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Billet de blog 15 avril 2010

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Aphrodite ou l'énergie

 Cet ancien mythe occidental est toujours très vivace dans les représentations actuelles. Aphrodite (Vénus), déesse de l'amour est l'image même de l'énergie vitale : Eros. Sa naissance légendaire nous invite à considérer en elle, non une divinité de l'amour tendre ou partagé, mais comme une violence qui préside tout aussi bien à la rencontre tumultueuse des amants qu'aux explosions catastrophiques au sein de l'univers.

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Cet ancien mythe occidental est toujours très vivace dans les représentations actuelles. Aphrodite (Vénus), déesse de l'amour est l'image même de l'énergie vitale : Eros. Sa naissance légendaire nous invite à considérer en elle, non une divinité de l'amour tendre ou partagé, mais comme une violence qui préside tout aussi bien à la rencontre tumultueuse des amants qu'aux explosions catastrophiques au sein de l'univers. Issue toute sanglante du sperme de son père Ouranos - le dieu primitif du ciel émasculé - fruit de la vie s'il en est, elle ne coïncide pas tout à fait avec les représentations édulcorées ou charmantes auxquelles nous ont habitués, par exemple, des artistes de la Renaissance. Cette puissance-là de l'Eros n'est guère ailleurs mieux décrite que dans le prologue du De natura rerum de Lucrèce.

Le livre de poèmes de Patrick Beurard-Valdoye autour d'Aphrodite réactualise le mythe en insistant sur les différents attributs dont il dispose : grotte, caverne, coquilles, bouche,oreilles et qui nous révèlent tout ce qui est ici fantasmé. Le poème lui-même est ce corps d'échos, comme lieu de sensualité et de résonances, conques du sens et du désir. A l'instar de la poésie contemporaine - en France du moins - P. Beurard Valdoye tente de réunir des éclats de sens, qu'on croirait d'abord disparates mais se retrouvent très loin dans des chambres sonores.

extrait du "Messager d'Aphrodite"

c'est alors qu'il en vient à écrire

c'est-à-dire qu'elle l'entend

le lisant finalement

et la prosodie prend c'est inouï

met le corps en branle

les mots jamais esseulés dont elle est

inondée la peaufinent

ils revêtent les siens

cependant qu'ils la dénudent

pénétrant par les pores

l'emportant par vagues

l'incorporant via

les cordes vocales de la vulve

Aphrodite chante mieux

son diaphragme sous le feu du bas

assoiffé de la gorge aux ovaires

a la hanche inversé en chant

la coquille a entrouvert l'enroulé.

Le Messager d'Aphrodite

Patrick Beurard-Valdoye

Obsidiane -2009

Le mot comme appel d'autres mots absents, objets du désir. En dix-sept poèmes, Patrick Beurard-Valdoye poursuit ce désir, celui de la déesse et celui d'un corps de femme, mêlant événements érotiques et traces mythologiques, pour en faire un échange de résonances. Le poème - le livre - est cette chambre d'échos.

La naissance d'Aphrodite, dans le premier poème comme il se doit, semble évoquer des représentations picturales, dans une atmophère à la fois hiératique, onirique et érotique et « Aphrodite qui se croyait sirène / se découvre savoureuse ». Les mots et leurs rapports entre eux se chargent d'une sensualité extrême - dans notre bouche et dans nos oreilles - entourant les textes d'un halo érotisé, « sous le vent jouissant / sa tête à frôle d'ondes ». Ou puisant dans certains aspects du mythe, des métaphores récurrentes et productrices comme l'écume, par exemple, - Aphrodite née des flots l'est tout autant du sperme d'Ouranos - ou encore la caverne intime, la coquille ... Le messager, narrateur, personnage voyeur et poète est précisément celui qui, par sa parole, va donner corps aux mots, « et la prosodie prend c'est inouï / met le corps en branle » ou comme cette course-poursuite, « course nue à travers un couloir » (autres traces sans doute dans l'imaginaire du poète).

Tout est tendu par la visée que constitue le sexe ouvert, « fond sonore caverneux » , « par le chambranle / que pénètre la pénombre » et toutes les résonances qu'on voudra dans le paradigme des mots et de leurs corps sonores. Le messager veut atteindre ce corps, « il faudrait que la parole l'enveloppe et la nappe », ne serait-ce qu'en détails anatomiques infimes - et intimes - associés à des images de possession, jusqu'à cette source qui ne cesse d'affleurer « lèvres en la courbe des reins / que pouces virils cernent ». C'est autrement dire que l'amour fait à Aphrodite - et rendu - est une tentative d'écriture du désir en ce qu'il laisse entendre d'échos dans la « chambre acoustique » du poème. Mots s'échangeant les uns les autres en appels sémantiques, manifestés ou cachés, en signaux sonores dans le travail du texte. Si bien que cette langue « retourné(e) », « en raies pénétrables » et « bouche contre bouche » vient à dessiner progressivement le langage de la passion amoureuse et celui du rêve où surgissent des « mots aphrodisés » comme ces « volvocales » évoquant l'origine - la naissance - des sens -et du sens.

Patrick Beurard-Valdoye provoque ici l'orgasme des mots, la « jambe dans la gambe en accord étendues », « en une béance énorme de sens / entre bribes de paroles ». En même temps, le chant du poète et celui de la déesse-femme, « Aphrodite est le messager / et lui le scripte de ses dictées », sans pour autant que le poète s'y précipite - Orphée, lui, n'a su résister - mais « doit différer /son envie de tenir langue / entre jambes / de sentir l'eau venir à la bouche ». C'est peu de dire qu'il y aurait ici des fantasmes autour d'un corps rêvé et construit par la langue poétique, le poème est lui-même ce corps des sens métaphorisé par d'autres corps d'échos : grotte, caverne, coquillage, bouche, vulve etc. afin peut-être - et P BV y parvient à maintes reprises - de toucher à cette eau née d'avant la langue maternelle mais aussi « avant-goût d'un nouveau langage ».

De l'acte d'écrire - le texte - à l'acte sexuel - le sexe -résumé dans une miniature « Aphrodite à table au verbe affairée / = réfléchie = / durant que lui génufléchi / remonte son adoux de la main / avide de sève / et de trois gouttes d'urine ». Et, dans ce théâtre fantasmé viennent s'insérer et s'y prendre, comme naturellement dans cette caverne signifiante, « les volutes de parole / de texte et sexe étaient savoureuses / le mélange d'eux évident ».

Il reste que pour finir « Aphrodite coquille refermée / vulve bée / dans le même temps annonce / la fin du poème ». En cette difficulté de continuer ou de renouer car « les mots font écran » et barrent la route de la jouissance, sinon au risque d'une superficialité formelle. Cependant le livre peut se poursuivre ou plutôt se reprendre, enrichi dès lors de rencontres multiples où d'autres événements refont sens , de la courbure d'un dos « à la cambrure de la baie » qui appelle aussi ce qui bée dans ce corps et dans ce texte.

La poésie, comme possible définition et sans doute improbable, est ce « flot de questions / un flux phréatique / délivrant des / pertes de la languE », et le poète un dormeur rompu par un « large éveil onirique »

Bernard Demandre

parmi ses ouvrages les plus récents :

Le Messager d'Aphrodite, Obsidiane, 2009.

Notre étrange prison, L'Arbre à paroles (Belgique), 2007.

Théorie des noms, Éditions Textuel, L'oeil du poète, 2006.

Le Narré des îles Schwitters, Al Dante, 2006. Réédition en 2007.

L'Europe en capsaille, Al Dante, 2006.

Itinerrance : sites-cités-citains, Obsidiane, 2005.

La Fugue inachevée, Al Dante, 2004.


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