Vera Pekhteleva est morte à Kemerovo, Sibérie, le 14 janvier 2020. Elle était revenue rechercher quelques affaires chez son ancien petit ami. Alertés par les cris, les voisins ont appelé à plusieurs reprises la police, qui n'est jamais venue. Quand sept heures plus tard ils se sont décidés à enfoncer la porte, Vera était déjà morte. L'expertise médicale a établi qu'elle avait été torturée et violée avant d'être étranglée avec le cordon d'un fer à repasser. Son corps présentait 111 blessures.
Vladislas Kanious, l'assassin, a été condamné à 17 ans de prison qu'il devait purger dans une colonie pénitentiaire. La charge de viol n'a pas été retenue. Les enquêteurs et la justice russe ont considéré que si une femme se rend chez un homme, et surtout chez un ancien petit ami, elle consent à avoir des relations sexuelles avec lui. Les policiers qui ont refusé d'intervenir la nuit du crime n'ont pas été inquiétés.
Il y quelques mois la mère de Vera a appris que des photographies de l'assassin de sa fille circulent sur les réseaux sociaux. Il y pose fièrement en tenue de combat avec des camarades sur ce qui ne ne peut être que le front ukrainien. Elle envoie une demande d'explication à l'administration pénitentiaire qui met trois mois à lui répondre sans autres précisions que Vladislas Kanious a été transféré en avril 2023 à Rostov, la grande ville du sud de la Russie qui sert de base arrière à l'invasion de l'Ukraine.
L'assassin de Vera n'aura même pas purgé trois ans de sa peine. Si une balle ukrainienne ne fait pas justice, il pourra revenir libre, amnistié et en héros à Kemerovo : les criminels engagés dans l'armée privée Wagner ou dans l'armée régulière signent des contrats de six mois, après lesquels, s'ils sont encore vivants, ils sont amnistiés. Une loi récente punit même toute tentative de les "calomnier".
Des dizaines de milliers de prisonniers ont déjà signés de tels contrats, des dizaines de milliers ont déjà été tués, en particulier lors de la boucherie de Bakhmout. D'autres ont participé au putsch raté d'Evgueni Prigojine la semaine dernière. Des milliers sont déjà revenus à la vie civile, certains ont déjà eu le temps de commettre de nouveaux crimes. Quand ils meurent au front on appose une plaque commémorative à l'entrée de leur école...
Cette histoire est typiquement russe en ce qu'elle concentre tous les ingrédients du cauchemar que traverse actuellement la population russe : brutalisation des rapports humains, valorisation de la violence, dépénalisation des violences familiales, masculinité toxique, incompétence, passivité ou complicité de la police à l'égard des violences faites aux femmes, nihilisme juridique, arbitraire et corruption de toutes les administrations, armées privées, perte du monopole de l'Etat sur la violence "légitime", atomisation de la société, indifférence générale à la guerre comme aux violences commises par le voisin.
Ce cauchemar n'aura une petite chance de cesser qu'avec la défaite totale de la Russie et l'effondrement du régime poutinien. Et encore, la convalescence sera très longue...