Qui a prétendu que Jean-Louis MURAT n'était affecté que par les tracas d'un poète sombre et maladivement maudit? Pour ceux, trop distraits, qui l'écoutaient à peine, l'impression de mélancolie ravageuse est une appréciation trop générale pour être exacte. L'artiste sait aussi s'exprimer de manière quasi primesautière, ne nous y trompons pas.
À l'instar de la précédente chanson évoquée, Le Venin, MURAT a su composer l'une des mélodies les plus entraînantes, voire entêtantes au point qu'entendant les premières notes, on jurerait qu'elles entonnent un air folklorique ancien et connu. L'art majeur, chez lui, de savoir emprunter maintes influences musicales, maints répertoires venus d'ailleurs ou en lointaines époques, n'est plus à démontrer.
Un peu planquée dans la liste des titres qui forment la constellation "Mustango", - album de 1999, fortement et justement recommandé par nombre de ses admirateurs, - la ritournelle Au Mont Sans-Souci vous convie à entrer dans la chandelle très large dessinée par une enfance jamais avare de confessions et plaisirs collectifs ayant vocation de parler au tue-tête de nos souvenirs les plus reculés.
Les enfants forment une ronde
Les monos sont jolies
Allez suer belles têtes blondes
Aux Thermes de Choussy
Allez soigner à l’arsenic
Vos souffles affaiblis
L’air est si doux dans la bruyère
Au Mont Sans-Souci
Dieu les enfants aiment la sieste
- D’eau tout étourdis -
Les filles de Cadet Roussel
Pendant ce répit
Venaient pour une heure à peine
Voir les gars du pays
Venaient chanter dans la bruyère
Au Mont Sans-Souci
J’en pinçais pour une infirmière
Une brune plutôt jolie
Je suivais comme Davy Crockett
Son large parapluie
Au Ciné Vox elle m’emmenait
Voir un Guitar Johnny
Je n’avais qu’une idée en tête
Le Mont Sans-Souci
J’aimais déjà dire je t’aime
Je t’aime je lui dis
Je savais que dans une semaine
Elle serait loin d’ici
Tous ces amours de courte haleine
Embellissaient nos vies
D’un éclat mauve de bruyère
Au Mont Sans-Souci
Les baisers le doux manège
Viens donc je te suis
Sauras-tu tenir ta promesse
Et m’aimer cette nuit
Quand s’entrouvraient à la lumière
Les Portes du Paradis
J’aurais passé ma vie entière
Au Mont Sans-Souci
Herbe têtue rouge calèche
Toboggans rentrés
Le temps est long qui nous ramène
Les filles avec l’été
Quand l’éclat mauve délétère
N’éclaire plus ma vie
Je vais dormir dans la bruyère
Au Mont Sans-Souci.
Hymne apparent et attrayant à la candeur, à l'insouciance, la chanson se déploie sur six couplets qui ne s'embarrassent pas de la contrainte d'un refrain (manie répandue en la plupart des comptines enfantines) mais veille à le remplacer, en chaussant chacun d'entre eux du même vers et leitmotiv qui s'offre ainsi, naturellement, en titre: Au Mont Sans-Souci.
L'endroit et son nom ne sont évidemment pas choisis hasardeusement mais viennent corroborer l'idée que nos jeunes années seraient épargnées de tout tracas. C'est surtout le toponyme d'un massif de la région de La Bourboule, lieu que certaines biographies affirment comme étant celui de naissance du chanteur (et non Chamalières). Et, si l'endroit fêté ne se résume qu'à une banale colline sans prestance particulière, il fut cependant un lieu de repos et de distractions pour enfants, une colonie de vacances devenue aujourd'hui centre équestre. Centre de loisirs? pas vraiment. Puisque la chanson ne manque pas de signaler quelques particularités qui lui sont liées et n'ont rien d'anecdotique.
Murat, en effet, n'est pas l'homme des évocations univoques et encore moins béates. Sans compter que célébrer, même sur un ton grinçant, les "jolies colonies de vacances" est un exercice auquel s'est déjà livré un prédécesseur. Aussi, l'écrivain-compositeur n'oublie-t-il pas de parsemer sa personnelle comptine de motifs bien moins tranquilles, sans pour autant s'appesantir.
À l'éclat blond des lumières et des têtes, du rouge des calèches, riposte la lueur d'un mauve de bruyère, nuançant le tableau. Mais, surtout, ladite colonie de vacances semble parfois prendre des allures plus graves de sanatorium. Les suées, "l'arsenic", les "Thermes de Choussy" et autres "souffles affaiblis" jettent ainsi une ombre, voire un léger froid sur la douceur de l'air ici pourtant rappelée à la mémoire. Malgré tout, l'endroit ne se dépare pas de ses attraits idylliques, surtout quand, entre un répit bienvenu et quelques siestes, l'été respecte sa promesse de favoriser des amours d'autant plus aisées et apaisantes qu'on les sait éphémères. Et "l'infirmière, une brune plutôt jolie" en lieu et place d'une simple monitrice, dans la chanson, se dévoue pour jouer le rôle de conquête inoubliable, même pour un Davy Crockett de circonstance.
Sauf que l'instigatrice d'un embellissement de la vie du jeune garçon sait aussi se montrer moins frivole qu'initialement fantasmée, puisqu'elle l'initiera aussi aux splendeurs d'un "Guitar Johnny", film aux origines semblables à celles du héros texan (lequel défenseur d'Alamo est déjà convoqué, même en esquisse lointaine, dans un autre titre de l'album). On saluera, au passage, l'initiative de Murat d'inverser les nom et prénom du protagoniste du long métrage de Nicholas Ray, l'emploi de l'article indéfini "un" achevant de conférer au plus féministe des westerns, une portée généraliste et un nom devenant générique pour qualifier un genre précis de film, de bon aloi, puisqu'il confie assurément le beau rôle à la bien aimée. Il va de soi que l'usage de l'harmonica (seul instrument, à part le piano, intervenant pour jouer sa musique fortement connotée) se justifie pleinement, en introduction, prévenant ainsi, par un "la" assez sûr de lui, que, sans doute, les références américaines ci-dessus rappelées ne sont pas innocentes, mais aussi que le soin discret apporté à ce choix est éventuellement éloquent pour dire la nécessité du souffle, afin de maîtriser son usage.
De même que, sans insistance mais avec inspiration (si on ose l'écrire), Murat n'oublie pas de filer sa métaphore sur le degré de vitalité des souffles en souffrance de certaines enfances: le choix du nom du cinéma "Le Vox", et surtout le vers "tous ces amours de courte haleine" harmonisent l'ensemble du poème musical et entrebâillent les portes d'un paradis moins convoité pour la qualité de ses attraits que par l'accès au sentiment d'éternité qu'elles font miroiter.
Pas toujours féru d'images à superposer à ses paroles et sa musique, Murat optera pour un clip officiel (produit au moment de la parution de l'album), plutôt réussi et la narration filmique reste très séduisante. Par l'usage généreux des couleurs, la figuration d'enfants aux mines espiègles ou sérieuses, le choix de remplacer l'extériorité d'un paysage enviable par des intérieurs confinés qu'aèrent cependant à peine, derrière les vitres, quelques chiches flocons de neige, l'opposition entre plans verticaux et jeu des champs/contrechamps comme autant de vis-à-vis entre les divers protagonistes permettent de fluidifier les instants où se chamaillent les mômes et ceux qui cernent le chanteur vissé à son piano convoquant, faussement rétrospectivement, ses souvenirs.
Mais on saluera, surtout, la trouvaille consistant à valoriser l'haleine transformée en buée sur les carreaux du logis, carreaux sur lesquels les enfants, par un jeu fortement irrésistible et couramment requis pour défier l'ennui, écrivent, tels des talismans, les mots qui comptent.
Comme le geste final de la petite fille (grimaçant comiquement et chantant exagérément faux pour se moquer de la ritournelle) passant son jouet fétiche, au loin, par dessus la balustrade du balcon, signifiant par là qu'elle est plus que déterminée à abandonner la pulpe réputée soyeuse de l'enfance, le film, ainsi que la chanson, font triompher, malgré l'adversité d'un mal physiologique, la vitalité de ceux qui, pour conjurer leur sort, ne s'avouent pas vaincus à manquer... d'airs... divers... pourvu qu'ils soient le plus souvent ré-enchantés.
Note:
Le cinquième et prochain volet de notre cycle "Saluer MURAT en ses chansons" sera écrit et proposé par Edmey. Qui a choisi de présenter l'album "Murat en plein air", (1993) pour mieux évoquer quelques-uns des divers lieux d'Auvergne favoris de l'artiste.