Delenda est Ruthena putinesca

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Billet de blog 1 mars 2023

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Ce n'est pas à la Russie de tracer les lignes rouges

Traduction d'un billet de l'historien, éternel dissident, toujours de gauche, Alexandre Skobov pour le média d'opposition russe graniru.com. Alexandre Skobov a passé plusieurs années en asile psychiatrique sous Brejnev. 40 ans plus tard il combat toujours la dictature, poutinienne désormais. Et ce combat pour une Russie libre passe par la victoire de l'Ukraine.

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En Occident certains « experts » ne cessent de répéter qu’une victoire complète sur la Russie est impossible et d’en appeler au « gel » de la ligne de front actuelle pour pouvoir ensuite régler par les moyens de la diplomatie les « questions des territoires disputés ». De tels  appels se fondent soit sur une incompréhension totale, soit sur une volonté consciente d’estomper la véritable nature de l’agression russe contre l’Ukraine.
 

Il s’est formé en Russie un régime néo-totalitaire agressif appuyé sur une idéologie nazie ouvertement déclarée et  précisément articulée, fondée sur la thèse de la supériorité de la « civilisation russe »sur l’Occident (désormais qualifié d’anglo-saxon), sur la négation du droit et le culte de la violence. Les objectifs assignés à cette guerre par le Régime de Poutine sont la légitimation du « droit » de la Fédération de Russie à annexer les territoires des Etats voisins et du « droit » de définir leurs politiques intérieure et extérieure, et enfin la privation de la possibilité matérielle de résister à toute nouvelle agression de la part de la fédération de Russie. Dans l’esprit des dirigeants du Kremlin leurs voisins doivent rester sans défense en face d’eux.
 

Tous ces buts sont impérialistes et contraires au droit comme à la morale. Même la réalisation partielle des objectifs fixés par l’agresseur conduirait à la destruction de l’ordre légal international tel qu’il existe depuis 1945. Cela concerne en premier lieu la reconnaissance (de droit sinon de fait) de l’annexion des territoires occupés par l’agresseur.
 
Aucun système de sécurité collective ne peut se maintenir sans le respect inconditionnel du principe de l’interdiction catégorique de l’annexion. La transgression de ce principe conduit inexorablement à la guerre mondiale. Espérer que ces brèches dans le système de sécurité collective pourront être colmatées d’une manière ou d’une autre un peu plus tard relève d’une dangereuse illusion. Dans cette brèche va s’engouffrer une eau de plus en plus teintée de sang.


 Le régime de Poutine ne va pas renoncer à un seul de ses objectifs. Il s’est lui-même coupé le chemin des négociations sur les « territoires disputés » en déclarant leur annexion. Il comprend la guerre qu’il mène comme une guerre existentielle contre la civilisation occidentale et ses valeurs. Mais si l’agresseur considère sa guerre comme existentielle, elle devient telle de facto pour les victimes de l’agression, et même si elles rechignent à le reconnaître. S’obstiner dans cette dénégation ne peut que désarmer la victime face à son agresseur.
 

Les leaders du monde libre doivent eux-mêmes prendre conscience, reconnaître publiquement et convaincre leurs populations qu’il s’agit d’une guerre existentielle contre le régime de Poutine qui reprend exactement le chemin de l’Allemagne nazie et représente la même menace pour la civilisation. C’est une guerre pour décider de ce à quoi ressemblera l’ordre mondial. Reposera-t-il sur le droit, l’égalité et la liberté, ou sur la force brutale, cruelle et insolente ? Dans cette guerre il ne peut pas y avoir de compromis. Elle ne peut se terminer que par la défaite complète de l’une des parties.
 

La défaite totale de la Russie poutinienne signifie qu’au terme de la guerre elle n’aura réalisé aucun des buts qu’elle s’était fixés. Et en premier lieu qu’elle ne pourra pas conserver les territoires qu’elle a annexés. Il n’existe aucun moyen pour obliger le régime poutinien à quitter ces territoires volontairement. Les occupants ne peuvent être chassés que par la force des armes. Aujourd’hui cette tâche ne peut être réalisée d’un point de vue pratique qu’à l’aide d’une augmentation qualitative et quantitative rapide des livraisons de matériel militaire à l’Ukraine. Mais si ces livraisons devaient tarder alors l’étape suivante pourrait exiger l’implication directe des troupes de l’OTAN dans les opérations militaires.

Malgré toute les faiblesses manifestées par la machine de guerre russe, quelles que soient ses pertes en hommes et en moyens techniques, et le rythme effréné auquel elle consomme ses munitions, elle s’est encore montrée capable de regrouper ses forces et d’exercer une pression constante sur la défense ukrainienne. Et elle est visiblement en état de conserver cette capacité encore longtemps, en dépensant moins de ressources humaines que l’Ukraine. Cela pourrait s’avérer suffisant non seulement pour conserver les territoires occupés, mais encore pour en « grignoter » de nouveaux. Une guerre d’usure qui s’enlise profite avant tout au Kremlin. Il faut en finir avec cette guerre le plus vite possible, et pas en faisant la paix avec l’agresseur, mais en lui faisant subir une défaite décisive.

 Mais pour parvenir à cette défaite rapide de l’agresseur il est nécessaire dans un premier temp de lever les derniers tabous concernant la livraison à l’Ukraine de tous les types d’armes offensives lourdes, à commencer par les missiles longue portée et les avions. Deuxièmement il faut accélérer les livraisons. Les vagues promesses de livrer des armements à l’Ukraine dans une avenir indéterminé ne font pas peur au Kremlin et ne le forcent pas à « chercher le chemin de la paix ». Il faut une fois pour toutes renoncer à tout espoir en ce domaine. La machine de guerre poutinienne s’est emballée et a accumulé une immense force d’inertie. Elle ne peut déjà plus freiner ou changer de route. Elle ne peut plus que s’écraser sur l’obstacle et c’est ce qui doit lui arriver.
 
Le rythme des livraisons se heurte pour une bonne part actuellement au rythme de la formation des miltaires ukrainiens au maniement de ces techniques nouvelles et à leur entretien. Mais si la situation sur le front exige une accélération significative des livraisons de nouveaux systèmes d’armes et de leur intégration à la structure des Forces Armées Ukrainiennes, les pays occidentaux pourraient se retrouver confrontés à la nécessité d’envoyer sur le champ de bataille leur personnel technique. Ce qui signifie transgresser un nouveau tabou et passer au niveau suivant « d’engagement ».
 

Sans le moindre doute cela constitue une « escalade du conflit ». La transition pour l’Occident d’une « stratégie de dissuasion de l’agresseur » à une « stratégie de la victoire » se heurte à la peur persistante de cette même escalade. Ce sont justement ces tentatives « d’éviter l’escalade » qui permettent au dictateur russe de faire en permanence chanter le monde libre avec cette même escalade. Or tout devrait exactement se passer à l’inverse. C’est le Kremlin qui devrait se demander comment éviter l’escalade. C’est lui que devrait entendre : si vous continuer à bombarder les villes ukrainiennes, il va y avoir escalade. Si vous continuer à occuper des territoires saisis illégalement et à y conduire votre politique de dé-ukranisation forcée qui tombe sous la définition internationalement reconnue du génocide, il va y avoir escalade.
 
 Ce n’est pas au Kremlin de tracer des lignes rouges au monde libre. C’est le monde libre qui doit tracer des lignes rouges au Kremlin. Le monde libre doit lui-même définir et indiquer publiquement la ligne rouge au delà de laquelle il engagera le combat contre l’agresseur et luttera épaule contre épaule avec les Ukrainiens. Sans attendre quand le régime de Poutine attaquera le premier les pays de l’OTAN. Il faut commencer à parler de cela dès maintenant. Il est indispensable de préparer l’opinion publique à accepter le fait qu’un engagement direct des pays occidentaux dans une guerre avec la Russie est réellement probable.
 
Les voix des experts et des politiciens qui nous chuchotent que « Poutine ne permettra jamais que la Russie subisse une défaite", ce sont des voix de traitres. Ce sont les voix des ennemis déclarés ou cachés du monde libre. Normalement, quand on inflige une défaite à quelqu'un, on ne lui demande pas la permission.

Le texte original en russe : https://graniru.org/opinion/skobov/m.287229.html 

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