Après avoir observé les premières conséquences de la nouvelle économie mondialisée sur les salaires, les maux du travail, la précarité, avant de se plonger dans celles qui frappent l’hôpital et sa nouvelle gouvernance, il est indispensable de décrire en quelques lignes, la charge que cette nouvelle économie fait peser sur le financement de la sécurité sociale. Car, si l’hôpital manque de moyens, c’est avant tout parce que la sécurité sociale manque de ressources.
Ce déficit de recettes connaît plusieurs origines parmi lesquelles l’augmentation du chômage. Le retour au plein emploi permettrait de retrouver des excédents dans tous les comptes sociaux. Mais nous n’en sommes pas là. Le chômage augmente et les dettes de l’Etat et de la Sécurité Sociale ne cessent de se creuser. Ce n’est pas le résultat de dépenses trop élevées, mais, là encore, c’est surtout l’augmentation de dépenses fiscales mal ciblées en faveur des entreprises.
Reprenons le rapport du Conseil des Prélèvements Obligatoires (CPO) d’octobre 2010 portant sur les niches fiscales et sociales dont bénéficient les entreprises. Le Conseil indique que « Le coût des allègements généraux et exonérations ciblées de cotisations sociales est estimé à 32,1 Mds€ en 2009 »
Mais ce n’est pas tout. Plus important encore est le coût significatif des exemptions d’assiette, c'est-à-dire des revenus qui ne sont pas soumis à cotisations. Citons par exemple, l’épargne salariale, la protection sociale complémentaire, un ensemble de revenus non taxés, qui représentent une perte de recettes de plus de 9 milliards pour la sécurité sociale. Par exemple, les stocks options à eux seuls représentent une perte de cotisations de l’ordre de 3 md€.
Au total, indique le rapport « le coût des niches sociales applicables aux entreprises pour l’ensemble des prélèvements sociaux s’élève à plus de 67 Mds€ » ce qui représente 15,45 % des recettes de sécurité sociale qui sont estimées à 429,8 milliards d’euros en 2010, soit beaucoup plus que le budget de l’Etat.
La dette, même portée à 21 milliards d’euros en 2011, apparaît conjoncturelle et donc de nature à disparaître dès que le chômage diminuera et à la condition que le gouvernement actuel ne poursuive pas sa doctrinaire ambition d’alléger sans arrêt les charges des entreprises pour privilégier les actionnaires !
Paradoxalement, on pouvait y lire à la une du Figaro du 3 septembre 2010, « qu’au « premier semestre de l'exercice 2010 des bénéfices des entreprises du CAC 40, sont en hausse de 86% par rapport aux six premiers mois de 2009. Les profits ont ainsi presque doublé, atteignant quelque 41,5 milliards d'euros, contre moins de 23 milliards un an plus tôt. Pour rappel, sur toute l'année 2009, leurs profits s'élevaient à 47 milliards d'euros ». Il est aisé de comprendre que si ces profits sont taxés au minimum à 20%, ce sont près de 9 milliards d’Euros qui entre dans les caisses de la sécurité sociale.
Dans le même temps, le gouvernement bloque le salaire des fonctionnaires, montrant ainsi aux entreprises le chemin à suivre, et annonce que l’austérité est nécessaire et incontournable. Il s’agit certainement de mauvaise foi de ma part mais les faits sont plus têtus que les annonces, fussent-elles gouvernementales.
La sécurité sociale est donc un formidable enjeu pour les locataires de la forteresse. Avides de profits pour satisfaire leurs insatiables besoins relatifs. Ils font de la maladie, de la souffrance et de la mort un formidable marché, très juteux. Il a le double objectif de favoriser le secteur marchand des assurances privées et de poursuivre la baisse des salaires pour transférer les bénéfices aux actionnaires.
Quant aux pauvres ils n’auront d’autres moyens que de croupir dans les antichambres de services publics désaffectés, financés par un peu d’impôt et beaucoup de générosité populaire défiscalisée s’exprimant à travers de grands téléthons animés, peut-être, par ceux qui ont mis en place le système.
Là encore, la solution individuelle est préférée à la réponse collective. Le gouvernement choisit de reporter les déficits sur les utilisateurs que sont les malades, ceux qui vont chez le médecin ou qui sont hospitalisés. Il préfère augmenter le forfait hospitalier, réduire les remboursements, créer des tickets modérateurs ou bien encore déclasser des médicaments sur des critères qui sont purement économiques.
Pourtant la cour des comptes propose plusieurs “pistes d’évolution” pour dégager 15 milliards d’euros de recettes supplémentaires[1]. Mais le gouvernement reste sourd.
Un long processus de démantèlement
Dans ce même rapport de la cour des comptes, il est confirmé que « le montant total des niches sociales s’élèverait en 2009 à 67 Md€, contre 57,6 Md€ en 2007 ». Même si les 15 milliards de recettes supplémentaires ne peuvent être totalement libérés, il apparaît que des marges sont susceptibles d’enrayer le déficit sans révolutionner le système. Il faut comprendre que ce n’est pas la volonté de ceux qui veulent « récupérer » la sécurité sociale.
Les lectures de l’économie qui précèdent informent que la part du produit intérieur brut Français revenant aux salariés a baissé au profit de celles des capitalistes. (70 points de PIB pour les salariés au début des années 80 contre 60 points maintenant soit 10 points de PIB en moins). Comme nous l’avons vu précédemment le manque à gagner est estimé entre 150 à 200 milliards d’euros par an. Ce glissement conduit à un manque à gagner que la sécurité sociale estime à 23 milliards d’euros en 2010.
Rappelons que pour maintenir la capacité de dépenses depuis le début des années 1980, la part des cotisations salariales s'est fortement accrue alors que les entreprises connaissaient un tassement de leurs contributions: maladie, vieillesse et chômage confondus, les cotisations «salariales» sont passées de l'ordre de 10 % en 1980 à plus de 22 % en 2007 tandis que celles des employeurs sont restées stables depuis 25 ans, de l'ordre de 45%, voire beaucoup moins pour les bas salaires exonérés.
Par ailleurs, pour tous les employeurs qui ne sont pas soumis au régime de la TVA, l’Etat ponctionne chaque année 10 milliards d’euros de taxes sur les salaires dont plus de 2 Md€ prélevés sur les seuls hôpitaux donc, sur le budget de la Sécurité Sociale.
Ainsi, le déficit de la sécurité sociale devient un mythe ! Il s’agit bien d’une volonté délibérée de tuer le système. Le plan des partisans de la mondialisation est toujours le même vis-à-vis des systèmes de solidarité. Ils asphyxient ! Ils noient dans un déficit. Ils disent que c’est mal géré, que le secteur privé peut mieux faire. Ils privatisent ! Le citoyen cotisant devient un client pour lequel tout est facturé ! C’est vrai pour l’eau, le gaz, l’électricité, le téléphone, les transports, les autoroutes, le téléphone à l’hôpital, etc., etc. C’est ainsi que le déficit des hôpitaux est un autre mythe dont nous allons examiner plus loin la construction et les conséquences.
En 2003, les 27 pays de l’Union européenne consacraient en moyenne 27,2% de leur PIB à la Sécurité sociale. En 2006 ce taux n’est plus que de 26,7%,[2] (cette baisse de taux de 0,7% du PIB, ramené à la France, représenterait plus de 12 milliards d’euros)
Ainsi, les locataires de la forteresse assèchent les recettes publiques pour générer un déficit. Ils montrent d’une main que le système n’est plus viable et de l’autre ils offrent aux institutions financières la possibilité de s’enrichir par les prêts qu’elles accordent pour financer les déficits ainsi provoqués !
C’est parfaitement bien rôdé depuis l’avènement de la mondialisation et ça marche… pour ceux qui détiennent le pouvoir de l’argent.
Il serait trop long d’aller plus avant pour démontrer la volonté politique de démanteler un outil de la solidarité, qui selon tous les observateurs sérieux a permis d’amortir les effets de la crise sur les plus faibles. Une remise en cause du système de protection sociale pour le livrer aux marchés financiers va placer un plus grand nombre de personnes dans le dénuement le plus complet. Déjà « la France comptait entre 4,3 et 7,8 millions de personnes pauvres en 2008, selon la définition de la pauvreté utilisée. Des millions d’enfants, d’hommes et de femmes vivent en marge des normes de la société. Ils n’aspirent pas seulement à manger, mais aussi à avoir un logement décent, à étudier ou à travailler, à se soigner... comme les autres. »[3]
Si l’on intègre que ce constat intègre 2,5 millions de salariés et 2 millions d’enfants, ces données deviennent insupportables dans un pays riche comme la France et qui permet au premier actionnaire de LVMH d’encaisser 335 millions d’euros de dividendes sur la seule année 2006 et « un patrimoine qui s’est accru de 3 milliards d’euros sur la même année ; soit 230 769 années de salaires d’une petite main »![4] Il n’est pas le seul !
L’augmentation du forfait hospitalier ou les étiquettes blanches, bleues, oranges sur les boîtes de médicament ne peuvent les concerner. Elles ne valent que pour les pauvres et ceux qui sont juste à côté d’eux.
Tant qu’il existe de tels écarts de revenus dans une même société, dans un même pays, toutes les mesures d’économies qui sont imposées au plus grand nombre apparaissent comme des injustices insupportables !
C’est ainsi qu’il faut apprécier les déficits provoqués à la sécurité sociale et donc des hôpitaux. Des mécanismes mercantiles et une gouvernance quasi militaire instaure une maltraitance institutionnelle vis-à-vis de ceux qui souffrent, de ceux qui sont malades, de ceux qui meurent et de ceux qui sont à leur chevet.
[1] Voir le rapport de la Cour des Comptes – Sécurité Sociale – septembre 2010- plus de 500 pages…
[2] Étude Eurostat 2007
[3] Observatoire des inégalités : « La pauvreté en France » 28 septembre 2010
[4] François Ruffin : « La guerre des classes » éditions fayard 2008-p42