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Billet de blog 3 janvier 2012

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Gérard Noiret : L'un et le multiple

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                                                                                                                                              Mais où est Gérard Noiret ? " (Antoine Emaz)

                                                                                                                                                                                                                                                On retrouve Gérard Noiret  en tête de couverture et de page de garde. Désigné comme l’auteur d’un livre où d’autres voix que la sienne  ( ou  la sienne sous d’autres voix ) occupent l’espace du livre. Une mise en scène de paroles plurielles :   Christian Lachaud , Directeur d’une  collection (  Les Colosses de Memnon ),  fait paraître « une anthologie des poètes qui y étaient publiés », un « quatuor »  réduit bizarrement à trois poètes :  Guy Châtelain et ses  Poèmes tremblés , Viviane Ledéra et son Pour un soleil féminin , Pierre du Pontel et son ouvrage Atlandides ( dont il reprend le titre à Gérard Noiret et sans doute aussi une partie de ses vers !). Car, de temps en temps, ces personnages sortent de leurs cadres de fiction littéraire pour y rencontrer une espèce de réalité. Celle du poète et celle du lecteur.

Nous ne pouvons nous empêcher de faire référence ( alors que nous devrions nous taire, parce que nous y sommes évidemment attendus ) à Fernando Pessoa et ses hétéronymes  ( Alberto Caeiro, Ricardo Reis, Alvaro de Campos), poésie multilingue et multiforme, comme les marques d’une pluralité des voix à l’intérieur d’un même auteur, une intériorité démultipliée, fragments de vies et d’esthétiques différentes, ainsi qu’on le soulignait dans nos commentaires sur Pris dans les choses  de Gérard Noiret, aux « formes et dimensions multiples », « fresque hétéroclite, actualité en multiples tableaux ».

Chaque poète possède sa propre esthétique, telle en tout cas que nous la présente le responsable de la collection Lachaud, avec une ligne fondamentale chez les trois poètes : « car il faut être capable d’entrer dans l’intériorité d’esthétiques contradictoires », et « l’idée m’était venue de rassembler trois voix dissemblables réunies par leurs vibrations autour de la basse continue de mon attente ».

Guy Châtelain  et ses distiques où  « rendre à nouveau possible la plainte » et contrairement aux expériences d’ateliers de mise en voix d’un autre poète, G. Noiret, il préconise les vertus de « la lecture muette ».  Ses Poèmes tremblés déroulent en quatre distiques chacun les affres de la maladie, la séparation et « ces filles qui avalent le soleil froid de l’abandon », le crépuscule /  la chair, la pluie, l’absence de joie, « Il pleut sur bien plus qu’aujourd’hui / Partout  les mares nous revendiquent », pour s’exclamer enfin  « Ces cris plaintifs est-ce de moi ? ». Une poétique qui tire ressource d’une musique qu’on entend à peine,«   qui  tire des accords / Du bas de la guitare », le poète privilégiant l’écoute  du silence.

Avec Viviane Ledéra, le lecteur est  invité à prendre connaissance de considérations  sociales , le féminisme, à travers des portraits non conventionnels de femmes ( Pénélope, Evelyne, Vanessa …), le travail (l’équipe de nuit, Grandes surfaces …), essentiellement.  Le présentateur de l’anthologie lui accorde une esthétique que ne renierait pas G. Noiret, celle de la mise en voix et de son travail avec des comédiens qui « interprètent librement » car « le poème écrit pour la page doit mourir pour renaître dans l’écoute ». Scènes de genre « concentrées à l’extrême »,  l’œuvre de V. Ledéra est d’une tout autre facture que le poète précédent.

Quant à Pierre Dupontel, c’est François Boddaert qui a proposé de réunir  « ses tirages de luxe en un volume unique ». On admire la solidarité qui anime les personnages du livre et les concepteurs du livre !  « Pour entrer dans sa poétique, on doit avant tout prendre la mesure du rôle déterminant des majuscules  agrammaticales », une esthétique qui toucherait presque au maniérisme. Affectation de cynisme, procédés de la  citation en refrains, violence  mimée ou ressentie de ceux qui l’affrontent, « Comme s’ils avaient barre sur moi…Ils font irruption et m’accaparent Me réclament un dû  / illusoire Me repoussent de l’injure // Le poing sur la table ». Poésie du heurt et parfois du règlement d’on ne sait bien quels comptes, Dupontel, à la manière de Michaux,  est « requis par le ‘Grand Mystère’  ».

Ce livre à plusieurs voix n’est cependant pas le livre de Personne, même si l’auteur, soudain réapparu à travers ses créatures, s’était, un temps, dérobé à ce qu’il  est lui-même dans d’autres  soi-même. Son autoportrait. Même si  la fiction technique est connue, le mérite est d’ouvrir un regard multiple sur une expérience d’écriture et de pensée, laissant au lecteur le soin et le plaisir de se perdre, de se permettre de croire à l’existence de poètes-fantômes tout comme, dans le roman,  à celle des personnages. Et la poésie, comme « le désir pour la prière païenne des mûres ».

Bernard Demandre

 TEXTES

Guy Lachaud, le  quatrième du quatuor hétéronyme, est le directeur de la collection : Les colosses de Memnon. A ce titre, il définit sa politique éditoriale : « A  ceux qui me demandent quelle est la qualité première d’un directeur de collection, je réponds qu’il s’agit, à partir d’une bonne connaissance des enjeux de la littérature, de l’empathie. Car il faut être capable d’entrer dans l’intériorité d’esthétiques contradictoires. Car il faut percevoir le rythme et pas uniquement le signifiant oule signifié. Peut-être dois-je ici préciser que cette position me semble difficile à tenir si on raisonne en terme de poésie et non de poème. Alors que penser poésie suppose une réalité supérieure et induit des déclarations d’amour et de haine, penser poème permet une approche qui  gagne en perception des phénomènes langagiers ce qu’elle perd en hauteur métaphysique . »

(Un Quatuor, par Guy Lachaud)

Guy Châtelain, né en 1983, est professeur de philosophie à Nancy. Il écrit ses Poèmes tremblés (avec effets de complaisance). Il a cherché à « rendre de nouveau possible la plainte », en amplifiant ses caractères, de façon « à dévier le cours du pathos ».

Mes rêves les plus précieux

Naissent dans la contrainte

Sous la garde vigilante

D’une race métalloïde / Je m’enfuirai

Tes bras terminent les rails

Ton ventre la route luisante

Sur les frégates tant de fois

Le vent gonfle ton corsage

(Distiques de l’enfant hépatique)

Toutes les angoisses toutes se resserrent

Et opèrent dans le ciel

Leur jonction

Réduit à l’état de rongeur

On fuit l’ombre du

Grand duc affamé qui tournoie

On anticipe sur les bec

Ces  cris plaintifs est-ce de moi ?

(Distiques de la prémonition)

Viviane Ledéra est née en 1948. Elle fut longtemps assistante sociale dans la région lyonnaise. Elle substitue une poésie du politique à la poésie politique. Dans Pour un soleil féminin, elle précise ses intentions : «  Mes poèmes sont des scènes concentrées à l’extrême avec des traits qui échappent au compte rendu… ».

Elle chante portée par l’événement,

qu’il soit un  lapsus, un livre, un soleil, une licorne…

Elle danse, comme on prolonge, des impromptus.

Elle écrit au hasard même lorsqu’elle sait,

et peint avec confiance des couleurs

qui savent toujours pourquoi elle les utilise.

Habillée d’une robe à fleurs et de ses simples cheveux,

elle cultive aussi la faim

pour l’irruption de la menthe et du bruccio,

la soif pour le recours au rosé

le désir pour la prière païenne des mûres.

(Véronique B. )

Jeunes mecs autour d’une bière,

mutiques et anguleux comme si leur âme

avait quelque chose d’un bois tordu.

Avec des épouses le menton

sur  des poignets d’une autre planète,

cette   race de mâles peuple les villages,

construit  des charpentes,

remplit  des caddies  et vous indique le chemin

avec  des tournures révélatrices

d’une   intégration parfaite à nos mœurs.

Pourtant, que la chasse la reprenne et elle redevient

capable  de tout, notamment d’abattre

un  chien fidèle ayant perdu l’odorat.

(Près du flipper )

Pierre du Pontel est né en 1932. Ce médecin, traducteur des poètes latins, vit dans la région de Tours. Il est l’auteur d’Atlantides. Pour entrer dans sa poétique, on doit avant tout prendre la mesure du rôle déterminant des majuscules agrammaticales et les replacer dans un système rythmique qui inclut les décalages vis-à-vis de la marge et la frappe initiale, le dédoublement des voix, le coudage des vers…

Pourquoi m’ayant choisi M’ayant chéri M’abandonner

si loin de la rive

Pourquoi Vous détourner Avant terme au beau mi

lieu du courant

J’étais un déterreur de fourmis Un chanteur à langue

sèche Alors pourquoi

Me laisser partir A facies de tortue Paumes tournées

vers l’étoile polaire

(extrait de Pouvoir suprême )

Comme s’ils avaient barre sur moi parce qu’ils payent

leurs redevances Ou pas

Comme s’ils avaient barre sur moi parce que sont

accréditées leurs faiblesses

Ils font irruption et m’accaparent me réclament un dû

illusoire  Me repoussent de l’injure

Le poing sur la table

(Intendant )

Eléments de bibliographie

– Le commun des mortels (Poèmes - Actes Sud 1990),
– Chroniques d’inquiétude (Roman - Actes Sud 1994),
– Tags (Poème - Maurice Nadeau 1994),
– Toutes voix confondues (Poèmes- Maurice Nadeau 1998),
– Polyptyque de la dame à la glycine (Roman/poème Actes sud 2000),
– Pris dans les choses (Poèmes - Obsidiane 2003),
– Ouvrier le chant (Essai - JM Place 2004),
– Maélo (poème pour l’enfance - L’idée bleue 2006)
– Atlantides (heroïc poésie), BIPVAL Action Poétique, éditions, 2008

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