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Billet de blog 12 mars 2013

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Hélène Sanguinetti " Et voici la chanson"

   Comme, en ce printemps incertain,  une réponse au Printemps des poètes  par cette contribution autour d’un livre d’Hélène Sanguinetti : Et voici la chanson.    Toujours très attirée par la rencontre entre les différents langages artistiques, H. Sanguinetti travaille à ce qu’elle aime appeler "du poème", une langue visuelle et sonore, langue du mouvement et du devenir, chargée de tout un peuple et de ses voix.

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Illustration 1
Hélène Sanguinetti © Photo Dan Warzy - janvier 2013
Comme, en ce printemps incertain,  une réponse au Printemps des poètes  par cette contribution autour d’un livre d’Hélène Sanguinetti : Et voici la chanson.  
  Toujours très attirée par la rencontre entre les différents langages artistiques, H. Sanguinetti travaille à ce qu’elle aime appeler "du poème", une langue visuelle et sonore, langue du mouvement et du devenir, chargée de tout un peuple et de ses voix.

Et voici la chanson

d’Hélène Sanguinetti

Editions de l’Amandier 2012       « Qui parle vraiment à la fin ? »

                                                   (Et voici la chanson)

  Ce à quoi nous invite le dernier livre d’Hélène Sanguinetti, c’est à  un ensemble de textes polyphoniques et polygraphiques , dans des situations multiples, des bribes de récits pouvant aller jusqu’à des rencontres de faits divers,  parfois même des coupures de presse, désignant ainsi la variété d’un monde  à travers l’œil espiègle d’un auteur toujours à l’affût.

    Le texte ( les textes ) ici est un objet tangible et absolument matériel , en son abord le plus visible : les différences de graphies permettant une lecture éclatée à l’instar de tous les menus événements, « Petites mains d’une danseuse  et son fiancé / chocolatier… »  qui s’y déroulent  et définissant, de manière spécifique , des ensembles textuels relevant du récit, de l’anecdote,  de grands passages lyriques, du commentaire d’un narrateur et que l’on rencontre dans les parties principales du livre : Joug / Joui / Apparition, y compris l’insertion en bas de page de notes explicatives ou fonctionnant comme relanceurs de textes.  Ce qui témoigne d’un humour jamais pris en défaut . Textes polymorphes à la fois comme lieux d’une parole dansante où les objets du monde – terre, herbe, barbe, poils, ongles, papillon, fleurs… -  se manifestent dans leurs éclats changeants et surtout, peut-être, dans les manifestations de la joie.

   Il y a comme une fête des mots dans ces bruits de bouche – et n’est-ce pas là le lieu même de la poésie ou, pour reprendre le mot de J.P. Verheggen, un opéra-bouche ? - , dans des onomatopées et glossolalies qui appellent une dimension plus cocasse ou des références à la bande dessinée :  BOUM BOUM, BING ! BING ! BING !,  PFFFUUUIIITT, VROOOMMMM !, OUF !, « mouches  belles, si Belle bouche  /  de carte postale et brillants … ». Fêtes de l’œil et de l’oreille, en ces synesthésies profondes, témoignant d’un aspect récurrent du texte : la Faim et la Joie : « ai faim de feu / ai faim / de jour / brillant / ai faim d’écarlate faim / de-mule-écarlate- / faim / qui tire / ai faim / de Joie …. » , « …Soupi Soupi enroulé à genoux, je parle … » jusqu’à des sortes de bouffées oniriques  « robe de danse une robe de cheval qui gonflait sous ses bras », « imperceptible couteau attendait / un thorax, une dentelle … », c’est là aussi que commence la chanson, ce bonheur de vivre que le livre d’Hélène Sanguinetti exalte et qu’il est possible de rencontrer partout : « on entend les papillons et le paon il trompette / tant tan tan tan tantantantan /  [..] c’est lucioles partout / qui godillent et torpillent et cymbalent  / sans un son, les sourds font musiquer les arbres / fondent et l’âge de l’amour sort ses habits un à un ». Ce qui implique d’autres fêtes comme celles de la chair à l’instar de ces fiancés et leurs « …plus profonds / baisers devant porte et cheveux quel incendie ! ».

     Cette allure d’un bonheur semble-t-il sans partage et mené tambour battant n’est autre d’abord qu’une bataille  poétique entre deux personnages Joug et Joui donnant lieu à une guerre de mots et dans les mots,  «  Comment durerait JOUI / quand JOUG le guette / derrière la porte et tapi / s’apprête à l’étouffer dans le / torchon ? »,  bataille  rappelant des drames bien réels de notre époque à l’image de ce « grand camp de l’Allemagne du Nord […]  camp méconnu NEUENGAMME » et voici la chanson qui fait pleurer. Ces batailles, où les deux compères se disputent même le soleil, sont cependant tenues à distance par  un narrateur toujours en embuscade ironique et ces indiens qui répandent leur sang deviennent assez vite des « indiens barboulillés pour le film ». La double appartenance à l’amour et à la guerre, dans cette Dispute où se confondent les cris de « Salut malheurs ! »  et le rapprochement de javelots et baisers, donnant lieu à une espèce de Rage  pour rappeler , en un autre trait onirique, ces « méchantes paroles sorties du / plancher ».

 De la danse à la guerre il  y a la même tension  que de l’orage à la rage ou de l’Espoir à l’Espagne, pour signifier que cette chanson éclatée en voix multiples est d’abord et surtout une fête de la langue, pour en jouir et pour enjoindre, le principe même de la libellule : « Il n’y a pas lieu se lamenter / Il n’y a pas lieu se lamenter / Il y a une libellule / Il y a une libellule / Elle grésille / Elle grésille ».

Bernard  Demandre

TEXTES

JOUI 1

Ça gogole écarlate, ça pouiffe, elle disait

ça pouiffe écarlate

fait le grangran grand déclin, vieux au Milieu

de très fines tresses ( rouges au bout ) du

tabac

roulé de garçon et fille accoutrés

des jongleurs de piscine, allez, debout

s’il y avait une musique, celle-là

pour fourmis descendant les marches

du donjon,

si tu l’oses, joue avec les dents d’avant

il y a du renard dans ses chaussettes, Elle a du lait là

où il faut Pourriture jolie, poupées jolies plumes,

Gardera ses beaux yeux bleus

et peau encore plus fine comme disait son Louis

Ne pouvant plus ---------------- ne respirant

plus

de nids d’hirondelles, la déesse n’a pas

répondu, fleurs d’amandier sont ses jupons

où brille  […]   (Et voici la chanson  extraits)

JOUG 2

«  et j’aimerais prendre connaissance

d’articles,

de récits

ou

de faits

concernant ce naufrage »

Balbutiantes tesselles balbutiantes jusqu’au plafond

toute la poussière dans le nez, éternue, tousse

Notre-Dame-de-toute- beauté ------------ pfffuuuiiiitt

J’ai des fleurs pour toi, du poisson et du miel

Ivrement

Comme ils mentent !

Ai-je peur as-tu pensé

J’ai pensé que tu avais peur

Neige  neige  neige

Quel sens donner à cela ?

Ce naufrage ces bombes

Faim comme Il avait

Le Goulu qu’il a toujours été d’elle. Goulu

IL  ARRIVE SUR LE PALIER  - IL EST DEVANT LA PORTE

ROULE DANS LES DRAPS

- Parle-moi encore de lui vraiment ou

après plus personne

Guerre  Est  Horrible

J’ai 28 ans – 3 enfants – 1 femme

(bouche de fraise ) je descends

déchiqueté des baisers sous la mer

il en reste

Bouche d’œillet plutôt, voilà qui bousille

Avenir, Bouses écrasées où vivent

mouches belles, si Belle Bouche      de

carte postale et brillants

tombent sur ses doigts

et

pfffuuuuiiiit !

(et voici la chanson  extraits)

1re  apparition

Joui   le   bienvenu,     le

vendeur de chiffons avec

mule,  vocifère alentour,

sort l’argent gagné arrive

chez lui s’essuie les pieds au

paillasson --- Joug enfers

avec    écharpe    blanche

attrape les passants, étrangle

->  voici des morts, des

Foutus, ou des Jetés.

Fossé s’ouvre encore et

mange […]

Voici la Chanson

C’était le grand camp de l’Allemagne du Nord.

Camp maudit camp méconnu.

Il baigne dans un marais.

Il baigne dans un marais ce sont les premiers jours

de mars

Camp méconnu NEUENGAMME

Allons debout dehors il fait bon on attend

dans la baie dehors

--> […]

Elmenhorst, Thielbeck, Athen attendent

au bord  Ohé ! Ohé ! là-dedans  là-dedans

bonjour les rats et les Puants et bonjour pain

et eau sûrement  Ohé ! le diable, est bon cornu

c’est bon pour manger Des rats et des ongles

Les féériques au fond de la cale et tapent sur la coque

des doigts du coton Faim  Faim  tapent dessus

Avait faim  Perdait ses pantalons  rêvait à rien

Kap  Arkona  attend au loin quel luxe  Kap  Arkona

Sur la Baltique dont il rêvait […]

Ohé !  Ohé ! là-dedans  là-dedans   adieu les rats

 et les Puants et bonjour pain et eau sûrement ohé

c’est bon pour manger féériques déportés  Charlot a

trop mangé  trop mangé Goulu d’elle n’a pas mangé

Celle qu’il aime, oh,  il veut les doigts de Celle,

c’est Madeleine, c’est quoi, des rats

ainsi S’en vont allons dormons c’est bon,

Moustachu  Barbu  debout ou  boum  boum  dessous

Le Kap Arkona quel luxe  Des flûtes  des gorges

moussent oh piquantes sur les moustaches et sur

la langue piquent dorées bulles  Dedans Les voyageurs font

une petite halte  Elle a une épine dans son soulier

dans la baie vent du cristal ô Baltique que je rêvais

Dedans  hop  hop  allons Dedans […]

JOUI 3

[…] 

Le vent pousseur de neige ou sable c’est beau,

« toujours même glinglin » eh quoi glinglin, c’est

beau cest beau au sommet dessins de neige les

croûtes  les langues et sur le sable là-bas des

voyageurs regardent entier le monde dans ses plis

et poudre sur les flancs qu’ils secouent

le léopard le daim

Fille se décide  --> et maintenant assez, plus de

rechigne, en place et assez notre peuple, Ne pleure

ou très peu, du bord à peine du bord une larme une

feuille de printemps, dit-elle,

minuscule

Ainsi fleurs de chameaux attrapent comme ils peuvent

feuilles et mangent avec grelots le soleil de loin, arrachent

à la touffe, en cercle

Pour rester il faut dedans neige descendue  Douce,

Assoupie, sable s’écoulant si orangé avec ses

mamelles  vent au soir, mer toujours mer immense

incalculable profondeur  Tout devient  Peuple

dedans

Pour rester un pépiement dans le jardin

et du ciel trembler à la surface de l’arrosoir

passer là en entier, toujours comment,  du poème !

Beaucoup d’erreurs, trop de, ventre ou, trop,

de poils, des mots en, trop, mais couvercle de

la jarre au bord de route se Soulève

Génie danse et chante, enlève les 2 bosses

                                                                    printemps

                                                                    Et il entre le printemps. […]

JOUI4

Voici la CHANSON

( para  bailar  a  dos )

Je viens dans le jardin

flamenquer existar por existar

et tu dis d’entrer

s’il y a un verger

pas de pommier tu es là

Nous dansons comment flamenquons

Là-bas de l’autre côté autre côté ?  qui est là ? là-bas

derrière l’Atlantique  ou Pacifique avenir

fin duvet fin cœur enfin tout

Arrive prince ou princesse l’alcôve de verdure

déploie  une hanche puis 2

sodas passent nous dansons au frais

au chaud et dis-le au couple majeur de la chanson

Qui est là ? et dévalent escaliers  besoin de toi

de secret l’eurydice l’orphée qui dansent à reculons

moi je flamenque  avec toi dans le jardin on aime

le soleil eux tango ils reculent  Aboiements lointains

une forge et flamenco prend flamenca  Un verger

puis la mer éclatante puis le vent et oiseaux et

dansons qui est là ? horizon, à redresser l’horizon

c’est un « r » de trop l’air de ta chanson son son son son

pour danser por existar por flamenquer

por  toi et moi  Renversés sur le gazon  Un avion

trace un fil tendu jusqu’en  Oubli filant ici

un Chien  une Ourse  un Quoi

Il n’y a pas lieu d’attendre

Il n’y a pas lieu d’attendre

Il y a une barque

Il y a une barque

Elle avance

Elle avance […]

UNE BIOGRAPHIE

Originaire de Marseille, Hélène Sanguinetti fait ses études de Lettres à l’université d’Aix-en-Provence où Raymond Jean est le premier à découvrir son écriture. Jeune professeur, elle est nommée dans une cité minière du nord-est de la France, où elle passe plusieurs années fondatrices. Elle publie pour la première fois dans la revue "Europe" sous le nom d’Hélène Sange. Sans jamais quitter le poème, mais répondant à l’urgence de transmettre au quotidien et ne se déplaisant  pas dans le retrait, elle "retarde" la mise au jour de ses textes, et  multiplie ses activités de création et de recherche : théâtre, poésie (qu’elle fait vivre à ses élèves en classe et en Atelier), pédagogie (elle devient chargée de mission pour la poésie au rectorat de Nancy-Metz où elle anime de nombreux stages pour les enseignants).  De retour en Provence, des rencontres déterminantes la décident à faire lire son travail, et son premier livre, De la main gauche, exploratrice, paraît en 1999 dans la collection Poésie/Flammarion.

Depuis, elle "poursuit sa trajectoire poétique et, toujours très attirée par la rencontre entre les différents langages artistiques, elle travaille à ce qu’elle aime appeler "du poème", une langue visuelle et sonore, langue du mouvement et du devenir, chargée de tout un peuple et de ses voix.

Eléments de bibliographie

De  la main gauche, exploratrice  Flammarion, 1999

Dici, de ce berceau,  Flammarion,  2003

Alparegho, pareil-à-rien, lAct  Mem,  fonds  Comp’Act, 2005

Le Héros, Flammarion, 2008

Gora soli, avec des peintures d’Anna Baranek, l’attentive, 2008

Deux Noyaux  Pour Commencer  La  Journée, avec une intervention de Stéphanie Ferrat, Remarque, 2009

Corinne  Barbara a dansé, Editions du soir au matin, 2009

Toi, tu ne viellis plus, tu regardes la montagne, huit photographies, Texte-voix, Public-net, Coll. L’Inadvertance, 2009

(une pie), Texte-voix, Public-net, Coll. L’Inadvertance, 2009

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