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Billet de blog 25 février 2012

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Alain ELUDUT, aux bords du monde

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

A LA FENETRE J’ECOUTE

D’ Alain Eludut

Tarabuste éditeur -  2011                                                                           il faut laisser les fenêtres ouvertes le soir 

  Il existe comme une difficulté originelle, à l’orée du livre et dès son titre : celle de l’écoute possible des signes du monde et, corollairement, de ne pas laisser se perdre les bribes de sens que nous dispensent à la fois les choses et les mots des choses. Ecoute douloureuse qui façonne le destin du poème.Et , dans cette oreille tendue jusqu’au bord de sa perte, silence et écoute sont organiquement associés.  L’autre difficulté étant d’entendre dans les méandres de notre errance «  les mots chargés dans les cales ». Car tout semble faire signe ; il s’agit donc d’être tout à fait « attentifs ».  Tendu vers cette musique confuse ou « d’autres bruits venus de l’horizon », indistincts ou passages d’ombres,  le monde  d’Alain Eludut encourt le risque de se perdre  de la même manière que tout semble aussi voué à l’échec et que la vie ne soit qu’une autre forme de la vanité. Dans cette « vie illusoire », tout semble nous échapper. Nous ne percevons  que des éléments épars dont la voix même du poète paraît transcrire l’éparpillement ou la déroute : moments ténus, débris menus, couleurs entrevues,  cri d’un oiseau,  les « dernières rougeurs d’un bouleau », en somme tout ce  dont nous alertent les sensations comme traces présentes et fugaces, ou celles d’un passé révolu, capable de remonter au corps et cependant actuel, jusqu’à « croiser le dard d’une guêpe » ou les « traces sucrées au fond du palais », il s’agit de reconnaître ces signes qui traversent notre présent, d’être au bord de l’écoute et au bord de sa perte. Dans ce monde où tout glisse vers sa fin et où il n’existe plus que des ombres ou des murmures,  il est cependant encore possible d’entendre ces mots du monde, « Comme chaque jour se montre notre corps / habité de voix et d’espaces ». La nature  ressemble à un livre où ce qui est perçu -  écrit dans le poème -  apparaît dans une sorte de bouleversement, où il est nécessaire d’être attentif «  au choc des airs et des fleurs » et de « ramasser  l’éparpillement des choses confuses » ou ces « parties du monde dispersées dans la rivière ».  Un monde incertain de ses traces et  soumis aux caprices du vent qui appelle d’autres pays et d’autres ailleurs, bien au-delà des pays connus en suivant l’appel de la lumière  ou  «  les couloirs du vent ».

Objets perçus qui ne sont que manifestations sensibles et  conduisent l’écriture d’Alain Eludut à  des motifs anthropomorphisés dans lesquels un mot et son « frémissement »  en sont des traces indirectes, les « repentirs de l’eau », « la solitude des halliers »… De nombreux éléments de la nature, ici en abondance, révèlent leur fonction métaphorique : les talus, les vagues, les oiseaux, ce  Chemin noir, allégorique,  des mots plus abstraits comme la « joie », la « confiance », la « menace » ou plus élémentaires comme le « vent » qui, de façon récurrente dans le livre d’Alain Eludut, est un des motifs de la destruction, dessinant tout un ensemble de formes croisées. Un espace tissé de sensations éparses. C’est, dans ces conditions qu’on peut écrire que « le poème devient ce qu’il dit », en une sorte d’extension de la grammaire à une poésie performative, immédiate, dans ce présent de l’être et celui de l’écriture, une « ivresse présente » , malgré les  signes de l’incertain, et de  la dispersion. Et le vent de la mémoire.  Les images et les nombreuses interrogations, comme autant de questions  aux mystères,  nous entraînent vers une lumière indécise encore mais dont les dessins, effrités et affrontés, semblent définir le rythme du poème, même si toujours – et c’est son allure secrète – il « hésite à l’écoute du monde ».

Bernard  Demandre

TEXTES

LA CHUTE DES CORPS (Tarabuste, 2004)

Liens des chants d’obscures langues

qu’on tend mais (les mots

à jamais tus font le plus souffrir)

l’été probable reviendra

et des odeurs nourriront les fenêtres enfin.

La solitude sera blottie

comme la mousse au pied des arbres

anéantit le décor 

*

Je serai par le rêve enchaîné

                    aux oiseaux

au bleu des libellules

qui tendent au-dessus des étangs gonflés de bulles

                    des écheveaux

– par le rêve planant sur l'histoire

l'azote froid du rêve.

*

Les rondes

On voudrait encore comme les oiseaux qui durent

ardemment franchir la barre des nuages

pour s’élancer dans le surplus de vide

qui nous entoure et nous obsède

mais le temps nous emporte

et la moisson remplit ses fûts de chairs

de planches et d’os aux rondes suspendues.

*

Car même si le bout du ciel nous était offert

comment serions-nous plus humains ? Autour de nous

des bavardages nous emportent, un élément

du songe qu'on ne finit pas de déblayer

comme la neige à nos portes

On voudrait s'entendre dire :

"Venez dimanche, les marches seront dégagées

vous pourrez monter prendre un verre..."

LA VIE PRÉSENTE (Tarabuste, 2007)

On rentre le soir dans nos maisons

à la faveur d'une trêve

quand déjà monte des jardins,

s'échappant des clôtures et des haies,

l'insoutenable tremblement de l'air.

Plus tard, dans l'entrebâillement du jour,

c'est le vague assaut des lampes qu'il faut subir.

Qui peut dire quel ordre nous commande

à la minute où, dépossédés enfin,

les langues nous reviennent aux lèvres ?

*

– Ainsi les bois – ainsi les mers

toutes choses transparentes

brillent au guichet du ciel.

          Ainsi la mémoire

limpide elle-aussi dans son trouble

réfléchit l'inquiétude.

Et le ciel qui bascule par-dessus les haies

l'entraîne avec lui, les bras

chargés des plus belles images

(des plus beaux oublis).

A LA FENETRE J’ECOUTE (Tarabuste, 2011)

J’écoute les bruits

A la fenêtre, j’écoute les bruits de la ville où rien jamais n’est prévu mais tout arrive. Combien d’entre nous sont encore à traîner ça et là ? Ah, ces murmures, ces folles idées, toutes ces envies qui nous consument ! Une clameur géante nous recouvre tous, hommes et bêtes mêlés ( alors que nous séparent l’intelligence et le sourire ), mais de la chair et du corps, quelle connaissance avons-nous ? La souffrance et la joie quelques fois nous rassemblent et nous vivons alors des milliers de vies partielles dans un seul corps que  peu à peu nous tissons sous une même ombre. (J’écoute les bruits)

Le bruit des signes

Dans le noir, l’écho des choses nous parvient tandis qu’au loin, le rouge au cœur des courants de lumière lentement gagne le fond des fosses. Finalement, tout était dit mais il fallait comprendre la marche sur des signes. De l’ordre, une musique confuse trouve des notes et des marques ponctuent nos routes : je viens d’un monde que je ne connais pas et me dirige vers un autre qui me sera toujours étranger. Je vis entre deux mondes – cette seule idée sufit à m’épouvanter.  (J’écoute les bruits)

La gelée de mûres

Couper tous les mûriers serait la solution

pour être enfin débarrassés de ceux qui envahissent.

Mais avons-nous besoin de cela ?

Peut-être serait-il plus sage

de risquer à s’y piquer les doigts

( on ne peut pas combattre les hommes indéfiniment).

Quant à croiser le dard d’une guêpe

la gelée, vers la fin du mois de septembre

aura depuis longtemps calmé la douleur

en laissant des traces sucrées au fond du palais

( peut-être une promesse).(Dans les jardins)

Hécatombe

En cette journée d’automne les dernières feuilles des peupliers sont maintenant blêmes et transparentes à travers la lumière inerte du soleil. Dès lors chacun semble être attiré par un même effacement. Tout devient humble, pudique et se tait. On pense à l’hécatombe qui nous guette, insectes, plantes et hommes, mais nous n’avons pas peur. Le cycle commencé il y a longtemps se termine à présent, les branches n’ont plus l’arrogance de l’été, l’horizon disparaît au fond du paysage et le jardin cède à l’oubli. ( Dans les jardins)

Le long des prairies

Je m’en remets au ciel qui passe

à ses afflux gonflés comme une voile

égarée à jamais

La robe bleue qui s’éternise

à vouloir jouer comme enfants au parc :

un tour encore si c’est possible

le long des prairies entrouvertes.

Au rouge éclair béant

sa voix de cadavre lunaire

oppose larmes et rires

à l’ombre solidaire.

La palpitation du bleu

dont le ventre chaud

à la fois nous émeut

et nous remplit de craintes

quelques plumes s’égarent

autour de nous

quand on veut le saisir

autant dire adieu au soleil.

L’automne sème ses feuilles rousses pareuilles

aux étoiles là-bas qui promettent merveilles. (Hors du paysage)

L’audace

La lumière soulevait des herbes trop hautes

que parfois nos pas ne pouvaient engendrer.

Nous étions prêts pourtant  quand il fallait franchir les fossés

déjà les routes se tissaient, des carrefours s’improvisaient.

Pourquoi attendre, l’audace ne nous mesure-t-elle pas ?

Il y a dans la rigueur des marches

cette joie muette à être là présents

sous le cœur palpitant des étoiles

à ramasser l’éparpillement des choses confuses

pour faire des bouquets de ce qui est prêt à habiter. (A propos des fêtes)

Le souffle de la confiance

Les lampes rassurent le parti pris de l’aube

Qu’il faut gager pour toute la journée

la confiance posée au souffle d’un oiseau

On part la tête haute se moquant des nuages

on ne craint pas la pluie ni les arbres qui bruissent

Mais toujours on attend le signe

incertain d’un battement d’ailes

la confiance donnée au départ de l’oiseau. ( La vie brève)

On ne dira rien

Cette aube qui remonte du ventre des morts

le poignard profond du jour

pénètre dans nos cœurs

On ne parlera pas de ce qui nous retient

ni des voix qui nous brûlent.

Nous restons à veiller

l’âme confuse de l’incompréhension

qui nous pousse à marcher, rire et attendre

la nuit, le jour et tous les jours suivants. ( L’envers des corps)

LES ANNÉES PRATIQUES (inédit)

J'oubliais que chavirent les arbres

semblables à nous dans l'impatience du temps.
Mais la paille a recouvert les regards

qui s'embrasent dès le début de l'été.

Pour un peu roulerait en silence

le rouge des coquelicots

sur nos visages ces fragiles indices

comme au maquillage des arbres

l'apostrophe du jour

*

Je me suis arrêté au bord

du monde inaperçu.

À quoi bon continuer

l’été devait tout emporter

les champs, les marches et les amours.

Quelle offrande et à quel dieu faire don ?

Je préfère être au bord

            voir le monde

et ses ombres vertes qui me font tant rêver.

*

Toujours je reviens sur mes pas

glissant de flaque en flaque,

de mémoire en mémoire.

Les arbres, dans leur rumeur de branches

partagent les champs, et entre tous

les jachères pour d'autres marches

et d'autres pas à venir que le vent portera

aux cris de la caille et de l'effraie.

L'application de mes retours

marque le pli de l'herbe

et de trous d'eau

en trous de mémoire

le temps est pris au piège.

*

Si je vous disais que des grues ont grimpé dans le paysage

qu'elles bâtissent et dans le vent des papiers tournoient

autour d'oiseaux perdus qui cherchent la sortie.

Les plâtres sèchent encore, mais je bavarde

et vous trouvez que le temps n'en finit pas

de blanchir les saisons. Un rien

suffit pour meubler une vie

et peu d'envies pour paraître vivant.

Ne dites rien, j'attends si peu

(ou est-ce encore de trop) !

L'effondrement du ciel serait une légende.

Où vont les coquelicots

les ombrelles et les voiles ?

Les sourires flous disparaissent

comme les robes bleues

sur le rebord de l’été.
Mais comme c’était bon

d’aimer sans expérience

et sans pressentiment.
Il aurait fallu attendre un peu

avant de déborder

freiner la vague

et le roulis du temps.

Ah j’entends bien les compassions

et le pin-pon des ambulances.

ELEMENTS DE BIBLIOGRAPHIE

Publications :

Les années pratiques, (à paraître)

À la fenêtre j’écoute, Éditions Tarabuste, 2011

La vie présente, Éditions Tarabuste, 2007

La chute des corps, Éditions Tarabuste, 2004

Dans les marges, Éditions Caractères, 2000

Publications en revues :

Arpa, Diérèse,  Encres Vives, Jointure,  Soleil des Loups, Triages, Vagabondages, Verso

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