La première appelle les habitants à participer aux élections législatives de Moscou les 6, 7 et 8 septembres. Ceux qui accepteront de prendre part à la farce électorale pourront gagner 10, 30 ou 50 roubles, ou des bons d'achats de 150 euros auprès de partenaires de la municipalité dans les domaines du tourisme, de la culture, du sport et de l'électroménager. Ceux qui voteront pour la première fois pourront gagner un prix supplémentaire de 10 euros. On se demande en France comment faire voter la jeunesse, Poutine a trouvé. Les seniors pourront aussi gagner un prix de 10 euros. Ce qui en dit long sur le niveau de vie des retraités moscovites, qui vivent pourtant deux fois mieux que les retraités russes. 10 euros pour prostituer ses droits civiques et sa conscience politique...
On remarquera le style naïf, infantile et lénifiant du graphisme, caractéristique du ton avec lequel le pouvoir s'adresse à la population : tout va bien, rien ne se passe, restez bien centrés sur la sphère privée, on s'occupe du reste. Et bien sûr on n'oublie pas à l'occasion de montrer une famille élargie et unie (on imagine le frétillement d'Emmanuel Todd), incarnation des "valeurs traditionnelles" auxquelles se limites l'idéologie officielle supposée mobiliser la population. Mais on voit bien que le seul mobile réel, c'est l'argent.

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La deuxième affiche est beaucoup plus inquiétante. Elle appelle les hommes qui vivent à Moscou à aller tuer et se faire tuer en Ukraine. Et les sommes proposées sont beaucoup plus conséquentes : 52000 euros la première année, soit 23000 euros à la signature, dont 4000 payés par le Ministère de La Défense et 19000 par la Ville de Moscou, puis une solde de 2100 euros par mois, à laquelle la Mairie de Moscou ajoute 500 euros par mois. On promet aussi un équipement et un armement "professionnels", et un "accompagnement" personnalisé au cours de toutes les étapes de la signature du contrat (un pistolet sur la tempe ou force petits verres de vodka, l'affiche ne le dit pas). Le criminel de guerre de gauche tient un drone (iranien ?) dans ses bras, histoire de faire croire qu'on ne sera pas en première ligne et que tout se passera à distance. Celui de droite est effectivement équipé de manière très impressionnante et ne ressemble en rien aux représentants de l'armée clochardisée que montrent les vraies images de la guerre.
Pour mieux comprendre ces chiffres, je rappelle que le salaire moyen à Moscou est de 880 euros. Mais malgré ces chiffres astronomiques il n'y a pas foule dans les centres de recrutement. Il n'y a même presque personne. Alors qu'on aurait pu penser que l'invasion du territoire russe du côté de Koursk aurait produit un électrochoc patriotique, et que les jeunes russes se seraient bousculés pour s'engager volontairement et gratuitement, tout Moscou continue à s'amuser, à consommer et à profiter de l'été indien comme si de rien n'était, comptant sur les plus pauvres des régions périphériques pour aller se faire trouer la peau. Là encore, un seul et unique mobile pour toutes les actions de la population russe, l'argent. La surenchère des propositions s'explique par la fébrilité du régime : il faut gagner avant les incertitudes de l'élections américaines, les pertes quotidiennes sur le front de Donetsk sont très importantes et la perspective d'une mobilisation générale est pleine d'incertitudes pour le régime : la population russe reste apathique tant qu'on ne touche pas à ses intérêts, à sa tranquillité hédoniste, et que ce sont les enfants des autres qui se font tuer. On ne peut pas à la fois faire du soutien au régime et de la défense de la patrie une question d'argent et en appeler au sentiment national et au sens du devoir.

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Du nouveau : pour la première fois depuis le début de la guerre, en plus des campagnes d'affichage dans les entrées des immeubles et dans les vitrines des magasins, des dépliants sont distribués depuis deux jours par des personnes toutes habillées de vert kaki avec la mention "Deviens défenseur de la patrie" sur le tee-shirt et sur la casquette. Elles se contentent généralement de consulter leurs téléphones et sollicitent fort peu les passants. Il y en a une en permanence à l'entrée de la Mosquée de la rue Bolshaïa Tatarskaïa alors que je n'en ai pas vue à côté de la station de métro toute proche, ce qui en dit long sur le public ciblé par cette campagne. Le maire de Moscou veut bien remplir les quotas d'engagés volontaires exigés de chaque région, mais pas avec des moscovites "de souche"... Par ailleurs le manque d'énergie manifeste de ces agents recruteur comme le manque d'enthousiasme des recrutés potentiels témoignent une fois de plus des sentiments réels de la population à l'égard de "l'opération militaire spéciale"...