Le jardin sous l’ombre
de
Paul le Jéloux
obsidiane 2017
Un vent de tonnerre déliant toutes les roses
On entre ici dans l’éclat d’ images et d’ une vie qui nous déroutent. Souvent dans ce jardin où “ il fait noir et nul, “ ,voici de merveilleuses guirlandes qui se fondent dans l’émotion et, par vagues successives, apportent le sel de l’imagination et le tremblement du rêve. Le lecteur ici n’est pas confronté mais emporté par ces traces amoncelées du temps et d’un “ désespoir lent “. Tout cependant peut être plus beau et s’ouvrir des deux côtés du monde., malgré un réel qui n’offre parfois que ses atroces nausées. Le monde de Paul Le Jéloux se déroule comme une fête des mots et des images, mais dans cet apparent désordre des sens et dans la présence des ombres et de leur loi, “ Et pourtant la clef était sur la porte / et les vantaux presque souriaient “, qui ne permet nullement d’entrer, même si le jardin n’est pas fermé, car ouvert à la difficulté du coeur, à des coulées d’une émotion qui est comme la mère du poème.
Livre de la vie folle et surabondante, une ivresse perpétuelle des poèmes et de leurs secrets, “dans l’admirable taverne des poètes “. Cette poésie qui sans cesse frôle l’abîme et irait droit à la racine du monde, comme s’il s’agissait de nous délivrer de la pesanteur. Vraiment ici la respiration se fait plus large, et “ Là-bas fuit où d’autres îles sont douces “. Ces ombres dans les couleurs et la lumière la plus indiscutable , ce “bleu du monde “ qu’on irait enfin toucher apparaît à la fois comme signe du visible et témoin d’un secret prolongé.
C’est peu de dire que la poésie de Paul Le Jéloux nous entraîne plus loin qu’ailleurs, ou plus haut, ou plus fou dans cet incendie permanent et comme un appel à l’émotion immédiate : “ Ignore tes pères / décalque les traditions / Ne perds rien de la minute / Sois cet instant de grâce “. Il y a bien des merveilles dans le monde, comme dans la langue ou dans l’espace des contes, mais sans doute jamais autant que dans ces rêves d’Orient, “ le paquetage / et prix du chanvre tout à la fois sous une grande lune à crête / rougie par la nuit du Caire”., touaregs et leur beau rire bleu, rêves rendus possibles par leur envers , ailleurs, dans des paysages différents comme l’ ombre même de ces éclats, “ciel d’automne safrané “, pierres oubliées au détour d’un chemin, pluie “sans tricherie “ et les cris indéfinissables d’une présence peut-être inquiétante mais probablement salutaire.
La lecture ici doit cesser, le monde de Paul Le Jéloux est comme indéfiniment relancé, non que les images se répètent, mais entraînent toujours vers l’autre versant de la lumière, dans les délires des sens, hyperboles de l’imagination et des désaccords des mots pour une harmonie décisive. Mondes entrevus et intouchables et cependant parfois présents comme ces gestes et ces spectacles aussi tangibles que les “marteaux dans la grange” et où “la soupe sale est pour le chien “ . Ombres du jardin, rideaux des mots ou des “vitres blêmes “, devant toutes les fantasmagories, “un grand tour de rein pour l’ange, / de la pluie pour finir …”
Bernard Demandre
TEXTES (extraits )
Le bateau sur la mer d’Iroise
Ils sont bons le coeur amer et le pain en sang
Quand s’effiloche la verdure du rêve
Quand tout tient bon n’ayant pas de sens
Les rivières sont décimées
Le feu se voit comme jeté
À proportion de la sourde frayeur des heures
Qu’à beau jeu on perd ou soumet
Se démettre des saisons du talisman,
de la boussole :
Devant l’atroce nausée du réel,
Dans sa marmite bosselée,
Où cru et cuit combattent et s’arraisonnent,
Où tout ce qui ternit tient bien la mer –
Qu’importe un fruit de défaite ;
Sors-tu de rien, liberté sans obole ?
Le périple accroît la vie par sa désespérance,
Et l’Unique, clair limier, à jour et à nuitée,
Radoucit puis relève tes paumes –
MOTIF
L’émotion est la mère du poème
Elle est parfois sa soeur
qui la suit ligne après ligne
et le regarde parler.
L’émotion est mâle
mal à l’aise dans les pleurs faciles
- amie de toujours
elle ne bronche pas
elle démontre avec des gestes d’amour
des traits de silence, le juste poids.
Elle est le ying et le yang en camion
de la poésie à la terre
du regret à la stèle des vents
du mariage du fait et du fictif,
de l’entrelacs à la route droite
Elle calme les ombres au lieu de les étendre
Elle couche le corps sur un berceau de pierre
Elle ne connaît pas la mort, renonce au mal
car toute bouche qui la prononce
est pure et neuve
Son jardin est la règle contre la mort
elle ignore le conflit entre mouvement et fixité
elle est soeur, elle est mère
cousine des sentences et douce comme la fleur
Elle est rive d’amour et philtre d’épopée
Elle est poésie sûre
Elle est poésie dure
L’unique qui dit le coeur.
Pare-brise
Quand le lait monte,
Quelque chose comme la solitude qui se desserre.
Balayage ! La lampe est plus vive
la santé enchante. Tout est mû dans l’ivresse ou marine sous le plomb.
Mais non ? La mer est belle qui grelotte et domine pourtant.
Où a-t-elle caché la terre ? Ode, ode au vert-bouteille
L’autoroute longe la mer. La belle arrachée, l’araignée bleue.
( …)
C’est vers le ciel qu’il faut guetter le bruit du soir.
Des chiffons traînent à St. Coulomb. La marée est morte
dans la mangrove – Il y a un hospice d’oiseaux blancs
dans le songe à fil d’acier des rives –
Un silence déjà parcourt la terre et les arbres rares,
Malheureux fantomatique se tait l’oiseau,
indifférent. La route jouxte ces murets assommés
et languides. Mais qui dira le soir ?
Le drap de la journée de mal retient la captive lumière
sur fond de doute. Il n’y a pas d’autoroute. Simplement
une voie dorée de sable blanc sous le vent, vie demi-morte, malade comme une lune (… )
Éléments de bibliographie
- L'exil de Taurus, éd. Obsidiane [archive], 1983 (épuisé).
- Le Vin d'amour suivi de Six poèmes anciens, éd. Obsidiane [archive], 1990 (épuisé).
- Le Sang du Jour, éd. Obsidiane [archive], 2001.
- Le jardin sous l'ombre, éd. Obsidiane, 2017