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Billet de blog 6 septembre 2014

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Michèle Guigon s'en est allée...

Peu ordinaire, et viscéralement artiste, Michèle Guigon, qui a fait partie un certain temps de la compagnie Deschamps/Makeieff, est décédée, avant-hier, à l'âge de 55 ans.

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Peu ordinaire, et viscéralement artiste, Michèle Guigon, qui a fait partie un certain temps de la compagnie Deschamps/Makeieff, est décédée, avant-hier, à l'âge de 55 ans.

En 1983, au TNP de Villeurbanne, se donnait La Veillée une fresque conçue par Jérôme DESCHAMPS, par laquelle il moquait les grotesques travers des animateurs sociaux-culturels. Et Michèle GUIGON, avec son accordéon y singeait une musicienne passionnée mais maladroite. Ce spectacle faisait rire sans gêne, parce qu'il n'avait rien d'offensant à l'égard de quiconque. C'était à une époque où la farce était encore possible, sans être soupçonnée de mauvaises intentions.

Plus tard, en 1989, engagé au Théâtre des Ateliers de Lyon, en qualité de comédien, j'ai côtoyé de près la comédienne-musicienne, pour un spectacle qui s'intitulait Sainte-Carmen-de-Montréal (le titre original était "Sainte-Carmen-de-la-Main" mais pour les français, la "Main" ne signifiait rien: il s'agissait juste du nom d'un quartier de Montréal et le metteur en scène, Gilles Chavassieux, avait eu la bonne idée de faire transposer la pièce et donc de modifier son titre). La pièce était écrite par Michel TREMBLAY, dramaturge et écrivain (pas seulement de textes dramatiques) canadien, qui conçut toute une saga à propos des gens qu'ici on qualifierait "de peu" (à tort).

Quelle histoire, que cette aventure! GUIGON jouait le personnage principal: une chanteuse de cabaret un peu minable, qui encourage, par souci de vertu et de justice, la révolte contre les conditions de travail, de reconnaissance, de ses camarades. Et GUIGON mettait vraiment toute son âme pour interpréter ce rôle délicat, car à l'époque encore pas vraiment à la mesure de ce que l'actualité d'aujourd'hui pourrait supposer.

La femme de Roger PLANCHON, Colette DOMPIÉTRINI, interprétait Gloria, la rivale affranchie de GUIGON, il y avait un pianiste américain, Paul, qui fut chargé de l'adaptation des morceaux de bravoure musicaux-chantés par l'ensemble des personnages imaginés par TREMBLAY. Des élèves sortants du CNSAD (Joëlle SERANNE, par exemple).

Et j'interprétai (mal, je crois, avec le recul) le rôle de Cure-Dents, le vilain tueur de la vedette principale (jouée par GUIGON) qui, dans un monologue final et plutôt trop long, essaie de justifier son geste criminel.

Nous avons joué d'abord chez Charles TORDJMAN au CDN de Thionville, puis à Lyon, enfin à Bruxelles.

C'était un peu surréaliste, à vrai dire. Parce qu'embarqués dans cette histoire, conçue et produite par un théâtre presque indépendant, nous avions parfois du mal à bien saisir le sens exact d'une dramaturgie au fond non pas simpliste, mais limpide. Trop?

La saison suivante, Sainte-Carmen-de-Montréal a été reprise un mois au T.E.P. (Théâtre de l'Est Parisien): période où n'existait pas encore le théâtre national de la Colline qui a fini par concurrencer cette salle du XXè arrondissement de Paris.

Je n'ai pas participé à la reprise, et la moitié de la distribution fut modifiée (pour des raisons de compatibilités avec les exigences de la musique et des chansons, soi disant).

Mais j'ai souvenir d'une Michèle GUIGON tantôt amicale, tantôt féroce voire capricieuse (sûrement par identification au rôle de la pièce de TREMBLAY). Une artiste entière, jamais mesquine ni revancharde. Angoissée aussi, de temps en temps: juste parce qu'elle voulait offrir le meilleur et entraîner tout le monde vers l'excellence.

En 2014, 25 ans après cette équipée un peu risquée (la mode de la pluridisciplinarité n'était pas vraiment répandue), je suis triste, un peu, et je préfère me souvenir que c'est dans une pure fiction inventée par TREMBLAY, que j'ai interprété le responsable de la mort d'une chanteuse brillante, qui se battait contre d'impitoyables ennemis, pas seulement un cancer, mais aussi les ennemis du monde du spectacle, de l'art dramatique, de l'art choral, contre ceux qui exploitent, dans l'indifférence, ceux qui savent distiller quelques notes d'accordéon pour rafraîchir la douleur d'un soir, d'un crépuscule qui s'étire sans jamais vouloir être flamboyant, mais chaleureux.

Merci à elle.

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