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Billet de blog 7 mars 2018

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Anne Sylvestre - 60 ANS DE CHANSONS (2) : le petit grenier

Elle a fêté, l'automne dernier, à Paris, ses 60 années de composition, écritures poétique, musicale. Bien sûr, tout le monde n'a pu s'y rendre et les représentations sont terminées, re-visitons (ou découvrons), pendant quelques jours une chanson de A. SYLVESTRE. Evitons les plus célèbres, qui ne sont pas forcément les moins fortes, aussi parce que les moins connues le sont plus encore...

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Le besoin d'évoquer un cloaque quasi universel restera une sorte d'obsession chez Anne SYLVESTRE qui se souvient qu'elle-même n'était pas totalement libre parce que le parcours de collabo de son père jetait une ombre, voire un opprobre sur son propre chemin. Et risquait de la mettre en cage en tant que "fille de..." 

 SYLVESTRE sait, très jeune, qu'on ne peut pas parler de cela avec aisance. Alors elle se mure contre et dans un silence qui n'a rien d'un refuge pour pleurer. Elle demandera même, à sa soeur cadette, l'écrivain Marie CHAIX (qui fut plusieurs années la secrétaire de BARBARA) qui, elle, risque, dans les mots d'un récit Les Lauriers du lac de Constance(1974) l'évocation de ce passé, de ne rien révéler quant à leur consanguinité.  (selon ses propres aveux dans une émission récente)*. 

Bien que saluée par Georges BRASSENS, la chanteuse Anne SYLVESTRE a du mal à se faire entendre. L'omniprésence des vedettes de la variété populaire, dans ces années-là, puis du disco, ensuite, de la toute-puissance des labels discographiques qui imposent leurs "produits" (Barclay, Philipps, Carrère) obère toute possibilité d'être davantage écoutée. Même si tous les publics n'entonnent pas les refrains plus ou moins sirupeux des Françoise HARDY, SHEILA, Sylvie VARTAN, celles qui proposent une autre approche de la chanson telles Catherine LARA, Jeanne-Marie SENS, Catherine RIBEIRO, Michèle BERNARD, Isabelle MAYEREAU (plus tard) ne sont pas si souvent diffusées à la radio. Cependant que Véronique SANSON apparaît comme une sorte de contre-danse et de tornade qui trouble les sucreries des chanteuses peu regardantes quant à ce que leurs textes évoquent. Ou alors BIRKIN, aidée par son GAINSBOURG de compagnon.

Evoquer la traque, les lieux de refuge pour fuir l'abomination fasciste complice des années 40, en France (ou ailleurs) n'est pas mission aisée, pour coudre une chanson. Et pour se libérer d'une oppression pesant dans sa propre biographie qui finit par être trop lourde. 

Evidemment, on n'exprime pas sinon l'éventuel reniement d'un père, ou sa volonté de maintenir la distance avec lui avec des mots violents, même dans la révolte accablée de sa propre déroute ou d'un ressentiment même excusé. BARBARA en sait quelque chose, qui n'écrira qu'assez tardivement, dans sa carrière "NANTES". 

SYLVESTRE, à part dans une chanson qui dit déjà le sentiment d'enfermement que lui procure la certitude d'être éventuellement prisonnière d'un secret trop encombrant qu'elle n'a bien sûr pas choisi, (La ptite hirondelle) écrira surtout, en 2003, elle aussi tardivement (mais on ne saurait lui en faire le reproche) une chanson déterminante et bien plus frondeuse, à ce sujet.

Et cette chanson, Le ptit grenier (on remarquera que le qualificatif "petit" réduit à "ptit" aussi bien pour l'oiseau réputé pour signaler l'avénement du printemps que pour le refuge en soupente contraint est dans les deux cas, choisi)  a ceci de très précieux: elle conjugue bien des motifs qui évoquent à la fois la verticalité dangereuse du refuge obligatoirement improvisé, mais aussi ses étendues horizontales limitées. Surtout, le vertige, le dégoût, le malaise qu'on ne peut qu'éprouver en mesurant les disproportions entre les raisons d'une traque aléatoire et les risques encourus. De quoi avoir, durablement, le coeur tout barbouillé...(  C'est le refrain). Mais les motifs d'horizontalité et de verticalité apparaissent aussi avec les jeux de marelle ou de "chat perché", au début de la chanson. Ou parce qu'il fallait porter Lise et Sarah qui ne marchaient pas. Qui, comme les pulpes douces de l'insouciance propres à l'enfance, s'évanouissent. Ce temps est révolu: il faut, obligatoirement, pour atteindre ce refuge, grimper par une échelle qu'on installait dans l'escalier.  Plus éloquent, enfin, est le leitmotiv qui s'immisce dans la chanson et qui se rapporte à la nécessité de ne faire aucun bruit, de se taire, d'être aussi silencieux que des souris. Silence obligé aussi bien pour les enfants que pour la chanteuse contrainte si souvent au bâillon ? 

L'horizon, dans cet enfermement décrit et non choisi est évidemment très étriqué. C'est à peine si on aperçoit, par des fentes, dans cet endroit de réclusion, le Ciel et un bout du clocher (discrètes mentions d'un Dieu qui devrait normalement veiller à ce que personne n'atterrisse dans pareil cloaque, mais pris en flagrant délit d'absence, de déshérence absurdement obstinée?). Le monde est rétréci:  le plafond était tout en pente et David se tenait penché. Il l'est aussi dans l'interdiction de parler trop fort, une fois la trappe du piège/refuge refermée. "Vous taire n'était pas facile mais vous l'aviez bien vite appris": comment ne pas "entendre" dans ces mots, l'aveu éventuel d'Anne SYLVESTRE d'une lucidité sur ce qui peut s'exposer ou doit faire silence?

Ce Ptit grenier se perfectionne grâce à une partition et une harmonisation musicales progressivement cahotantes (à dessein), au fur et à mesure des couplets. Qui disent bien le malaise, le vertige, le déséquilibre notoire et ressenti par ceux qui sont obligés de se taire, se terrer et rester immobiles. Et attendent de ne plus trembler, baisser, courber la tête dans le confinement d'un lieu provisoire, absurde. Injuste. 

(*) https://www.franceinter.fr/emissions/l-heure-bleue/l-heure-bleue-26-septembre-2017

Anne SYLVESTRE - Le p'tit grenier © QueenRockPink

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