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Billet de blog 9 février 2014

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"L'HOMME EN TROP" selon quelques poètes dramatiques et selon Michel CORVIN

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On pourrait aisément s’abuser quant à l’essence même de ce qu’est le Théâtre : l’art dramatique, scénique OU littéraire, ne doit-il s’intéresser infailliblement qu’à l’Homme, puisque tout partirait de lui et ne saurait manquer de sans cesse le désigner, le célébrer, le moquer, bref, le « cerner » ? au XXè siècle – au lendemain de la prise de conscience de ce que furent la Shoah et Hiroshima, la notion même d’anthropocentrisme a inéluctablement fait encore davantage vaciller ces certitudes et provoqué sa critique il y a plus de cent ans (tout comme pour la peinture, la littérature après 1945).

 Car, non, s’obstinent heureusement encore certains artistes aujourd’hui :  l’Homme n’a pas forcément vocation à occuper, en tant que figure centrale de la Représentation, le rôle primordial qu’on lui prête exagérément.

Quiconque en douterait devrait aussitôt se documenter grâce à l’analyse argumentée par l’un de nos plus brillants essayistes : Michel CORVIN qui publie, en ce début de février, un livre instructif intitulé L’Homme en trop  et sous-titré l’abhumanisme dans le théâtre contemporain .

 MICHEL CORVIN L’UNIQUE ENCYCLOPÉDISTE THÉÂTRAL EUROPÉEN? (ET L’ESSAYISTE QUE REDOUTAIT ANTOINE VITEZ).

 Pour les praticiens, critiques, universitaires et amateurs de théâtre, Michel CORVIN est avant tout le concepteur d’ouvrages fondamentaux, au premier rang desquels le Dictionnaire encyclopédique du Théâtre, publié chez BORDAS, depuis 1991 et dont les éditions successives se sont enrichies, au fil des ans, de nouvelles notices, fait figure incontestable d’autorité. La somme de pareilles éditions et du travail de ses nombreux collaborateurs forcent l’admiration, - à raison : il n’y a pas même l’équivalent, à notre humble connaissance, dans d’autres pays européens, d’une telle somme de données historiques -. Il fallait donc bien que ce soit un chercheur français qui invente, en habile "honnête homme", de telles anthologies, de tels florilèges, dignes de l’esprit des Lumières.

 Qu’il s’agisse de l’art de l’acteur, de la mise en scène, de dramaturgie, de technique, de pratiques, ces dictionnaires trônent forcément en belle place sur les rayonnages des passionnés de théâtre et des institutions.

 On sait, sûrement moins, que Michel CORVIN – Professeur honoraire de l’Université Paris III-Sorbonne Nouvelle Censier/UFR Etudes théâtrales - a aussi fréquenté réellement des auteurs tels que COPI, qu’il a été l’auteur malicieux, par exemple, d’un article sérieux destiné à la revue « Théâtre/Public » intitulé « Les metteurs en scène sont-ils misogynes ? », interdit de parution, à l’époque (à la fin des années 80) par le metteur en scène Antoine VITEZ qui vit « rouge » de se voir ainsi désigné parmi d’autres créateurs scéniques les moins inventifs quant à leur façon de représenter la figure des femmes, dans certaines de leurs réalisations théâtrales. Lequel VITEZ fit pression, donc, auprès de ladite revue, pour que cet article ne puisse être publié (1). Or, CORVIN ne réglait évidemment aucun compte avec l’ex directeur du Théâtre national de Chaillot: il composa, par ailleurs, aussi, un éloge détaillé quant à l’approche innovante des textes, par VITEZ, pour ses mises en scène fameuses (tels Catherine d’après Les Cloches de Bâle de ARAGON ou encore la mise en perspectives , par l’ex-administrateur de la Comédie-française, de 4 partitions majeures de Molière, Dom-Juan, Le Misanthrope, Tartuffe, L’Ecole des Femmes).

 Il ne s’agit pas là d’évoquer ce qui relèverait de l’anecdote, pour le simple plaisir de la mentionner : il s’agit de faire mesurer à quel point même les créateurs les plus instruits dramaturgiquement, pouvaient aussi refuser qu’on les prenne en défaut sinon de sensibilité, tout au moins de pertinence. À l’heure où tous sont invités à respecter la parité Femmes-Hommes, en toutes circonstances, bien peu s’émeuvent, en effet, de la façon qu’ont certains artistes de continuer à véhiculer une représentation passéiste - même inconsciente -  des relations entre hommes et femmes.

Passons, puisque, justement, là n’est justement pas vraiment le sujet…

 M. CORVIN est, aussi et surtout, l’auteur de l’appareil critique du théâtre de Jean GENET, dans l’édition de la Pléiade, (décliné, ensuite, dans les diverses éditions de poche Folio-Théâtre/Gallimard), d’un essai sur l’esthétique théâtrale des années 20 (éditions l’Age d’homme).  Mais aussi d’un livre à propos du scénographe SPOLIERI. Egalement d’un ouvrage relatif à l’œuvre de NOVARINA, aux éditions Les Solitaires Intempestifs, en 2012 (2).

Bref, on le voit, la bibliographie de l’auteur CORVIN est variée et constante.

UN NOUVEL OUVRAGE PLUTÔT INDISPENSABLE

 L’Homme en trop est, selon nous, l’ouvrage essentiel qui synthétise plus de 50 années de recherches dramaturgiques fondatrices du théâtre contemporain :

-Parce qu’il constitue des passerelles fondamentales entre questionnements philosophiques et dramaturgiques et évidemment non circonscrites malgré le sous-titre du livre, aux seuls champs du théâtre et de l'esthétique contemporaine.

-Et que, de Claude RÉGY à Valère NOVARINA, en passant par Antonin ARTAUD, Paul CLAUDEL, Edward G. CRAIG, Jean GENET, Alfred JARRY, Samuel BECKETT, Jean TARDIEU, Eugène IONESCO, Tadeusz KANTOR, Sarah KANE, Bernard-Marie KOLTÈS, Maurice MAETERLINCK, (pour mentionner les plus souvent évoqués et cités), ou encore Howard BARKER, Samuel BECKETT, Botho STRAUSS, Thomas BERNHARD, Martin CRIMP, ESCHYLE, Peter HANDKE, Anja HILLING, Stéphane MALLARMÉ, Blaise PASCAL, William SHAKESPEARE ainsi que d’autres personnalités plus discrètement référencées (acteurs, auteurs, metteurs en scène), ne sont oubliées et qu’il est réjouissant de s’interroger, grâce à CORVIN, et en compagnie de ces inventeurs d’un « autre théâtre », quant à la primauté et à la pertinence de la présence obligatoirement relative de l’Homme sur les scènes théâtrales, on ne peut que constater, avec RÉGY que « ce qu’on voit sur la scène ne doit pas se prendre pour l’objet du spectacle » (je cite de mémoire, mais l’axiome de l’auteur d’Espaces perdus, est désormais plutôt connu).

-Qu’on finira par savourer, donc, ce livre, afin de continuer à ne pas toujours chercher, malgré les figures imposées par la plupart des spectacles d’aujourd’hui qui se croient devoir contribuer au questionnement sociologique, psychologique voire (plus rarement) philosophique  à propos de l’humanité, des explications péremptoires sur la pseudo nature de l’Homme revisitée par les metteurs en scène contemporains se sentant contraints de deviser, autopsier toujours celle-ci.

 CORVIN explique très bien, au fil de ses pages, en quoi, surtout, la figure du personnage-acteur, demeure irrésolue et inapte à justement rendre compte de la complexité à propos de la définition, de la "peinture" de l’homme d’aujourd’hui (3). Il ré-interroge surtout intelligemment les notions capitales de comédien, de personnage, de personnalité, d’acteur, et, bien sûr, l'un de ses corollaires propices à la distanciation: la figure de la marionnette tant prônée par des écrivains tels MAETERLINCK et IONESCO, toujours, de nos jours, active et essentielle. Et qu’il s’agit donc de bien dissocier ces notions, si l’on veut correctement savoir de quoi l’on parle, à propos de la pratique d’un art éminemment complexe, quant à sa nature, même. Et, surtout, de son essence.

BIEN SÛR, CLAUDE RÉGY…

 Sur ces problématiques, il aurait été inconcevable que pareil ouvrage critique fasse l’économie de la pratique scénique d’un metteur en scène tel que Claude RÉGY, viscéralement entêté à proposer une esthétique théâtrale qui les croise, justement. Globalement, pour ceux qui ne connaîtraient pas RÉGY, précisons que celui-ci depuis une trentaine d’années, vise à réduire la part trop importante qu’on accorde au principe de « représentation ». RÉGY est farouchement contre cette notion pour lui devenue galvaudée : elle le contrarie parce qu’elle amenuise, selon lui, d’autres questions qu’il estime plus adaptées à libérer de l’imaginaire chez le spectateur et surtout pas en tant que processus d’imitation d’une pseudo réalité objective. Ce n’est pas pour rien si RÉGY a été le défricheur de dramaturges-écrivains tels que DURAS, MAETERLINCK, HANDKE, STRAUSS, JON FOSSE, ARNE LYGRE et jusqu’aux textes de la Bible qu’on ne saurait soupçonner de s’attarder à dépeindre l’Homme sous ses aspects les plus indifférents et anecdotiques.

Soupçonneux à l’égard des notions académiques d’espace scénographique, de présence, d’interprétation, et plutôt attentif aux notions de rythme, d’énonciation, de mythes, de dérèglement des sens spatio-temporels, d’une approche de la mort et du non-être comme valeurs égales à celles de la vie et de l’existentialisme tant ailleurs prônées, RÉGY a résumé par exemple sa conviction (aidé en cela, presque à ses débuts de metteur en scène par ses complices SARRAUTE et DURAS et jusqu'à des écrivains comme PESSOA et VESAAS) que le non-déterminé doit primer pour les agrandir, investir des zones insoupçonnées de perceptions de réalités à tort dédaignées et puisque l’artiste déplore qu’on s’acharne à le représenter « comme si l’homme n’était pas multiple, n’était pas, de fait, totalement indéterminé, aussi indéterminé , encore maintenant que le fut l’univers avant sa création » (4).

RÉGY est, dès lors, pour CORVIN et son Homme en trop, un allié, un fil rouge qui l’accompagnent tout au long de son livre et il s’y réfère naturellement très régulièrement, dans chacune des parties.

DES VOIX ET DES MOTS SANS PERSONNE ?

 Mais il convoque évidemment aussi dadaïstes ou représentants du mouvement artistique comme le Bauhaus, des plasticiens tels RICHTER ou GOETZ, MALLARMÉ et MAETERLINCK, ainsi que IONESCO, CRAIG, ensemble embarrassés par une représentation dans le rétroviseur, selon eux inefficace, imparfaite, par exemple, d’Hamlet :

« Quelque chose d’Hamlet est mort pour nous, le jour où nous l’avons vu mourir sur scène » (MAETERLINCK, cité par Didier PLASSARD, in L’Acteur en effigie).

Ou encore :

« Les pièces de Shakespeare, dans leur grandeur, me semblaient diminuées à la représentation.  Aucun spectacle shakespearien ne me captivait autant que la lecture d’Hamlet, d’Othello, de Jules César » (IONESCO,  in Notes et contre-notes).

 Tandis que, les faisant se rejoindre, CORVIN accorde à JARRY, MALLARMÉ et à NOVARINA, le souci d’une pensée commune, bien sûr non concertée, à propos de l’Homme que seul le langage serait habilité, sur scène, à en balbutier la raison de « paraître » en s’effaçant, au bénéfice de ses contours, puisque le personnage n’est qu’un être de papier, de langage : «  L’œuvre pure implique la disparition (…) du poète qui cède l’initiative aux mots » (MALLARMÉ, in Divagations), et rappelle que NOVARINA, l’auteur de L’Opérette imaginaire aime à « laisser penser les mots »  ou que, selon Tristan TZARA, « La pensée se fait par la bouche ».

 Considérations essentielles auxquelles le dramaturge allemand Heiner MÜLLER, en 1991, dans ses bien nommées Fautes d’impression, traduites et publiées chez l’Arche, apporte lui aussi sa contribution, sur l’importance acquise par les valeurs essentielles du texte et de la parole, du langage, de leur musique, s’éloignant ainsi des dialectiques purement politiques : « Les bons textes vivent de leur rythme et distillent leur message à travers ce rythme et non par la transmission de l’information ».

 ECLIPSES ou QUE FAUDRAIT-IL ÉVENTUELLEMENT ÉJECTER DES PLATEAUX ?

 « Comment éjecter le cochon de la scène? » ironisaient ensemble les artistes Jean-Louis HOURDIN, Olivier PERRIER et Jean-Paul WENZEL, lorsqu’ils ont créé, en 1978 et en préfiguration de la création du CDN de Montluçon d’alors, un spectacle aimablement intitulé Honte à l’humanité, dont chaque spectateur peut se souvenir, puisque la vedette principale en était …une truie prénommée Bibi, cabotine à souhait, exerçant naturellement une fascination béate et irrésistible, chez tout spectateur car tenant la dragée haute sur la présence, autour d'elle, d'acteurs eux aussi en chair et en os, mais ne pouvant rivaliser avec pareille "monstration"… comme quoi, semblaient nous dire les 3 compères, c’est en biaisant la représentation naturaliste et humaniste, qu’on finit souvent par mieux représenter… l’Homme (acteur ET spectateur). (5)

 S’agit-il, pour autant, dans l’ouvrage de CORVIN et selon les poètes qu’il célèbre à l’aune de cette problématique de l’abhumanisme, d’éjecter l’Homme des plateaux ? Certainement pas, mais pas vraiment non plus d’en énoncer, en la racornissant au risque d’être lacunaire, donc, une représentation figurative et anecdotique.

 Plus proche de nous, à l’aube du XXIè siècle, l’artiste pluridisciplinaire qu’est Heiner GOEBBELS ne s’y trompe lui non plus jamais. L’une de ses dernières fresques, Stifters Dinge, réussit la prouesse de fasciner le spectateur en représentant, justement, en creux, tout ce qui ressortirait d’une représentation humaniste. (6) Puisque, en lieu et place d’acteurs, seules des machines animent le plateau, qu’accompagnent, dans des haut-parleurs, des voix sans… personne (pour paraphraser Jean TARDIEU).

 Et, toujours selon Michel CORVIN, à l’opposé, Pippo DELBONO ou Romeo CASTELUCCI labourent chacun à leur manière, les sillons sauvages et fertiles de représentations spectaculaires où le corps est parfois exhibé outrancièrement, jusqu'à l'abstraction contradictoire, et qu’un « non-acteur » comme Bobo, sourd-muet, emprunte, par sa seule présence sans jouer, la défroque d’un personnage de BECKETT (RÉGY aussi a fait parfois appel à des acteurs non doués d’ouïe ni de parole). C’est alors qu'un projet semblable proposé par Rodrigo GARCIA globalement explique judicieusement que: « Décrire un espace, créer des personnages (…) : à ne jamais faire. Ici (…) les noms sont ceux des comédiens pour lesquels je suis en train de travailler, auxquels je pense lorsque j’écris le texte. Il ne s’agit donc pas de personnages, mais de personnes. » (7).

 En ce début de XXIè siècle qui semble parfois, en France en tout cas, paresseusement inciter à opérer des retours en arrière, quant à cette approche et conception de la représentation théâtrale, -désormais, en bien des lieux de création et de diffusion théâtrales, ou entre les pages des pièces qui s’écrivent aujourd’hui, on assiste à une déperdition de cette question à propos d’un art réputé « d’essence supérieure » (MALLARMÉ)- et qu’on a tort de négliger au profit d’une préoccupation plus que suspecte de faire rivaliser le Théâtre avec d’autres formes de représentation uniformément et faussement illustrative, partiale, terroriste, par exemple audiovisuelle, par le truchement de la télévision, les téléfilms, les séries, le cinéma - et bien que ce dernier se soit efforcé, dans les années 70 à 90 (pour dire vite), de dépasser aussi cet enjeu d’une représentation figurative ou psychologique, sociologique de l’humanité : voyez ANTONIONI et son film L’Éclipse, tout à fait, selon nous, représentatif de cette tentative cinématographique de proposer poétiquement la démonstration que l’Homme ne peut plus occuper (autrement qu'en creux et par défaut) la place prépondérante d’une cible univoque de « représentation » peu ou prou réaliste des agissements de l'Homme.  À noter qu' Eclipse est également le titre d’une très jolie fable de l’auteur Christian CARO (publiée à l’Avant-scène Théâtre) qui réussit la gageure de faire parler, à l’instar d’une COLETTE et de son Enfant et les sortilèges, des objets (une voiture, le cadre du Président de la République, un pot de peinture et le mur d’une Mairie).

"A 'XISTE PAS"...

 L’Homme en trop est un livre majeur puisqu'il ne juge rien, ne moralise rien, mais expose scientifiquement parlant, les approches de l'humanisme et de l'abhumanisme. Osons cette hypothèse, même: finalement constitue presque, à sa façon, une sorte d'approche encyclopédique bien sûr autrement présentée et rédigée que dans les dictionnaires précédents de CORVIN, puisque débarrassée de ses contraintes et principes de présentation par index, sans commentaire, au profit, cette fois d’une superbe et savante, puisque synthétique réflexion, et, de surcroît parfaitement écrite, fluide, par l’un des meilleurs critiques éloquents, spectateur infatigable et curieux de saisir, consigner dans son ouvrage, par rebonds successifs, ce qui fonde la prétention universelle au risque de l'appauvrissement artistique que guette l'esthétique théâtrale contemporaine : convoquer soi disant toujours l’Homme au sens générique mais toujours de façon plus étriquée dans son acception, dont l'art dramatique abusivement consensuel pense qu’il ne saurait se débarrasser de la manie d'en décrire ses moeurs et agissements confus, ambigus.

Alors que, on le sait, grâce à un Jean TARDIEU, ceux-ci devraient, plutôt qu'être dépeints et étourdiment instrumentalisés, jusqu'à en être présentés de manière tronquée, imparfaite, comme c'est encore trop souvent le cas aujourd'hui, tout au moins, finiront toujours par s'envisager et se résumer, infailliblement par exemple, par le biais de ces rimes à dessein très pauvres, autrefois souvent ânonnées telle une comptine enfantine dans les salles de classe d’écoles primaires, et rendant compte, métaphysiquement et simplement, de l’angoisse existentielle et dérisoire, néanmoins universelle:

- Quoi qu'a dit ?

– A dit rin.


-Quoi qu'a fait ?

- A fait rin.


-A quoi qu'a pense ?

- A pense à rin.

-Pourquoi qu'a dit rin ?
Pourquoi qu'a fait rin ?
Pourquoi qu'a pense à rin ?

- A' xiste pas.     (8)

Ainsi, à notre humble avis, tout metteur en scène, qu’il soit professionnel ou amateur, tout étudiant, s’il veut exceller dans la pratique surtout pas approximative de son art, devra feuilleter, hasardeusement ou non, mais régulièrement, cet Homme en trop de CORVIN. Juste pour aiguiser, un peu plus, son intelligibilité quant à la nécessité esthétique d’une représentation ontologique , ne serait-ce que par ses revers, ses limites et… plus que par ses défaillances éventuellement comportementales ou par ses défauts: sa faillite intrinsèque et inéluctable.

 NOTES :

(1) :  Dans son article d’alors (1986), CORVIN ne souhaitait pourtant provoquer aucune polémique. Même si, malicieusement, il tentait déjà d’analyser comment les figures féminines étaient représentées à l’époque par la plupart des metteurs en scène, il considérait par exemple que VITEZ continuait de faire jouer certains personnages "féminins" selon des points de vue trop "masculins", tandis qu'un RÉGY, avec la figure de NOVA, pour le poème Par les villages de Peter HANDKE, proposait, au contraire, un langage et une pensée débarrassées de cette dichotomie abusivement dissociative (aidé, en cela, par l’actrice Claude DEGLIAME qui réussissait à tenir la gageure de maintenir la duplicité d’une incarnation/désincarnation à la fois humaniste et non figurative, et principalement par sa voix, un hiératisme non formel mais contribuant à dé-sexualiser justement la parole et la portée du discours).

(2) :Marchons ensemble, Novarina ! (Vade mecum), Les Solitaires Intempestifs, 2012

(3) : http://www.solitairesintempestifs.com/livres/496-l-homme-en-trop-9782846813990.html

(4) : Claude RÉGY, L’Ordre des morts, Les Solitaires intempestifs, Besançon, 1999, cité par CORVIN in L’Homme en trop, p.68

(5) : on peut regretter que l’évocation de ce spectacle dans le chapitre « Un théâtre pour insectes et bestiaux » n’ait pu prendre place plus importante (excepté dans une note de bas de page très judicieuse) dans l’ouvrage de M.CORVIN, mais tout livre n’est pas non plus obligé de prétendre à l’exhaustivité et ce n’est pas le moindre mérite de L’Homme en trop que de justement faire appel, chez le lecteur, à ses propres souvenirs à propos de spectacles qui ont contribué, parfois sans le vouloir ni le savoir, à cette question de l’abhumanisme théâtral.

(6) :  Heiner GOEBBELS est l’invité, en mars 2014, de la prochaine biennale Musiques en scène initiée par le GRAME, à Lyon ; Stifters Dinge, I went to the house but did not enter, Max Black seront ainsi présentés sur diverses scènes de l’agglomération lyonnaise ; on aurait tort de se priver d’assister encore aux fresques de ce génial inventeur scénique et musical ;  le programme est disponible ici : http://www.bmes-lyon.fr/programme

(7) :  Rodrigo GARCIA, Notes de cuisine, Besançon, Les Solitaires intempestifs, 2002

(8) : Jean TARDIEU,  La Môme Néant,  1951.

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 Michel CORVIN, L’homme en trop (l’abhumanisme dans le théâtre contemporain), éditions Les Solitaires Intempestifs, Besançon, février 2014, 19 euros.

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