Agrandissement : Illustration 1
Toujours très attirée par la rencontre entre les différents langages artistiques, H. Sanguinetti travaille à ce qu’elle aime appeler "du poème", une langue visuelle et sonore, langue du mouvement et du devenir, chargée de tout un peuple et de ses voix.
Et voici la chanson
d’Hélène Sanguinetti
Editions de l’Amandier 2012 « Qui parle vraiment à la fin ? »
(Et voici la chanson)
Ce à quoi nous invite le dernier livre d’Hélène Sanguinetti, c’est à un ensemble de textes polyphoniques et polygraphiques , dans des situations multiples, des bribes de récits pouvant aller jusqu’à des rencontres de faits divers, parfois même des coupures de presse, désignant ainsi la variété d’un monde à travers l’œil espiègle d’un auteur toujours à l’affût.
Le texte ( les textes ) ici est un objet tangible et absolument matériel , en son abord le plus visible : les différences de graphies permettant une lecture éclatée à l’instar de tous les menus événements, « Petites mains d’une danseuse et son fiancé / chocolatier… » qui s’y déroulent et définissant, de manière spécifique , des ensembles textuels relevant du récit, de l’anecdote, de grands passages lyriques, du commentaire d’un narrateur et que l’on rencontre dans les parties principales du livre : Joug / Joui / Apparition, y compris l’insertion en bas de page de notes explicatives ou fonctionnant comme relanceurs de textes. Ce qui témoigne d’un humour jamais pris en défaut . Textes polymorphes à la fois comme lieux d’une parole dansante où les objets du monde – terre, herbe, barbe, poils, ongles, papillon, fleurs… - se manifestent dans leurs éclats changeants et surtout, peut-être, dans les manifestations de la joie.
Il y a comme une fête des mots dans ces bruits de bouche – et n’est-ce pas là le lieu même de la poésie ou, pour reprendre le mot de J.P. Verheggen, un opéra-bouche ? - , dans des onomatopées et glossolalies qui appellent une dimension plus cocasse ou des références à la bande dessinée : BOUM BOUM, BING ! BING ! BING !, PFFFUUUIIITT, VROOOMMMM !, OUF !, « mouches belles, si Belle bouche / de carte postale et brillants … ». Fêtes de l’œil et de l’oreille, en ces synesthésies profondes, témoignant d’un aspect récurrent du texte : la Faim et la Joie : « ai faim de feu / ai faim / de jour / brillant / ai faim d’écarlate faim / de-mule-écarlate- / faim / qui tire / ai faim / de Joie …. » , « …Soupi Soupi enroulé à genoux, je parle … » jusqu’à des sortes de bouffées oniriques « robe de danse une robe de cheval qui gonflait sous ses bras », « imperceptible couteau attendait / un thorax, une dentelle … », c’est là aussi que commence la chanson, ce bonheur de vivre que le livre d’Hélène Sanguinetti exalte et qu’il est possible de rencontrer partout : « on entend les papillons et le paon il trompette / tant tan tan tan tantantantan / [..] c’est lucioles partout / qui godillent et torpillent et cymbalent / sans un son, les sourds font musiquer les arbres / fondent et l’âge de l’amour sort ses habits un à un ». Ce qui implique d’autres fêtes comme celles de la chair à l’instar de ces fiancés et leurs « …plus profonds / baisers devant porte et cheveux quel incendie ! ».
Cette allure d’un bonheur semble-t-il sans partage et mené tambour battant n’est autre d’abord qu’une bataille poétique entre deux personnages Joug et Joui donnant lieu à une guerre de mots et dans les mots, « Comment durerait JOUI / quand JOUG le guette / derrière la porte et tapi / s’apprête à l’étouffer dans le / torchon ? », bataille rappelant des drames bien réels de notre époque à l’image de ce « grand camp de l’Allemagne du Nord […] camp méconnu NEUENGAMME » et voici la chanson qui fait pleurer. Ces batailles, où les deux compères se disputent même le soleil, sont cependant tenues à distance par un narrateur toujours en embuscade ironique et ces indiens qui répandent leur sang deviennent assez vite des « indiens barboulillés pour le film ». La double appartenance à l’amour et à la guerre, dans cette Dispute où se confondent les cris de « Salut malheurs ! » et le rapprochement de javelots et baisers, donnant lieu à une espèce de Rage pour rappeler , en un autre trait onirique, ces « méchantes paroles sorties du / plancher ».
De la danse à la guerre il y a la même tension que de l’orage à la rage ou de l’Espoir à l’Espagne, pour signifier que cette chanson éclatée en voix multiples est d’abord et surtout une fête de la langue, pour en jouir et pour enjoindre, le principe même de la libellule : « Il n’y a pas lieu se lamenter / Il n’y a pas lieu se lamenter / Il y a une libellule / Il y a une libellule / Elle grésille / Elle grésille ».
Bernard Demandre
TEXTES
JOUI 1
Ça gogole écarlate, ça pouiffe, elle disait
ça pouiffe écarlate
fait le grangran grand déclin, vieux au Milieu
de très fines tresses ( rouges au bout ) du
tabac
roulé de garçon et fille accoutrés
des jongleurs de piscine, allez, debout
s’il y avait une musique, celle-là
pour fourmis descendant les marches
du donjon,
si tu l’oses, joue avec les dents d’avant
il y a du renard dans ses chaussettes, Elle a du lait là
où il faut Pourriture jolie, poupées jolies plumes,
Gardera ses beaux yeux bleus
et peau encore plus fine comme disait son Louis
Ne pouvant plus ---------------- ne respirant
plus
de nids d’hirondelles, la déesse n’a pas
répondu, fleurs d’amandier sont ses jupons
où brille […] (Et voici la chanson extraits)
JOUG 2
« et j’aimerais prendre connaissance
d’articles,
de récits
ou
de faits
concernant ce naufrage »
Balbutiantes tesselles balbutiantes jusqu’au plafond
toute la poussière dans le nez, éternue, tousse
Notre-Dame-de-toute- beauté ------------ pfffuuuiiiitt
J’ai des fleurs pour toi, du poisson et du miel
Ivrement
Comme ils mentent !
Ai-je peur as-tu pensé
J’ai pensé que tu avais peur
Neige neige neige
Quel sens donner à cela ?
Ce naufrage ces bombes
Faim comme Il avait
Le Goulu qu’il a toujours été d’elle. Goulu
IL ARRIVE SUR LE PALIER - IL EST DEVANT LA PORTE
ROULE DANS LES DRAPS
- Parle-moi encore de lui vraiment ou
après plus personne
Guerre Est Horrible
J’ai 28 ans – 3 enfants – 1 femme
(bouche de fraise ) je descends
déchiqueté des baisers sous la mer
il en reste
Bouche d’œillet plutôt, voilà qui bousille
Avenir, Bouses écrasées où vivent
mouches belles, si Belle Bouche de
carte postale et brillants
tombent sur ses doigts
et
pfffuuuuiiiit !
(et voici la chanson extraits)
1re apparition
Joui le bienvenu, le
vendeur de chiffons avec
mule, vocifère alentour,
sort l’argent gagné arrive
chez lui s’essuie les pieds au
paillasson --- Joug enfers
avec écharpe blanche
attrape les passants, étrangle
-> voici des morts, des
Foutus, ou des Jetés.
Fossé s’ouvre encore et
mange […]
Voici la Chanson
C’était le grand camp de l’Allemagne du Nord.
Camp maudit camp méconnu.
Il baigne dans un marais.
Il baigne dans un marais ce sont les premiers jours
de mars
Camp méconnu NEUENGAMME
Allons debout dehors il fait bon on attend
dans la baie dehors
--> […]
Elmenhorst, Thielbeck, Athen attendent
au bord Ohé ! Ohé ! là-dedans là-dedans
bonjour les rats et les Puants et bonjour pain
et eau sûrement Ohé ! le diable, est bon cornu
c’est bon pour manger Des rats et des ongles
Les féériques au fond de la cale et tapent sur la coque
des doigts du coton Faim Faim tapent dessus
Avait faim Perdait ses pantalons rêvait à rien
Kap Arkona attend au loin quel luxe Kap Arkona
Sur la Baltique dont il rêvait […]
Ohé ! Ohé ! là-dedans là-dedans adieu les rats
et les Puants et bonjour pain et eau sûrement ohé
c’est bon pour manger féériques déportés Charlot a
trop mangé trop mangé Goulu d’elle n’a pas mangé
Celle qu’il aime, oh, il veut les doigts de Celle,
c’est Madeleine, c’est quoi, des rats
ainsi S’en vont allons dormons c’est bon,
Moustachu Barbu debout ou boum boum dessous
Le Kap Arkona quel luxe Des flûtes des gorges
moussent oh piquantes sur les moustaches et sur
la langue piquent dorées bulles Dedans Les voyageurs font
une petite halte Elle a une épine dans son soulier
dans la baie vent du cristal ô Baltique que je rêvais
Dedans hop hop allons Dedans […]
JOUI 3
[…]
Le vent pousseur de neige ou sable c’est beau,
« toujours même glinglin » eh quoi glinglin, c’est
beau cest beau au sommet dessins de neige les
croûtes les langues et sur le sable là-bas des
voyageurs regardent entier le monde dans ses plis
et poudre sur les flancs qu’ils secouent
le léopard le daim
Fille se décide --> et maintenant assez, plus de
rechigne, en place et assez notre peuple, Ne pleure
ou très peu, du bord à peine du bord une larme une
feuille de printemps, dit-elle,
minuscule
Ainsi fleurs de chameaux attrapent comme ils peuvent
feuilles et mangent avec grelots le soleil de loin, arrachent
à la touffe, en cercle
Pour rester il faut dedans neige descendue Douce,
Assoupie, sable s’écoulant si orangé avec ses
mamelles vent au soir, mer toujours mer immense
incalculable profondeur Tout devient Peuple
dedans
Pour rester un pépiement dans le jardin
et du ciel trembler à la surface de l’arrosoir
passer là en entier, toujours comment, du poème !
Beaucoup d’erreurs, trop de, ventre ou, trop,
de poils, des mots en, trop, mais couvercle de
la jarre au bord de route se Soulève
Génie danse et chante, enlève les 2 bosses
printemps
Et il entre le printemps. […]
JOUI4
Voici la CHANSON
( para bailar a dos )
Je viens dans le jardin
flamenquer existar por existar
et tu dis d’entrer
s’il y a un verger
pas de pommier tu es là
Nous dansons comment flamenquons
Là-bas de l’autre côté autre côté ? qui est là ? là-bas
derrière l’Atlantique ou Pacifique avenir
fin duvet fin cœur enfin tout
Arrive prince ou princesse l’alcôve de verdure
déploie une hanche puis 2
sodas passent nous dansons au frais
au chaud et dis-le au couple majeur de la chanson
Qui est là ? et dévalent escaliers besoin de toi
de secret l’eurydice l’orphée qui dansent à reculons
moi je flamenque avec toi dans le jardin on aime
le soleil eux tango ils reculent Aboiements lointains
une forge et flamenco prend flamenca Un verger
puis la mer éclatante puis le vent et oiseaux et
dansons qui est là ? horizon, à redresser l’horizon
c’est un « r » de trop l’air de ta chanson son son son son
pour danser por existar por flamenquer
por toi et moi Renversés sur le gazon Un avion
trace un fil tendu jusqu’en Oubli filant ici
un Chien une Ourse un Quoi
Il n’y a pas lieu d’attendre
Il n’y a pas lieu d’attendre
Il y a une barque
Il y a une barque
Elle avance
Elle avance […]
UNE BIOGRAPHIE
Originaire de Marseille, Hélène Sanguinetti fait ses études de Lettres à l’université d’Aix-en-Provence où Raymond Jean est le premier à découvrir son écriture. Jeune professeur, elle est nommée dans une cité minière du nord-est de la France, où elle passe plusieurs années fondatrices. Elle publie pour la première fois dans la revue "Europe" sous le nom d’Hélène Sange. Sans jamais quitter le poème, mais répondant à l’urgence de transmettre au quotidien et ne se déplaisant pas dans le retrait, elle "retarde" la mise au jour de ses textes, et multiplie ses activités de création et de recherche : théâtre, poésie (qu’elle fait vivre à ses élèves en classe et en Atelier), pédagogie (elle devient chargée de mission pour la poésie au rectorat de Nancy-Metz où elle anime de nombreux stages pour les enseignants). De retour en Provence, des rencontres déterminantes la décident à faire lire son travail, et son premier livre, De la main gauche, exploratrice, paraît en 1999 dans la collection Poésie/Flammarion.
Depuis, elle "poursuit sa trajectoire poétique et, toujours très attirée par la rencontre entre les différents langages artistiques, elle travaille à ce qu’elle aime appeler "du poème", une langue visuelle et sonore, langue du mouvement et du devenir, chargée de tout un peuple et de ses voix.
Eléments de bibliographie
De la main gauche, exploratrice Flammarion, 1999
Dici, de ce berceau, Flammarion, 2003
Alparegho, pareil-à-rien, lAct Mem, fonds Comp’Act, 2005
Le Héros, Flammarion, 2008
Gora soli, avec des peintures d’Anna Baranek, l’attentive, 2008
Deux Noyaux Pour Commencer La Journée, avec une intervention de Stéphanie Ferrat, Remarque, 2009
Corinne Barbara a dansé, Editions du soir au matin, 2009
Toi, tu ne viellis plus, tu regardes la montagne, huit photographies, Texte-voix, Public-net, Coll. L’Inadvertance, 2009
(une pie), Texte-voix, Public-net, Coll. L’Inadvertance, 2009