Il suffit d'un rien, chaque fois, chaque phrase, pour que la langue de Lagarce bascule dans le plus banal des quotidiens. Sans cesse l'auteur frôle la série B.
Mais cette langue, ce phrasé, cette délicate attention portée à l'alternance des points et des virgules, ce sens inné du retour à la ligne confèrent aux textes de Lagarce une majesté mystérieuse, une étrangeté sublime qui crée les tensions, et qui fait sens, au milieu des sens, derrière ou entre les mots qui sont dits. A ce propos, voir : http://www.mediapart.frhttp://blogs.mediapart.fr/blog/delphes/070908/je-suis-vivant-puisque-je-fais-semblant, fabuleuse mise en scène d'un texte sensible et juste de Lagarce, L'Apprentissage.
Mais dès que l'on essaie d'interpréter le texte, dès qu'on lui surimpose un sens, les mots retrouvent leur molle signification.
C'est fou ce que c'est agaçant de les voir minauder sur scène. J'avais pourtant réussi à échapper à Louis Page sur France 2 ce soir. Et je passe une heure dans un métro bondé, m'arrache de la meute des pauvres franciliens rentrant du labeur, pour acheter une place à 12 euros et assister à la plus grande déception théâtrale de ma courte vie.
L'écran placé derrière les comédiens a beau essayer de me montrer la face cachée des choses, l'autre côté du miroir, l'ensemble du spectacle n'est pour moi qu'une vague mascarade.
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On parle de cartes postales ? Ah, attends, je te les sors du tiroir. Tout de même, rien de tel qu'une bonne couche de réalisme. Au théâtre, il n'y a que ça de vrai...
Tiens ! Et si je fumais ? « Tu n'aimes pas ça ? » Oh, je n'aime pas cette phrase. On va dire qu'il parle de la clope, c'est plus fun de changer le texte, parce que c'est au moins la quatrième fois que Juste la fin du monde est montée en trois ans, les gens vont s'emmerder après.
« C'est étrange.
Je voulais être heureuse, et l'être avec toi. »
Je crois que je vais lire le journal pour dire cette phrase, ça lui donnera plus de poids.
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Mais qui suis-je pour critiquer l'équipe qui, des semaines durant, s'est attachée à affronter le texte de Lagarce (je serais curieuse de savoir comment) ? Ai-je le droit de remettre en cause un travail ? Ai-je le droit de quitter la salle, prise d'une envie brutale de hurler. Ma rage. Mon désarroi. Mon étonnement.
Désolée Gilles Lefeuvre.
Je crois que Lagarce ne vous a pas encore été révélé.
Ma présomption m'effraie. Je m'affole, je m'échauffe devant nos divergences de points de vue.
Me reste l'espoir qu'un jour, lorsque j'aurai recouvré mon sang-froid, nous puissions en débattre.
Juste la fin du monde, mise en scène de Gilles Lefeuvre, au Théâtre de l'Ouest Parisien (22, 23, 24 octobre) et à Perrigueux ensuite.