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Billet de blog 3 janvier 2018

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LA SCENE NE S'ECLAIRERA PLUS PAR LASSALLE

Il aura créé aussi bien GOLDONI, KUNDERA, VINAVER, SARRAUTE, HOFFMANNSTHAL dans les théâtres les plus importants surtout parisiens mais aussi formé des dizaines d'acteurs au CNSAD et dirigé (trop brièvement selon lui) la COMEDIE FRANCAISE. Partisan de l'épure, ses mises en scène souvent accueillies favorablement pouvaient aussi refroidir des critiques peu tendres. Il est mort, hier, à 81 ans.

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Homme de tempérament, inflexible avec de (rares) jeunes élèves qui, au Conservatoire National Supérieur d'Art Dramatique pouvaient tenter de le déstabiliser en osant remettre en cause son enseignement, c'était un homme de scène à la sensibilité d'écorché vif que des controverses ou des indélicatesses pouvaient blesser ou mettre en fureur.

Jacques Toubon alors Ministre de la Culture ne reconduit pas son mandat d'Administrateur de la Comédie Française, en 1993, alors qu'il y officiait (grâce à Jack Lang) depuis trois ans et qu'il pouvait compter sur le soutien de ses collègues et d'une profession qui lui reconnaissaient des talents de directeur d'acteurs et de choix pertinents ou audacieux pour mettre au répertoire soit des dramaturges peu joués, soit des pièces d'écrivains de théâtre reconnus mais dont les partitions n'avaient pas la faveur du public.

Pour la ré-ouverture du Théâtre du Vieux-Colombier qui échut à la Comédie-Française, il avait choisi Le Silence et Elle est là, deux très beaux textes de Nathalie SARRAUTE, dont les titres sont emblématiques de ce qui constitue l'Art dramatique. Si ce n'est le jeu parfois trop boulevardier (malgré lui) de certains Sociétaires d'alors, sa façon bien à lui de faire entendre le scrupule des oeuvres de l'auteur de L'Ere du Soupçon, dans une scénographie sans artifice inutile, avait contribué à les faire mieux connaître. 

Il souffrit sans provoquer d'éclats de cette injustice qui lui valut d'être ravalé à son statut de créateur indépendant. Mais fit plus bruyamment exploser sa colère lorsque, en 1994, son spectacle "Andromaque" d'Euripide, pour le Festival d'Avignon, est accueilli fraîchement par les critiques. Il leur réplique assez vertement puis menace de se retirer définitivement du métier, écoeuré et meurtri, insatisfait de ne pas être admiré par tous. Mais il ne renonça pas, en fait, à continuer son artisanat en s'exposant progressivement moins ou selon ses humeurs et au gré de ses envies réelles. Il trouve, ailleurs qu'en France, des lieux et des scènes qui l'apaisent. Ce qui ne l'empêche pas de revenir par exemple en 1996 pour présenter cet Homme difficile de Hugo von HOFFMANNSTAHL, au Théâtre national de la Colline, qui, n'en doutons pas, faisait sûrement écho à ses tiraillements propres: la pièce tente d'analyser le profil d'un personnage qui, revenu et meurtri par la guerre, constate que "choisir" est devenu un défi, une épreuve pour chacun de ses actes publics et privés.

Il fut le fondateur du Théâtre de Vitry-sur-Scène, écrivit quelques pièces qu'il ne surexposait pas (Un couple pour l'hiver, Avis de recherche...), fuyait au départ les fastes de Paris (il est né à Clermont-Ferrand) pour ensuite y livrer ses fresques qui hésitaient entre une certaine forme de classicisme et des audaces moins conventionnelles. 

Pour avoir vu plusieurs de ses mises en scène, je l'ai davantage apprécié lorsqu'il osait mettre l'accent sur le rythme des comédies italiennes comme celles de GOLDONI, RUZZANTE que lorsqu'il tentait d'accentuer sa recherche d'un théâtre discret. A la suite de Claude REGY qui fut le premier à présenter le dramaturge norvégien Jon FOSSE, avec la radicalité poétique que l'on sait, l'approche de Jacques LASSALLE de ce même auteur était moins convaincante car soucieux de plasticité scénique, son insistance pour souligner les relations picturales de FOSSE avec MUNCH ou d'autres artistes expressionnistes, ne lui permettaient pas toujours d'aller jusqu'au bout de ses ambitions. 

En fait, il fut souvent un homme pris en étau par des contradictions. Rendu misanthrope par une profession qui peut se montrer violente, il était souvent tenté de se retirer mais avait un besoin irrésistible de fréquenter des artistes, des auteurs, des directeurs de scènes. 

Egalement Directeur du Théâtre national de Strasbourg, il a contribué à faire connaître en France les textes de dramaturges d'outre-Rhin, tels Franz-Xaver KROETZ, Anna SEGHERS, HENKEL mais aussi LESSING, Hugo VON HOFFMANNSTHAL (déjà cité). Tandis qu'il puisait dans le répertoire français contemporain aussi bien chez Michel VINAVER que chez Jean-Marie BESSET. Défendant, selon Michel CORVIN dans son Dictionnaire encyclopédique du Théâtre, un "Art du peu (voire "du moins"). 

Antoine VITEZ écrivit cet aphorisme splendide:  "Un acteur n'entre pas en scène. Il apparaît". 

Si Jacques LASSALLE est donc sorti à son tour définitivement de scène, il avait, lucide, de son côté, au préalable noté, dans le volume 3 de ce qu'on pouvait considérer comme son  Journal (à dessein titré "Ici moins qu'ailleurs" -édité chez P.O.L-) , cet aphorisme: "« Je n’aurai fait que du théâtre. Et le théâtre n’en aura jamais fini de me défaire ».

"Défaire" n'est sans doute pas à prendre qu'au sens premier et concret, dans son cas. Puisqu'il aura aussi surtout voulu, au théâtre, "défaire" au sens de "déshabiller" les corps et les âmes de tous les apparats, maniérismes, futilités et accessoires qui les cachent et les encombrent. 

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