Aujourd’hui c’est mon anniversaire. En me réveillant ce matin j’ai plaisanté avec moi-même en me disant que dans la liste des lieux où j'ai fêté mon anniversaire il fallait que j'ajoute le mitard. Et ensuite, comme tous ceux qui ont atteint un certain âge (j'ai 47 ans aujourd'hui, je n'en reviens pas !), j'ai pensé à ce que j'ai réussi cette année et à ce que je dois faire la prochaine.
Je n’ai pas réussi grand chose et c’est le psychologue de notre prison qui l’a le mieux résumé il y a quelques jours. La procédure veut qu’avant de retourner au mitard on soit examiné par un toubib (vais-je tenir le coup ?) et un psychologue (ne vais-je pas me pendre ?). Et le psychologue de me déclarer après l’examen : c’est la 16ème fois qu’on vous colle au mitard, et vous continuez à plaisanter, votre moral est bien meilleur que celui des membres de notre commission. C’est vrai, mais le matin de son anniversaire il faut être honnête avec soi-même et je me suis posé la question : ai-je vraiment bon moral ou fais-je semblant ?
Ma réponse est que c’est la vérité. Je ne vais pas mentir, il est évident que j’aurais préféré ne pas me réveiller dans cette porcherie et déjeuner avec ma famille, me faire embrasser sur les joues par les enfants, défaire mes cadeaux et leur dire : wouah, c’est justement ce dont je rêvais. Mais la vie est ainsi faite que le progrès social et un avenir meilleur ne peuvent être atteints que si un certain nombre de personnes est prêt à payer le prix fort pour avoir le droit d’avoir ses propres convictions. Plus ces personnes sont nombreuses, plus faible est le prix à payer pour chacune. Et le jour viendra, j’en suis persuadé, quand dire la vérité et défendre ses droits sera en Russie quelque chose de tout à fait habituel et sans danger.
Ce jour n’est pas encore arrivé. Je ne vois pas ma situation comme un lourd fardeau ou un terrible carcan, mais comme un travail qu’il faut mener à terme. Dans tout travail il ya une part désagréable. Eh bien voilà la part désagréable du travail que j’ai choisi et que j’aime.
Ma résolution de l’année dernière était de ne pas céder à la déshumanisation, de ne pas me transformer en bête sauvage et agressive, parce que c’est le commencement de la fin. Et si j’y ai un peu réussi, c’est seulement grâce à votre soutien.
Comme tous les ans le jour de mon anniversaire je voudrais remercier tous ceux dont j’ai croisé la route dans cette vie. Les bons pour ce qu’ils m’ont aidé et continuent à m’aider, les mauvais pour ce que l’expérience de leur rencontre m’a au moins appris quelque chose. Et merci à ma famille d’être toujours avec moi.
Mais le plus grand merci et le plus grand salut je veux aujourd’hui les transmettre à tous les prisonniers politiques de Russie, de Biélorussie et d’ailleurs. La plupart d’entre eux souffre bien plus que moi. Je pense à eux sans cesse et leur ténacité m’inspire.
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