Denys Laboutière (avatar)

Denys Laboutière

Conseiller artistique théâtre, écrivain, traducteur

Abonné·e de Mediapart

220 Billets

1 Éditions

Billet de blog 7 novembre 2017

Denys Laboutière (avatar)

Denys Laboutière

Conseiller artistique théâtre, écrivain, traducteur

Abonné·e de Mediapart

Autrement Barbara (2) PERLIMPINPIN ("c'en est assez de vos violences")

Alors que se multiplient les hommages à l'auteur-compositeur-interprète BARBARA, avec plus ou moins d'inspiration ou d'opportunisme, livrons un petit panthéon personnel des chansons qui ont le plus compté, depuis que sa voix, son âme nous ont fait pressentir que personne, sans doute, ne saurait l'égaler dans l'expression libre d'une sensibilité que la pure Passion a toujours abritée.

Denys Laboutière (avatar)

Denys Laboutière

Conseiller artistique théâtre, écrivain, traducteur

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

La chanson est bien sûr connue des passionnés de Barbara. Mais elle est si importante dans son histoire et sa discographie, que la mettre de côté eut été bien désinvolte. Espérons que ceux pour qui le répertoire de la Chanteuse de Minuit n'est pas familier, cependant, que la découverte de cette aubaine soit l'occasion d'en savoir un peu plus à son sujet.

Son titre est fondamental, car évocateur du langage de la magie ou des remèdes fallacieux propres à provoquer des miracles. Il mène, en tout cas, celle ou celui qui écoute attentivement ce chant, non vers des paradis artificiels, mais vers un endroit précis. Concret et symbolique, il concentre la possibilité d'émerveillement face à "une rose entr'ouverte ", des signes de vitalité (pourtant tragiquement menacée) : "respiration", "souffle d'abandon", "jardin qui frissonne" : autant de mots judicieusement choisis et assemblés dans leur simplicité, pour rendre vivant ce périmètre d'espace où se défendre, voire se réfugier, contre les barbaries. 

Lorsqu'on s'aventure dans le XVIIè arrondissement de Paris, notre rite personnel est immuable (au risque, comme ce fut le cas une fois, de retarder le passage à table lors d'une invitation à dîner qu'on faillit oublier): impossible de ne pas allonger le parcours, où qu'on aille ou d'où qu'on vienne, lorsqu'on n'est pas loin de lui, vers un Square qui n'a guère d'équivalent: celui des Batignolles. Un très court pèlerinage, chaque fois, se propose -sans s'obliger sauf à se reprocher, plus tard, si on l'omettait, d'avoir esquivé l'occasion- de parcourir une fois de plus ce jardin agrémenté d'une grotte, d'un "lac" (miniature), d'un ruisseau, d'une cascade, d'une serre, de sculptures ("les vautours"), de se vautrer sur un de ces bancs verts, pour laisser l'imagination s'ouvrir à des pensées souvent confuses mais toujours ferventes. 16 000 mètres carrés voulus, sous le Second Empire par Napoléon III (épris d'espaces verts "à l'anglaise")  et aménagé, sous la houlette du Baron Haussmann, par l'ingénieur des Ponts-et-Chaussées Jean-Charles Adolphe Alphand et l'architecte Gabriel Daviout, aidés par l'horticulteur Jean-Pierre Barillet Deschamps. 

La Ville de Paris eut la bonne idée de baptiser un sillon du parc Allée Barbara, en janvier 2008. D'abord parce que Monique-Andrée CERF (son véritable patronyme) est née tout près, au 6 de la rue Brochant, et l'on imagine très bien que, pendant les 7 ans où elle vécut là, quelques promenades ont dû divertir ses après midis enfantines. Ensuite, parce qu'auteur de la chanson "Perlimpinpin", elle célèbre, à sa façon, ce square et qu'ainsi, cette conjonction de circonstances ne pouvait qu'affermir la pertinence d'un tel hommage.

La chanson s'ouvre avec des notes musicales à tonalité dramatique, voire cérémonieuses, choisies comme pour un cortège funèbre. Puis fusent très vite, glaciales, coupantes, les questions d'une inquisition qui taira jusqu'à la fin (à dessein), son nom: "Pour qui comment quand et pourquoi contre qui comment contre quoi" puis "D'où venez-vous où allez-vous qui êtes-vous qui priez-vous": ordres anonymes d'une milice qui tape à l'aveugle et que Barbara se garde bien d'identifier: elle sait que toutes, à toute époque, se ressemblent. Et enchaîne "Pour qui comment et pourquoi s'il faut absolument qu'on soit contre quelqu'un et quelque chose", avant de riposter qu'elle, elle est "pour les soleils couchants, en haut des collines désertes, pour les forêts profondes". 

Et ce sont ces premières paroles-là qui vous reviennent lorsque, sur votre banc vert, allée Barbara, square des Batignolles, à Paris XVIIè, en février, en août, en octobre, alors que "le soir se penche", vous regardez des enfants s'ébattre au milieu des oiseaux ou observant, fascinés, une assemblée de canetons et poussant leurs cris de liberté.

Perlimpinpin est troublante et (forcément) marquante parce qu'elle tait sûrement encore plus que toute autre chanson de Barbara, l'aveu direct, la violence dont la chanteuse fut victime, à cause d'un père aux désirs détraqués. Sans compter que, pendant cette période déjà âpre pour elle, commence la traque des Juifs et que la famille de Barbara sera obligée de déménager (trop) souvent pour fuir le projet des nazis d'éradiquer "tous ceux-là". Elle ne condamne, cependant personne: "que c'est abominable d'avoir à choisir entre deux innocences". Elle pressent déjà que pères incestueux et soldats esclaves d'une idéologie aveugle sont peut-être, eux-mêmes, les marionnettes de pouvoirs illusoires.

Le square des Batignolles constitue donc, pour elle, et donc pour nous, l'endroit idoine - métonymie de la Liberté absolue-, où rassembler des souvenirs confus d'enfance, discrètement personnels mais qu'elle universalise. Le goût de l'eau, le goût du pain, le goût du perlimpinpin: mettant ainsi sur un même plan des denrées vitales.

Puisque, oui, selon elle (et pourquoi la désavouer?) même l'imagination, la crédulité, la marchandise des rêves trompeurs valent mieux que l'aridité d'un réel qui tue. Et permettent -sûrement- de (sur)vivre...

Barbara - "Perlimpinpin'' 1973 © chanson defrance

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.