Gens de guerre
de
Patrick Wateau
Là
le peu d’air
à
plusieurs vies
d’intervalle
Il y a des moments dans l’écriture, à l’ouverture d’un livre, quand celle-ci se met en chemin et trace des possibles, où le constat se révèle implacable, la langue se ferme aux tentations du sens ( à ses tentatives ), “ le possible continue sans voir ” . C’est à cet assaut de nuit que se heurte Patrick Wateau et qu’il met en scène. Espaces impénétrables dont il essaie de déserrer l’étau. Comme si le mouvement du poème s’arrêtait et sa mobilité se rigidifiait, où la langue opposerait sa densité, car “ le lieu ne bouge plus / Sa racine est dans l’os ”.
Il y a ici une difficulté d’introduire un écart ou d’insinuer une respiration quand la langue du poème constamment revient sur elle-même par effet de miroir, où, dans bon nombre de textes, les mots se retournent sur eux-mêmes, dans une constante grammaire de la tautologie, où les renvois du même au même définissent un processus en même temps qu’une interdiction de pénétrer plus avant. Des espaces immobiles qui arrêtent la langue dans son élan et semblent ouvrir des portes immobiles. Il s’agit ici d’une “physique” très particulière où ce qui se ressemble se répond en miroir et ne laisse plus de place au divers autre. C’est dans cette espèce d’aporie que Patrick Wateau construit des textes très tendus. L’identique s’affronte à l’identique, “ un trou rentre dans l’autre trou”.
À l’instar de cette langue torturée, parfois des traces de sens peuvent apparaître comme une rémission de la douleur, grâce à la proximité imparfaite des mots, autant d’yeux “pour les orties “, et y ouvrir “ comme une ombre de créance “, laissant passer “ le bruit de guerre “, terriblement présent, lieux de torture ou de ravage des corps, “ fers coulés / yeux coulés “, l’aboi des chiens, et, par ces cris, retrouver la possibilité d’accéder à une symétrie des sons, qui est une autre figure de l’étau. Ou bien, dans l’évocation par lambeaux de corps désertés de leurs chairs laissant de nouveau apparaître un infrangible squelette où parfois pourtant “ dans le dedans / un point du cercle manque “, inscrivant une possibilité, de desserrer le serré dans l’incertitude de l’interstice, ce peu d’espace entre chair et os, lorsque “ la neige tombe au-dessous / de la neige “ et que cependant , “ Une flamme cherche le feu “, comme dans ces mots apparentés par quelque infime détail “ Zinc et Acide / Asile et Zinc “, ou que “le bruit d’une feuille / tombe / sur une autre feuille “. Et voici que dans cette “boiterie “ des sens “ la vie revient / à / une distance / d’où / quelqu’un est parti “.
Bernard Demandre
TEXTES
Chasse à l'homme traqué avec chien au ralenti
Le fagot d'air
sans air
ni fagot
sans chien au ralenti
Avec des bâches de même appartenance
Tête traitée pour os
le bruit de guerre
grandit le bruit
de l'enfant mâle
et l'extermination de lui
traîné à la voirie
La fin ne voit pas
la fin
elle souche serrée
contre les poings fermés
Elle ferme ne sait plus
où elle ferme
Le froid serré la peau contre la chair
Qu'il me souvienne
de plus
loin
plus que moins
Les bruits des tôles frottées les unes contre les autres
Violée-piolée par l'eau
la neige tombe au-dessous
de la neige
Double danger de l'oeil
et du bâton frappé
L'air est ce rien
cet endroit du poumon
et toujours quatre chaises
en une seule racine
Le vent la poussière
en si peu de temps
Le monde est-il de niveau ?
Hure des chiens
le long des chiens
avec chiens de bure
dans l'échange sucrier
Tous dans l'alignement des mires