au feu rouge ? Oui, mais je m'expose à la loi. Prenons un exemple fictif : admettons que je suis celui qui héberge le système français de carte Vitale. Je fais tout ce qu’il faut de mon côté pour que ce soit carré, mais si le système Vitale lui-même n'est pas bien construit, ou envoie des données à l'étranger qui ne devrait pas être envoyées, qu'y puis-je ? Je n'ai rien à voir avec ce système, puisque je ne l’ai pas construit, je l’héberge ! Il faut donc déterminer des zones de responsabilités très claires. Qui fait quoi ? Pour savoir qui est responsable de quoi, il est nécessaire qu’il y ait des lois. Ça se passe à ce niveau-là, en tant que citoyen, malheureusement, nous sommes impuissants. Sauf à prendre bien conscience de ces lois, de ce qu’elles veulent dire dans leur application et surtout, le cas échéant, de les faire évoluer à travers nos représentants parlementaires.
Mais vous savez très bien qu’il ne se passe jamais rien quand on affronte de telles puissances économiques.
Pas plus d'un côté que de l'autre ! S’il y a une défaillance chez Microsoft et qu’il ne se passe rien, c'est que de l'autre côté, politique, la personne en charge de signer le contrat n’a pas bien fait son travail pour le collectif. Qui signe ? Qui met en place les systèmes de régulation ? Il ne faut pas être dogmatique et il me semble trop facile de mettre l’entière responsabilité de nos maux sur le dos des GAFAM. Pour créer des produits tels que ceux que nous connaissons aujourd’hui et qui ont pris une telle ampleur pendant le Covid-19, ces entreprises et leur puissance me semblent un mal nécessaire, à considérer que ce soit réellement un mal.
On a tendance à retrouver la puissance publique américaine au sein du numérique. Les GAFAM sont-ils le fer de lance du renseignement américain ?
Premièrement, non, absolument pas ; et secundo, oui, sûrement. Mais ce n'est pas une question à laquelle on peut répondre par oui ou par non. Et puis il faudrait m’expliquer cet acronyme de GAFAM. C'est devenu un terme courant, mais il me parait absurde de mettre toutes ces entreprises ensemble. J'arrive à comprendre GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon, ndlr) mais rajouter le M de Microsoft m’interroge, parce que cette entreprise n’a pas du tout les mêmes activités que les GAFA, même si certaines se rejoignent, notamment dans le Cloud. Pour revenir à votre question, dans le contexte du renseignement, les GAFAM ne sont pas la pointe de diamant du renseignement américain parce que ce sont des entreprises privées. Est-ce qu'il y a eu des contrats, de l'argent donné par le gouvernement américain aux entreprises américaines ? Bien évidemment. Mais de quel argent parle-t-on ? Est-ce pour fournir un service ou pour espionner les citoyens ? Les GAFAM sont des entreprises privées, rien n’oblige une entreprise privée américaine, ou française d’ailleurs, à espionner ses consommateurs au bénéfice de l'État. Si c'était le cas, ces entreprises s’écrouleraient. Comment voulez-vous que l'Australie qui est un exemple que je connais bien, accepte de mettre les données de ses concitoyens dans les mains d’une puissance étrangère ? C'est la raison pour laquelle ils n’ont pas pris Huawei, parce que cette entreprise est détenue par le gouvernement chinois. À la place ils ont choisi les autres opérateurs qui ne sont pas détenus par des gouvernements étrangers, même s’ils sont américains.
Voilà pour le non, mais n’y a-t-il pas un oui ?
Les GAFAM sont la pointe de diamant du renseignement américain… mais aussi du renseignement français, allemand, chinois, nord-coréen ou russe ! Pourquoi ? Parce que ce sont les plus grosses entreprises numériques de la planète. Elles ont dans leur infrastructure accès aux données des 8 milliards d’individus qui, je le rappelle, ont sciemment accepté d’offrir ces données. Elles n’ont pas été les volées ! Ce que font les agents secrets, c'est l'aspect pointu du renseignement. C’est ce qui fait faire des films à Hollywood, parce que c'est fascinant. Mais ces « techniques humaines » très pointues sont utilisées dans des situations précises. La vérité du monde du renseignement, c’est que c’est une énorme machine à aspirer toutes les données possibles, sans but précis à l’origine. Les agences avalent tout et filtrent ensuite par du croisement de données en fonction des objectifs, donc des intérêts nationaux. La question n’est pas de savoir si on va nous voler nos données, elle est de savoir ce qu'on pourra en faire. Et c'est là qu'on bascule de l'autre côté.
Les GAFAM sont donc les sources principales des agences de renseignement dans le monde ?
Principales, je ne sais pas, mais elles représentent certainement des sources massives de donnée, qui sont significatives, puisque la vie des gens y est exposée ! Toutes les agences font ça, mais la puissance de frappe et de collecte n’est pas la même. Mais ce n’est pas parce que l’on stocke ses données chez Microsoft ou chez Amazon que la NSA a plus de facilité à aller les récupérer, ce n’est pas vrai.
Un Joe Biden contrarié et souhaitant obtenir plus de renseignements sur telle personne, pays ou organisation, ne serait pas écouté plus attentivement par Marc Zuckerberg qu’Emmanuel Macron ?
Non. Ce qui intéresse Zuckerberg, c'est le profit, donc il pourrait aller voir Joe Biden, Emmanuel Macron ou Naftali Bennett, pour leur dire : « vous voulez des infos ? Qu'est-ce que vous avez à me proposer en échange ? » Soyons clair, la NSA n’a pas attendu Facebook pour aller chercher des informations. Je respecte beaucoup Edward Snowden, mais il a aussi créé un problème en montrant - non la technologie, qui existait bien avant qu'il la montre - mais le fait qu’on pouvait utiliser cette technologie pour espionner de manière assez simple, puisque tout le monde est connecté. Ça, il fallait quand même être idiot pour ne pas l’envisager ! Au final, ce qu’il a surtout montré, c’est qu’il y avait des gens dans les services qui utilisaient la technologie de manière illégale.
Dans le fond, vous nous proposez de choisir entre un état hyper puissant et autoritaire et des entreprises privées gonflées d’argent ? N'y a-t-il pas une troisième voie ? Ne peut-on pas faire les choses d'une autre façon ?
Très cyniquement, bien sûr que nous sommes flouées et bien sûr qu'on n'a pas le choix. Mais que croyions-nous ? Personnellement, je pars toujours du principe qu'on m'écoute. D'un autre côté, peut être que ça me plaît d’être floué ? Pourquoi croyons-nous être floués fondamentalement ? Quant à choisir entre un État super puissant et autoritaire et des machines pleines d'argent, l'avantage des machines pleines d'argent, c'est que ça peut être la vôtre, pour commencer ! Ce système ouvert permet encore de créer l'alternative. Il y a beaucoup de choses qui ne nous plaisent pas et qu'on aimerait sûrement changer si nous avions les manettes. La réalité c'est qu’il n’y a jamais une personne avec toutes les manettes. Souvent, les gens qui se plaignent le plus sont en général aussi ceux qui essaient le moins. Je n'ai pas toutes les capacités de changer les choses qui me répugnent, mais je peux les acquérir ou m’associer avec des gens qui auraient ces capacités. C’est le but d'une Communauté : mettre des atouts ensemble, créer un réseau, des forces qui tendent vers un objectif commun. Voilà pourquoi je refuse ce modèle de la verticalité gouvernementale où on s'attend à ce que l'État fasse tout pour le bas. Je pense que c'est l'agrégation du bas vers le haut qui va marcher. L'avantage du système de l’internet actuel, c'est que des gens dits faibles, mais déterminés, peuvent toujours se mettre ensemble pour devenir plus fort. Et peut-être faire une différence.
À suivre…