Lettre ouverte à Monsieur Macron
Monsieur,
J’ai une demande à formuler à votre majesté. Avant que de la formuler, je souhaite en expliquer les raisons en m’appuyant, notamment, sur vos inombrables déclarations depuis votre élection en 2017 (et un peu avant).
« Le produit Macron » nous a été vendu ad nauseam à l’occasion de cette élection. Entre les photos glamour parues dans de très nombreux journaux et magazines, pléthore d’articles, et l’admiration énamourée que suscitait votre candidature, difficile de passer à côté.
« On » nous avait prévenu : votre parole publique serait rare du fait de la complexité de votre pensée. Celles et « ceux qui ne sont rien » ne sont pas pourvu·es de la quantité de neurones suffisante pour accéder à votre « pensée complexe ». CQFD.
Pourtant, cette complexité tant vantée par des médias complaisants m’a totalement échappé. En revanche, la vacuité de vos propos (de votre pensée donc), les inepties que vous ne cessez de proférer me sidèrent. Votre incohérence me laisse sans voix.
Monsieur Macron, la communication ne peut tenir lieu de politique.
La démocratie et vous
Le 21 mars dernier, devant les parlementaires Renaissance, vous déclariez : « Quand on croit à cet ordre démocratique et républicain, les meutes ne l’emportent pas sur les représentants du peuple, et la foule, quelle qu’elle soit, n’a pas de légitimité face au peuple qui s’exprime souverain à travers ses élus. »
Je ne m’étendrai pas sur votre utilisation du terme « meutes », vocable infamant s’il en est, à l’égard des manifestant.es qui ne veulent pas de votre contre-réforme des retraites. Dans votre bouche, le mot « foule » sonne de manière tout aussi négative.
Je m’attacherai à votre conception de la démocratie.
Vous avez choisi de passer par le 49-3 pour imposer la contre-réforme des retraites car vous redoutiez le vote des représentant.es du Peuple dans le cadre de l’Assemblée nationale. Vous ne vouliez pas prendre le risque de perdre le vote.
C’est la onzième fois, via le 49-3, que vous et votre gouvernement empêchez le « peuple qui s’exprime souverain à travers ses élus » de s’exprimer.
C’est la onzième fois que vous et votre gouvernement enjambez les parlementaires.
Monsieur Macron, comprenez-vous vos propres paroles ?
Sur votre élection en 2022
Mercredi 22 mars 2023, vous êtes à l’antenne, interrogé par deux journalistes (France 2 et TF1) et voilà ce que vous déclarez, entre autres :
« Si les français ne percevaient absolument pas (les choses qui marchent) et étaient totalement en colère, sans doute n’aurais-je pas été réélu il y a moins d’un an, ni une majorité relative il y a encore moins longtemps »
Il est vrai que vous fûtes élu triomphalement ! Les chiffres sont éloquents :
1er tour : 13 millions d’abstentions (26,31 % des inscrit·es). Vous obtenez 9 784 985 de voix (soit 19,57 % des inscrit·es, soit 27,85 % des suffrages valablement exprimés).
30 828 000 personnes ne vous ont pas choisi (soit 61,65 % des inscrit·es).
2ème tour : Entre les abstentions (28,01%), les votes blancs (6,37%) et les votes nuls (2,29%) ce sont 36,67% des électeurs/trices qui ne vous ont pas choisi (soit 16 695 014 personnes).
Vore nom rassemble 58,55 % des suffrages, 18 768 639 de personnes (source : chiffres du Ministère de l’intérieur).
42 % des votants auraient glissé un bulletin Macron dans l’urne pour participer au « barrage républicain », ce qui signifie que 7 882 829 personnes se seraient pincé le nez en prenant un bulletin à votre nom. Ce serait in fine 10 885 810 votant.es qui vous auraient choisi par conviction, soit 21,77 % du corps électoral. Un réel plébiscite donc.
Cela ne vous a d’ailleurs pas échappé puisque vous déclariez, en mai 2022 :
« Je sais aussi que nombre de nos compatriotes ont voté ce jour pour moi, non pas pour soutenir les idées que je porte mais pour faire barrage à celles de l’extrême droite. Je veux ici les remercier et leur dire que j’ai conscience que ce vote m’oblige pour les années à venir.»
Du blabla, de la com.
Force est de constater que vous avez été très mal élu et quand bien même ce serait différent, je vous remets en mémoire les mots de Pierre Rosanvallon sur l’exercice du pouvoir :
« Le peuple est la source de tout pouvoir démocratique. Mais l'élection ne garantit pas qu'un gouvernement soit au service de l'intérêt général, ni qu'il y reste. Le verdict des urnes ne peut donc être le seul étalon de la légitimité. »
Le verdict des urnes au premier tour des législatives de 2022 est un camouflet pour votre parti.
- 47,51% des inscrit.es se sont exprimé·es « valablement ».
- entre les abstentions (52,49% des inscrit·es), les votes blancs (0,74%), les votes nuls (0,30%), ce sont 53,53 % des inscrit·es qui n’ont pas voté pour Ensemble.
- votre parti recueille 11,97 % des suffrages des inscrit·es (25,75 % des suffrages valablement exprimés).
Au second tour, 46,23% es inscrit·es ont voté. 16,47 % des inscrit·es ont voté pour votre parti, soit 38,57 % des suffrages valablement exprimés (source : Ministère de l’intérieur).
Le taux de légitimité dont vous-même et votre parti vous réclamez devrait être proportionnel à la faiblesse de vos résultats.
Sur la colère des français·es que vous ne percevez pas
Monsieur Macron, je fréquente la population qui est dans la rue et je confirme que les français·es sont en colère.
Une colère épaisse, ancrée dans leurs tripes. Je vous informe que le ressentiment de vos compatriotes ne se limite pas à la colère. Votre personne suscite la détestation. Et cela va bien au-delà de votre contre réforme.
Alors que ce mouvement appelle une réponse politique, sociale, celle de votre gouvernement se borne au recours à la matraque, aux gaz lacrymogènes et autres armes.
Il n’y a décidément rien à attendre d’un individu dépourvu de sens politique, de profondeur historique, de profondeur tout court d’ailleurs.
Maintien de l’ordre et violence légitime
À l’occasion de votre intervention télévisée le 22 mars, vous disiez : « On ne tolérera aucun débordement.»
J’ai été soulagée l’espace d’une nanoseconde car jai pensé que cette déclaration martiale faisait référence aux violences policières qui ont mis la France sous le feu des projecteurs.
En effet, je vous rappelle que les dérives du maintien de l’ordre en France depuis l’activation de l’article 49 alinéa 3 par le gouvernement ont été dénoncées par l’ensemble de la société civile, les autorités administratives indépendantes (la Défenseure des droits et la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), ou encore le Conseil de l’Europe et les Nations unies, et aussi Reporters sans frontières, et Amnesty International, et le Syndicat de la magistrature, et le Syndicat des avocats de France.
Petit retour dans le passé : vous déclariez, le 5 mai 2017, « Ce que je ne comprends pas, c’est qu’on ne mette pas en cause la hiérarchie policière quand il y a de manière évidente un problème ».
Il y a, de toute évidence, de nombreux problèmes et vous et votre gouvernement êtes les seuls à ne pas les voir.
L’article 12 de la déclaration des droits de l'homme de 1789 nous éclaire sur ce que doit être la force publique dans une démocratie digne de ce nom :
« La garantie des droits de l'homme et du citoyen nécessite une force publique : cette force est donc instituée pour l'avantage de tous, et non pour l'utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée. »
Il n’y a pas de doctrine du maintien de l’ordre (désescalade), il n’y a plus que la répression. Lorsque les forces de l’ordre passent du maintien de l’ordre à la répression, le pays sort de l’état de droit.
Explication à usage des mal-comprenants :
- « État de droit » ne veut pas dire que l’État a tous les droits.
- « Monopole de la violence légitime » ne veut pas dire que les forces du maintien de l’ordre des dominants ont le droit de tabasser tout ce qui tombe à portée de matraque.
En 2020 et 2021, la France a été dégradée par l’indice démocratique créé par The Economist, classant désormais le pays « démocratie défaillante ». Gageons que l’année 2022 permettra au pays de conserver son titre. 2023 semble bien partie pour aller dans le même sens.
Il n’est pas inutile de se remettre en mémoire cet extrait d’une lettre du préfet de Paris Maurice GRIMAUD aux policiers le 29 mai 1968 :
« ... Frapper un manifestant tombé à terre, c'est se frapper soi-même en apparaissant sous un jour qui atteint toute la fonction policière. Il est encore plus grave de frapper des manifestants après arrestation et lorsqu'ils sont conduits dans des locaux de police pour y être interrogés… »
N’est pas GRIMAUD qui veut.
D’après une enquête électorale du Centre de recherches politiques de Sciences-Po (Cevipof), de l’Ipsos et de la fondation Jean-Jaurès, les forces de l’ordre votent en moyenne beaucoup plus à l’extrême droite que le reste de la population (60% des policiers et militaires prévoyaient de voter pour M Le Pen au second tour en 2022).
Voilà qui interroge.
Une République exemplaire
Il n’y a pas suffisamment de places sur le podium de la bêtise pour y placer tous les membres de votre gouvernement qui ont les qualités requises pour concourir. Par ordre alphabétique : Attal, Borne, Darmanin, Dupond-Moretti, Dussopt, Fesneau, Lemaire, Panier-Runacher, Riester, Schiappa, Véran, liste non exhaustive.
Bien entendu, l’inénarrable députée Bergé a toutes ses chances.
La bêtise, l’incompétence, ne sont pas les seules caractéristiques de celles et ceux qui gouvernent le pays. Il y a aussi un sérieux problème de probité.
Je constate que votre gouvernement ressemble de plus en plus à une quincaillerie.
Recyclez-vous collectivement : lancez-vous dans le commerce des casseroles, le stock est déjà bien fourni, alimenté par des membres de votre gouvernement . Sans oublier des personnes qui vous sont proches, ou l’ont été, à l’Élysée (Kolher, Benalla).
Bien entendu, en droit, ces personnes sont présumées innocentes.
Je me permets de vous rappeler les propos d’un certain Macron :
- en pleine campagne pour la présidentielle de 2017, vous teniez ces propos : "tout ministre concerné par une mise en examen devra démissionner".
- en mars 2017, un peu avant le 1er tour de la présidentielle, vous déclariez : « la justice est au cœur du projet que nous portons, parce que l’indécence, les privilèges n’ont que trop duré et nous voulons les mêmes règles pour tous ». Et aussi : «quels que soient les statuts, nous voulons des dirigeants responsables, exemplaires et qui rendent des comptes ».
Vous fûtes élu...
- … et d’une signature performative, vous moralisâtes la vie politique française en direct à la télévision. C’était le 15 septembre 2017. Le bon peuple de France était soulagé. C’était un évènement : vous alliez faire de la politique autrement.
Monsieur Macron, avez-vous conscience de ce que vous dites ? De ce que vous faites ?
Si celles et ceux évoqué·es précédemment se contentaient d’être bêtes, et incompétent·es, et dont la droiture est questionnée, ce serait déjà insupportable. Hélas, ils/elles sont dangereux.
Les factieux sont dans votre « camp ». Les semeurs de chaos sont dans votre « camp ». Les fauteurs de troubles, les séparatistes, c’est vous !
Votre ministre de l’intérieur mêle régulièrement, dans un vaste fourre-tout, « la gauche, l’extrême gauche et l’ultragauche », les oppose à l’extrême droite, les accuse de vouloir faire tomber la République.
Alors que pour le second tour de la présidentielle 2022, la macronie appelait les électeurs et électrices de gauche à faire barrage à l’extrême droite - parti jugé non républicain - (ce que feront 42 % d’entre eux/elles), ce sont les voix macronistes, avec le renfort du groupe Les Républicains, qui ont fait élire deux parlementaires RN à des postes-clés à l’Assemblée.
En deux mois, la macronie est passée du barrage républicain face à l’extrême droite à la banalisation de ce parti, à son institutionnalisation.
Monsieur Macron, reprenez-vous : vous êtes débraillé, vous ne prenez même plus la peine de dissimuler des pans de votre chemise brune sous vos chemises blanches immaculées.
Et que dire de votre ministre de l’intérieur : lui porte sa chemise brune en étendard.
- Cet individu jugeait Mme Le Pen « molle ».
- Dans sa jeunesse pas si lointaine, il écrivit plusieurs articles pour le mensuel « la Restauration nationale », revue liée à l'Action Française.
- Lors de son audition au Sénat sur la question de la manifestation contre la
« mégabassine » de Sainte-Soline, il s’intérrogeait quant au financement public de la Ligue des droits de l’homme et du citoyen. Pour mémoire, en 2015, alors maire de Tourcoing, il avait voulu annuler la subvention de la ville versée à la LDH.
C’est une idée fixe chez lui.
Gardons en tête que la LDH est une cible obsessionnelle de l’extrême droite. Par exemple, elle a été dissoute sous le régime de Vichy, et nombre de ses membres résistant·es, furent arrêté.es, assassiné·es et/ou déporté·es.
Une solution
Une autre de vos déclarations, depuis Pékin : « Les mots ont un sens et si on les galvaude, on fait monter les extrêmes ».
Le ridicule ne tue pas Monsieur Macron. Et si vous vous payez de mots, comme à l’accoutumée, vous ne faites pas illusion. Inconséquence, inconsistance, incompétence, indécence, voilà ce qui vous caractérise à mes yeux.
Je vous demande solennellement de ne plus utiliser les mots « démocratie », « état de droit », « république » car vous n’en maîtrisez pas le sens et vous avilissez ces concepts.
Vous disiez, en janvier 2018, qu’il fallait « Penser printemps ». Quelques années plus tard, à peu près à la même période, je vous dis « Pensez à partir ».
Voilà ma demande, Monsieur Macron.
Les aspirations des manifestant·es, leurs rêves, vous sont inaccessibles, vous n’êtes pas à la hauteur.
« En responsabilité », et par souci de l’intérêt général, déposez l’habit de Président de la République : l’individu doit s’éffacer devant la fonction, hélas vous en êtes incapable. Sortez de l’imposture. Partez.
Marianne