On lui reproche entre autres un article traduit sur Mediapart après le déclenchement de la guerre en Ukraine : https://blogs.mediapart.fr/russie-les-voix-de-la-dissidence-daujourdhui/blog/131122/russie-ils-voulaient-le-fascisme-ils-lont-eu .
On sait depuis longtemps que la dictature poutinienne s'enfonce toujours un peu plus dans la répression, mais on ne cesse de s'étonner des formes ubuesques que prennent ses tentatives pour lui donner des apparences juridiques.
Svetlana Kouldisheva, la procureur de ce nouveau procès de Moscou, Vychinski au petit pied, reproche d'abord à l'accusé, s'appuyant sur une analyse psychologique fantaisiste, une "hypertrophie du sentiment d'injustice" : on sait que ce sentiment est souvent évoqué comme une composante essentielle de la fameuse "âme russe", mais attention, à condition d'être mesuré. Le citoyen russe peut manifester son sentiment d'injustice à l'égard des victimes de l'impérialisme américain ou de la junte ukronazie qui règne à Kiev, mais ne doit pas s'intéresser aux inégalités sociales en Russie même ou aux exécutions extrajudiciaires en Tchétchénie, et moins encore aux victimes des bombardements russes en Ukraine, comme le fait ce vieux fou d'Oleg Orlov.
Sa folie se manifestant encore selon le même rapport psychiatrique par "absence totale d'instinct de conservation", qui est bien sûr le revers de l'hypertrophie du sentiment de justice. Un citoyen prudent doit savoir mettre son mouchoir sur le sentiment d'injustice quand celui-ci risque de le pousser à des propos inconsidérés ou des actes déplacés, comme ce piquet solitaire sur une place publique avec une pancarte disant "non à la guerre" auquel s'est livré fort imprudemment l'accusé.
Il aurait mieux fait de prendre exemple sur le président Poutine, qui n'a jamais été étouffé par un excès de sentiment d'injustice, surtout quand il s'agit de partager la rente pétrolière avec son peuple, et qui est au contraire célèbre désormais dans le monde entier pour son instinct de conservation bien développé et soigneusement cultivé au fond d'un bunker, au cours d'interminables quarantaines contre le covid ou au bout d'une très longue table qui le met à l'abri de toutes les mauvaises surprises. Ce n'est pas lui qui aurait l'inconscience de prendre des bains de foule ou de visiter des soldats sur le front comme le téméraire Zelensky.
En deux mots voilà donc à quoi doit ressembler aujourd'hui un bon citoyen de la Fédération de Russie, le nouvel homo putinescus qui a succédé à homo sovieticus et en représente le perfectionnement ultime : lâche et égoïste, comme son maître.
Un peu plus loin dans son réquisitoire l'inflexible Svetlana s'en prend à l'âge du défenseur des Droits de l'Homme : tout s'explique, les étranges troubles de la personnalité de l'accusé viendraient de son grand-âge, 70 ans... Le pacifisme, la défense de l'Etat de Droit sont comme l'hypertrophie du sentiment d'injustice les premiers symptômes de la démence sénile. Soit. Mais Svetlana fait preuve ici à son tour d'une dangereuse inhibition de son propre instinct de conservation en oubliant que l'accusé est de deux ans le cadet du président Poutine. A ce compte la volonté de construire un monde multipolaire et de lutter contre l'insolente hégémonie anglo-saxonne pourrait aussi passer pour une manifestation de gâtisme...
Enfin, pour preuve de la folie de l'accusé, finalement bien plus ancienne qu'un signe de sénilité, Madame le procureur invoque le fait qu'Oleg Orlov, encore tout jeune, avait, sous le régime communiste déjà, malgré tous les risques encourus, publiquement manifesté contre l'intervention russe en Afghanistan, puis en faveur du syndicat polonais Solidarnosc. Le mal était déjà bien installé dans l'esprit de l'incorrigible dissident.
On retiendra deux choses de cette dernière partie du réquisitoire : la première, que le régime, par la bouche de ses serviteurs, ne cache plus qu'il reprend à son compte tout le passif historique de l'Union Soviétique. La guerre en Afghanistan, c'est bien, comme l'invasion de l'Ukraine. Les syndicats indépendants, comme Solidarnosc en Pologne , c'est mal, et la dislocation du pacte de Varsovie devient à son tour, dans l'idéologie officielle du régime, comme la dislocation de l'URSS, "la plus grande catastrophe géopolitique du 20 ème siècle". Nostalgie, quand tu nous tient...
La seconde, que le socialisme tardif était beaucoup moins violent à l'égard de ses opposants que le poutinisme tardif : Oleg Orlov avait échappé au KGB dans les années 80, il n'a pas échappé au FSB. Brejnev était trop gentil, Poutine a retenu la leçon. Les dissidents ne passeront plus entre les gouttes. Ce que confirme les chiffres : il y plus de prisonniers politiques en Russie aujourd'hui que dans les dernières années de l'URSS.
Ce soir, au terme de ce procès qu'il a bien sûr perdu, Oleg Orlov a déclaré "Pour moi, le patriotisme, ce n'est pas d'abord la fierté pour son pays, mais la honte brûlante des crimes qui sont commis en son nom".