Retombant, dans le beau Sept génies de Vincent Laisney, sur le mot prêté à Leconte de Lisle qualifiant Victor Hugo de "bête comme l'Himalaya", je me suis souvenu de ce superbe passage d'Albert Thibaudet, qui mêle l'élégance à l'art de l'insulte :
Flaubert fait figurer dans le sottisier universel cette phrase de Chateaubriand sur Napoléon: "Il avait un singulier talent pour gagner les batailles, mais en dehors de cela le moindre général en savait plus que lui". Selon de moindres généraux de la littérature, Victor Hugo avait un singulier talent pour faire les vers, mais en dehors de cela, c’était un imbécile. Avant la guerre, un journaliste avait retrouvé la concierge de Juliette Drouet. Elle ne pouvait souffrir Victor Hugo, qui ne lui donnait pas de pourboire, et ne levait pas son chapeau en passant devant la loge. "Je l’avais toujours appelé l’imbécile, dit-elle, et quand quatre heures venaient, je pensais toujours: l’imbécile va arriver". Lorsque M. Farrère déclare: "Victor Hugo était un imbécile", nos égards pour M. Farrère et une confraternelle courtoisie nous empêchent de voir en lui un type dans le genre de Victor Hugo, mais ils nous autorisent à le regarder comme un type dans le genre de la concierge de Mme Drouet.
(Albert Thibaudet, "Victor Hugo était-il intelligent?", in Réflexions sur la littérature, T2, Paris, Gallimard, 1940, p. 256).