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Billet de blog 2 avril 2015

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Revoir le "Film parlé" de MANOEL DE OLIVEIRA

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Ainsi que l'annoncent les dépêches AFP et divers médias, le réalisateur portugais Manoel DE OLIVEIRA vient de décéder à l'âge de 106 ans. Evocation, en forme d'hommage, d'un de ses films culottés pour diverses raisons... son Film parlé (2003). En espérant que quelques chaînes de télévision françaises, qui ne diffusaient jamais ses films, (sauf erreur ou omission) auront la bonne idée d'en programmer un ou deux. On peut toujours rêver...

C'est une oeuvre qui semble en concordance absolue avec les judicieux préceptes de Robert BRESSON dans ses Notes sur le cinématographe. (1). Aucun plan qui ne superpose par redondance une image et un son (par exemple). Certains estiment qu'un tel film s'apparente davantage à du théâtre filmé (le même reproche qu'on adressa à Eric ROHMER par exemple) qu'à du cinéma. C'est vrai et faux en même temps. En tout cas, on le regarde et l'écoute avec gourmandise. Parce qu'il célèbre à la fois le multiculturalisme (on excusera l'usage de cette expression à la mode) et sait montrer à quel point la fragilité de la vie est bien réelle. Où qu'on soit. D'où qu'on soit. Où qu'on aille. 

Et entendre "disserter" sans avis péremptoire ni ton suffisant, des gens réunis au hasard d'un dîner sur un bateau lors d'une croisière sur la Méditerranée, malgré les obstacles apparents des langues diverses maîtrisées par les uns et les autres, à propos des origines de la Civilisation occidentale, est plus qu'instructif: c'est un élément de dramaturgie fondamental qui résume parfaitement la quasi totalité de l'oeuvre cinématographique de DE OLIVEIRA.

Il faut saluer la présence de Catherine DENEUVE dans ce film, inattendue et libre comme souvent, qui a choisi de tourner avec le cinéaste lusophone. Et de John MALKOVITCH, en capitaine de vaisseau attaché à convier à sa table, des gens d'origines et de cultures différentes.

La présence d'une petite fille, Maria Joana, en outre, semble être discrètement le point de vue par lequel le spectateur peut appréhender l'oeuvre. Cette petite fille, c'est celle du personnage de Leonor SILVEIRA *, enseignante d'histoire à Lisboa qui a choisi cette croisière en Méditerranée avant d'aller rejoindre son mari à Bombay. D'escales en escales, la mère et sa petite fille visitent les lieux, les villes qu'elles ne connaissaient que dans les livres. Chaque escale est l'occasion d'une rencontre et d'une approche du pays rapide mais fervente.

Inutile de révéler le fin mot de l'histoire (tragique). Une telle allégorie intelligente à propos de la Tour de Babel, aux atours en apparence pessimistes mais qui reste, somme toute, assez réalistes, donne lieu, donc,  à l'un des films les plus sensibles et intelligents, suggestifs et poétiques de la décennie 2000-2010.

Si vous ne connaissez pas ce Film parlé et que l'envie vous taraude de voir un film saisissant, épuré, éloquent, celui-ci devrait satisfaire plutôt votre espérance. Surtout à l'heure où tant de replis frileux et incultes, désinvoltes, bêtement nationalistes, irresponsables, semblent se réjouir d'encore davantage séparer les gens. Puisque cette fable remet sans terrorisme aucun, les pendules du monde à la (presque) même heure: celle d'un hymne à la vie à célébrer malgré les dissonances et préoccupations dissemblables. Merci à vous, Manoel de OLIVEIRA.

N.B.:

 (1) Notes sur le cinématographe, de Robert BRESSON, Gallimard, collection "Blanche", Paris, 1975.

*: merci à CTAVEIRA qui a commenté, le 8/04/2015 cet article et m'a indiqué que ce n'était pas l'actrice Irène PAPAS qui interprétait ce rôle.

A lire aussi, sur MEDIAPART, le billet très instructif d'Arthur PORTO qui célèbre aussi le cinéma vital de Manoel DE OLIVEIRA: http://blogs.mediapart.fr/blog/arthur-porto/030415/aniki-bobo-manoel-de-oliveira

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