Mon manque d'à propos et de prédisposition pour le modernisme finiront par m'égarer plus que je ne le suis.
Dans la revue de détails rapide que j'ai établie, avant hier, sur mon billet à propos de la métamorphose progressive d'un lieu comme le TnP de Villeurbanne, j'évoque, entre autres, l'espace de restauration désormais disponible pour les spectateurs, aux proportions assez enviables. Tandis que je rappelais qu'autrefois, ce Théâtre ne considérait pas comme indispensable de proposer un tel service. Or, Eve Beauvallet, journaliste à Libération a édité, ce matin même, un article qui m'a confondu en réflexions successives et m'aurait presque fait regretter de passer pour un austère dédaignant les plaisirs de la Table, surtout dans les Centres Dramatiques Nationaux, lieux éminents (faut il le rappeler?) de création.
Pour citer correctement ma source, le lecteur devra lire au préalable, ou conjointement, ou après, ledit billet, reconnaissable entre tous, ne serait-ce qu'avec son titre, comme d'habitude friand de jeux de mots qui sont devenus la marque même de l'identité Libération : "Les théâtres jouent cartes sur tables". Une lectrice (ou un lecteur) plus distrait(e) remarquera à peine qu'il est classé, par le quotidien lui-même, dans une rubrique intitulée "Bonnes bouffes".
La reporter expose la préoccupation, paraît-il désormais la tendance, et presque tout à fait acquise à présent, des lieux de décentralisation théâtrale, d'assumer leur identité "hybride".
Car oui, on ne franchirait plus les portes d'un Théâtre pour simplement écouter 7 heures de la prose ou de la poésie de Paul CLAUDEL et que, si l'on est envoûté, on oubliera plus volontiers l'inhospitalité des lieux (c'est Eve BEAUVALLET qui l'écrit), mais aussi, et même plutôt, désormais, pour y consommer "une cuisine du marché raffinée, bio, de la «slow food» pas chichiteuse au rapport qualité/prix plutôt sidérant (entrée/plat ou un plat/dessert pour 13,50 €). De quoi drainer une population d’employés d’entreprises et d’habitants du quartier dont la majorité n’avaient jamais poussé les portes du T2G." (fin de citation de l'article).
DES JEUNES QUI VIENNENT FAIRE LEURS DEVOIRS MAIS DES VIEUX QUI NE FONT PAS LES LEURS...
Prudente, la journaliste n'oublie pas de préciser, bien qu'admirative des performances du restaurant baptisé du nom très inventif (si, si!) et primesautier de "Youpi Voilà" (c'est vrai qu'appeler un restaurant de théâtre "Soupe de poulet à l'orge" ou "Des frites, des frites, des frites" titres de pièces du défunt dramaturge britannique et accessoirement communiste ou loin s'en faut, Arnold WESKER, aurait été trop crypté et pas assez racoleur) du T2G (le Théâtre de Gennevilliers, CDN sis en banlieue parisienne, dont on a souhaité, par pudeur, changer le nom, au temps de Pascal RAMBERT, pour n'effrayer plus personne en Ile-de-France, à l'idée de se rendre dans une ex ville méchamment communiste), que, selon son Directeur actuel " Ça paraît bête, mais de voir des jeunes qui d’un coup on envie de venir faire leurs devoirs ici dans l’après-midi, ca change l’humeur de la maison», entend-on. Pour autant, personne ici n’est naïf : «Bien sûr, les clients du midi ne seront pas immédiatement les spectateurs du soir. Mais là n’est même pas le sujet, explique Daniel Jeanneteau. Il est urgent de multiplier les raisons de pousser les portes de nos théâtres, d’en faire des lieux aussi attractifs et beaux que le Théâtre du Soleil, exemplaire sur la convivialité. "
J'ai presque eu envie de rire en lisant ces lignes! était-ce bien l'ex scénographe de Claude RÉGY et auprès duquel il eut la chance pendant dix ans de collaborer, qui exposait ainsi cet avis si novateur? les Théâtres, comme celui qu'il dirige (depuis 2016 et où il n'a pas encore tellement risqué, depuis, de créer quoi que ce soit dans ce CDN?) n'ont donc plus de raison d'être que d'être des salles d'études pour y réviser ses leçons?
Qu'attend donc Monsieur JEANNETEAU pour satisfaire les missions pour lesquelles il a été nommé par Mme AZOULAY? L'a-t-on prié d'installer des terrasses végétalisées sur le toit de son théâtre? il a peut-être une formation de scénographe, il n'est cependant pas voué à aller se promener au Japon (où, apparemment il se rend plus volontiers et souvent que dans les théâtres européens)? qu'attend-il pour consacrer un peu plus des subsides tout de même confortables qu'il reçoit pour être attentif aux écrivains de théâtre contemporain? à les soutenir et les produire?
MÉTIERS, PROFESSIONS...
Que veulent dire, désormais, ces métiers, ces professions - pas seulement dans le milieu du spectacle puisque désormais, à la SNCF on vous vend des concerts de piano en pleine gare, à la Poste des forfaits payants pour veiller sur vos parents en allant les visiter une fois par semaine (et tant pis si votre courrier est désormais distribué à la volée) ?
Où, monsieur JEANNETEAU compte-t-il, désormais trouver son inspiration pour créer des spectacles qu'il devrait concevoir et tourner en France et en Europe? entre les plants de salades qu'il aura fait pousser en haut de son établissement?
Passe encore que l'ex co-directrice du Festival d'Avignon, Hortense ARCHAMBAULT, désormais détentrice de l'avenir de la MC 93 de Bobigny décrète, toujours dans l'article de Eve Beauvellet que, concernant son établissement, «L’enjeu, c’était d’avoir une seule entrée pour le personnel, les spectateurs et les artistes - ce n’est pas le cas à la Comédie-Française, par exemple, ou dans la majorité des théâtres allemands -, qui mène directement dans un espace bar-restaurant ouvert toute la journée avec accès wifi, lequel propose parfois des ateliers cuisine en marge des pièces - ce sera le cas à partir de la pièce de Mohamed Rouabhi en avril - ou une carte de fidélité donnant droit à des places de spectacle, détaille-t-elle. On est plusieurs à œuvrer dans ce sens aujourd’hui et c’est primordial, a fortiori sur des territoires populaires et/ou ruraux où il n’y a pas beaucoup d’alternatives en termes de lieux de sociabilité.»
Mme ARCHAMBAULT ne s'est jamais décrétée Artiste. Elle dirige un lieu, une institution. L'interviewer en même temps que JEANNETEAU n'est pas très plausible: ils ne font pas, tous deux, le même métier!
Mais quand des artistes, qui ont obtenu une direction de lieux pour mettre, éventuellement, en avant, la primauté et la qualité, la nécessité du théâtre, ne font quasi rien pour défendre et présenter des auteurs contemporains alors que le sort de ceux-ci est d'autant plus précaire, qu'ils préfèrent plutôt se vouer à la défense des espaces de restauration, d'agriculture sur les toits, ou, parce que l'article de Libération rapporte encore (et on les croit sans effort) que " le Théâtre national de la Colline tente également des ateliers («Théâtre en cocotte») où un artiste vient cuisiner avec des petits groupes de spectateurs tout en échangeant sur ses projets." s'avouent aussi démissionnaires et si peu compétents pour l'exercice d'un art dont, par ces aveux, ils démontrent qu'ils ne sont pas légitimes à le satisfaire, il est grand temps de tirer le rideau, de tirer la nappe de leurs ambitions si peu crédibles!
AUCUNE CONVIVIALITÉ NE SE DÉCRÈTE
S'il est vrai, comme le rappelle le billet de Mme Beauvallet, que la convivialité au Théâtre du Soleil de Ariane MNOUCHKINE est légendaire (et se trimballe partout, en tournée), qui aimera croire qu'elle peut se copier?
Qui a envie de ripailler de façon festive et décontractée à la sortie d'un spectacle de Claude RÉGY ou de Peter BROOK? Même si ces derniers n'ont pas vocation à couper l'appétit après les expériences qu'ils proposent, leur travail a été suffisamment important pour qu'on n'aille pas considérer qu'il devrait s'adapter à ce qui semble être devenu le diktat, désormais, des scènes françaises: la convivialité d'un bon gueuleton qui ferait oublier la gravité de ce qu'on vient d'entendre et de voir. C'est sot, c'est inepte. Mais ceux-là ne voudront pas, pour autant qu'on aille se reposer en ayant avalé un quart de radis rose et une demi biscotte, une fois qu'on aura rejoint son logis ou l'hôtel où l'on séjourne.
Mais cette obsession, désormais, pour l'attrait d'un lieu théâtral avant tout pour ses atours, ses options accessoires, et non pour ce qu'il propose comme qualité de programmation et de création artistique, prouve bien que se gèrent, désormais, ces endroits à la va-comme-j'te-pousse, c'est à dire en oubliant foncièrement leur raison d'être...