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Demaria Federico

Professeur en économie écologique et en écologie politique à l’Université de Barcelone et membre de Recherche & Décroissance (www.degrowth.org; @R_Degrowth). Co-éditeur des livres: «Décroissance. Vocabulaire pour une nouvelle ère» (Le Passager Clandestine, 2016) et «Pluriverse. A Post-Development Dictionary» (AUF, 2019).

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Billet de blog 14 octobre 2019

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Professeur en économie écologique et en écologie politique à l’Université de Barcelone et membre de Recherche & Décroissance (www.degrowth.org; @R_Degrowth). Co-éditeur des livres: «Décroissance. Vocabulaire pour une nouvelle ère» (Le Passager Clandestine, 2016) et «Pluriverse. A Post-Development Dictionary» (AUF, 2019).

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Le «développement», c'est le colonialisme déguisé

Ce billet présente notre nouveau livre «Plurivers: Un dictionnaire du post-développement»constitué de plus de 100 essais allant des alternatives transformatrices aux processus actuellement dominants du développement mondialisé. Parmi les auteurs, vous pourrez reconnaître Vandana Shiva, Serge Latouche, Alain Caillé, Wolfgang Sachs, Silvia Federici, et bien d’autres.

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Professeur en économie écologique et en écologie politique à l’Université de Barcelone et membre de Recherche & Décroissance (www.degrowth.org; @R_Degrowth). Co-éditeur des livres: «Décroissance. Vocabulaire pour une nouvelle ère» (Le Passager Clandestine, 2016) et «Pluriverse. A Post-Development Dictionary» (AUF, 2019).

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Par Arturo Escobar, Ashish Kothari, Ariel Salleh, Federico Demaria et Alberto Acosta.

La crise planétaire actuelle a pris une dimension civilisationnelle. Jamais auparavant autant d'aspects cruciaux de la vie n'avaient échoué simultanément, et jamais auparavant les attentes à l'égard de l'avenir n'avaient été aussi incertaines. Les problèmes environnementaux ne peuvent plus être dissimulés, quelle que soit la puissance des négationnistes. Il est également impossible de cacher les énormes inégalités socio-économiques mondiales qui se creusent au fur et à mesure que le "développement" s'étend à travers le monde comme un virus mutant. Cette crise peut être vue et ressentie dans tous les domaines: environnemental, économique, social, politique, éthique, culturel et spirituel. Ironiquement, ces crises sont alimentées par les forces d’extrême droite pour obtenir le soutien des marginalisés, avec des images fausses mais séduisantes de la façon dont "l'autre" vole "nos" emplois, ressources et bonheur. En conséquence, la violence et la répression engloutissent le processus démocratique.

Il n'est pas facile de mettre fin à la poursuite du "développement"; sa logique séduisante est largement intériorisée. Les sociétés du Nord global, qui souffrent maintenant des effets de la croissance industrielle, ont été les premières à accepter l'évangile d'une voie unique vers le progrès. Le Sud imite le Nord, captivé par ses modes de vie fascinants, dans un cours apparemment inéluctable qui apporte toujours plus de problèmes sociaux et environnementaux. Sept décennies après l'apparition du concept de "développement", le monde entier est enlisé dans le "mal-développement".

Qu'arrive-t-il à la vie elle-même ? Aussi paradoxal que cela puisse paraître, le discours du "développement" ne fait que consolider la crise mondiale. Cette crise n'est ni conjoncturelle ni gérable au sein des institutions existantes; elle est plutôt structurelle et historique. En tant que telle, elle exige une réorganisation profonde des relations au sein et entre les sociétés, et des relations entre l'humanité et la nature, dont nous faisons partie. Un remaniement des institutions aux niveaux mondial, national et local s'impose, mais cet objectif dépasse les capacités des administrateurs planétaires potentiels ou des politiciens des États-nations. Au lieu de cela, la refonte doit être, et est en train d'être, conduite à partir de divers espaces communautaires de base.

Ces réflexions sont l'essence même d'un nouveau livre, ‘Plurivers: Un dictionnaire du post-développement’. L'idée d'un tel livre est née lors de la quatrième Conférence internationale sur la décroissance à Leipzig. Après quatre ans et demi de travail intense, Pluriverse voit le jour. Il est composé d'environ 110 entrées thématiques succinctes d'auteurs de tous les continents.

Illustration 1
Plurivers

Le livre est présenté par Wolfgang Sachs, qui a dirigé la rédaction du ‘Dictionnaire du développement’, il y a 25 ans. Dans la première section : "Le développement et ses crises: Expériences mondiales", un auteur de chaque continent fournit une analyse critique des impacts du développement dans sa région. Ceci ouvre la porte à la section deux : "Universaliser la Terre: Solutions réformistes", qui passe en revue les solutions conventionnelles technicistes, managériales ou de marché, à la crise mondiale, allant de "agriculture intelligente" à "gouvernance du système terrestre" et "transhumanisme". Ces entrées montrent pourquoi les propositions réformistes dominantes ne résolvent pas les problèmes socio-écologiques actuels, mais les exacerbent dans de nombreux cas, ou au mieux retardent légèrement les effondrements qui s'annoncent.

Section trois : "Un plurivers des peuples: Initiatives transformatrices" est la partie principale du notre Dictionnaire; elle propose des récits d'alternatives théoriques radicales, de visions spirituelles et de "façons de vivre le monde" pratiques et durables qui existent déjà sur toute la planète.

Cette pluralité d'alternatives s'exprime en marge de la modernité capitaliste et fortement masculiniste – à partir des périphéries coloniales et métropolitaines. Du Nord global, proviennent des écosocialistes, des écoféministes et des partisans de la décroissance, chacun aidant à configurer un mouvement vigoureux de mouvements. Dans le Sud global, nous mettons en évidence des notions inspirantes comme Sumak Kawsay, ou Buen Vivir, Swaraj, Ubuntu, Commoning, Communalité, Agaciro, Agdals, Hurai, Ibadisme, Shohoj, et plus. Le livre comprend également des versions socialement critiques des principales religions du monde.

Le concept de "convivialité", lancé par Ivan Illich, est au cœur de la construction de communautés qui permettent à chacun de vivre de manière créative - et autonome - avec des technologies et des institutions qu'il contrôle lui-même. D'autres initiatives de transformation comprennent des propositions à l’échelle mondiale, comme le Tribunal international des droits de la nature, ou un autre pour l'arbitrage de la dette. Ces récits novateurs allient la critique et l'action ciblée. Pris dans son ensemble, le Dictionnaire de post-développement suggère que les transitions démocratiques pacifiques seront découvertes à mesure que les gens tisseront ensemble pratiques anciennes et nouvelles idées dans une mosaïque mondiale d'alternatives.

La majorité des promesses politiques habituelles ne sont plus viables. Nous ne pouvons pas non plus continuer à faire confiance à la "responsabilité sociale des entreprises", à "l’efficacité des bureaucraties" et à la généralisation libérale des droits à tous les sujets - "personnes de couleur", personnes âgées, personnes handicapés, femmes ou homosexuels - bien que nécessaire, celle-ci est très insuffisante quand elle est uniquement légaliste et non transformatrice au plan social. De même, nous devons aller au-delà de la préservation de quelques parcelles de nature "vierge", ce qui n'a aucun effet sur l'effondrement mondial de la biodiversité. L'action doit aller au cœur de la crise systémique actuelle - le mélange toxique du capitalisme hétéro-patriarcal, du racisme et de la modernité unidirectionnelle avec son penchant infini pour le pouvoir et l'accumulation prédatrice au détriment de toute vie sur Terre.

Les universitaires, les militants, les politiciens, les journalistes, les jeunes et tous ceux qui ne remettent pas en question le système dominant actuel, ouvrent simplement la porte à d'autres réincarnations du fantôme du "développement". Les mesures à court terme conçues dans les allées du pouvoir ne font que renforcer le statu quo Nord-Sud, le patriarcat, le colonialisme et la séparation instrumentale destructrice de l'humanité et de la nature. Des solutions bien intentionnées mais superficielles ne résoudront la crise mondiale que si elles sont dotées d'un horizon post-capitaliste, post-développemental et d'un sens aigu de la réflexivité culturelle.

Une stratégie politique adéquate ira à la racine, remettant en question les hypothèses fondamentales du discours du "développement", telles que la croissance, la rhétorique du progrès, la rationalité instrumentale, le soi-disant libre marché, l'universalisme, l'anthropocentrisme, le sexisme, etc.

Une stratégie adéquate adoptera une éthique fondée sur l'interdépendance relationnelle de tout ce qui existe. Elle englobera la diversité et la pluriversalité; l'autonomie et la suffisance; la solidarité et la réciprocité; les biens communs et les soins; l'intégration avec la nature et les droits de la nature; la simplicité et l’autosuffisance; les droits et responsabilités; la durabilité écologique; la non-violence et la paix. Une stratégie adéquate penchera vers le marginal, l'exploité et l'opprimé. Les transformations et les transitions permettront d'intégrer la multiplicité des dimensions : politique, économique, sociale, culturelle, éthique et spirituelle.

Les voies de la bio-civilisation sont multiples - et le plurivers est déjà visible dans les cosmovisions et les pratiques radicales de nombreux groupes à travers le monde. La notion de plurivers remet en question la prétendue universalité de la modernité euro-américaine. Comme les zapatistes du Chiapas, au Mexique, l'ont si sagement dit, le pluriverse constitue "un monde où beaucoup de mondes existent". Nous explorons et innovons vers un avenir où tous les mondes (humains et non humains) qui habitent la planète peuvent coexister et prospérer dans la dignité et le respect mutuels, sans qu'un seul monde dit "développé" ne vive aux dépens des autres, comme c'est si cruellement le cas à notre époque.

Le chemin vers cette complémentarité est long, mais nous sommes sur la bonne voie, comme le suggère l'alliance internationale des mouvements pour la justice sociale et l'écologie. Il est possible de glaner, à partir des actions de nombreux mouvements de femmes, ethniques, indigènes, ouvriers et paysans, une convergence croissante entre eux. Le post-scriptum du livre décrit cette tentative comme une "Tapisserie globale d'alternatives", lentement en train de voir le jour, un potentiel d'auto-organisation, une myriade de mobilisations et de pratiques émergentes provenant de nombreuses régions du monde.

Comme Arundhati Roy l'a si bien annoncé, il y a plus de dix ans : "Un autre monde n'est pas seulement possible, il est en route; un jour calme, je peux l'entendre respirer".

Traduit de l'anglais par Thierry Uso.

Biographies des éditeurs

Ashish Kothari est avec Kalpavriksh et Vikalp Sangam en Inde et est co-éditeur de Alternative Futures: India Unshackled.

Ariel Salleh est une universitaire australienne, auteur de «Ecofeminism as Politics» et éditeur de «Eco-Sufficiency and Global Justice».

Arturo Escobar enseigne à l'Université de Caroline du Nord et est l'auteur de Encountering Development.

Federico Demaria est chercheur en économie écologique et en écologie politique à l’Université Autonome de Barcelone et co-éditeur de «Décroissance: un vocabulaire pour une nouvelle ère».

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Editors

Pour plus d'informations sur le livre, voir ici.

Vous pouvez acheter le livre en anglais et en espagnol. Nous espérons qu'il sera bientôt publié également en français et dans de nombreuses autres langues.

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