Denys Laboutière (avatar)

Denys Laboutière

Conseiller artistique théâtre, écrivain, traducteur

Abonné·e de Mediapart

221 Billets

1 Éditions

Billet de blog 13 juin 2020

Denys Laboutière (avatar)

Denys Laboutière

Conseiller artistique théâtre, écrivain, traducteur

Abonné·e de Mediapart

Marcel Maréchal s'est enfui sans son bâton (de Guignol)

Disparition d'une des figures majeures de la décentralisation théâtrale, ce 11 juin dernier. Dans une sérieuse indifférence de la ville où il est né: Lyon. Cette même décentralisation, qui doit soi disant être fêtée l'an prochain, par exemple, au TnP de Villeurbanne, semble devenue moribonde, quoique prétendent les aveugles ou les optimistes. Vous en voulez quelques preuves?

Denys Laboutière (avatar)

Denys Laboutière

Conseiller artistique théâtre, écrivain, traducteur

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

UNE VILLE PEU RECONNAISSANTE ENVERS SES POÈTES

S'il avait été une figure même ancienne de la gastronomie ou du football, nul doute que Marcel MARÉCHAL eut recueilli, ces derniers jours,  les hommages prolixes, enamourés des politiques et des médias lyonnais. Mais, sauf erreur ou omission, mis à part le journal Le Progrès de Lyon, aucun autre média local n'a tenu à saluer l'un des ex enfants turbulents et poètes du théâtre. Les politiques, également, sont les grands abonnés absents sur son quai de départ pour rappeler ce que la région lui doit de vocations auprès d' amateurs mais aussi de quelques professionnels de l'art dramatique et, surtout, d'ineffables plaisirs de spectateurs. Trop populaire, trop ancien, trop infidèle, Marcel MARÉCHAL? Il faut dire que Lyon n'a jamais su se montrer digne des personnalités du monde des arts et de la culture. Encore aujourd'hui, la plupart préfèrent s'exiler loin d'un territoire qui ne semble parfois célébrer que les paillettes approximatives, les biennales, les raouts d'importance, parce qu'ils sont les seuls à oxygéner - selon eux - les finances et le tourisme. Roger Planchon, disparu en 2009 en savait déjà quelque chose dans les années 50-60 du siècle dernier, lorsqu'il comprit que le Maire (Louis Pradel) ne lui offrirait jamais l'opportunité de développer son savoir-faire poétique et trouva refuge dans la ville d'à côté, Villeurbanne. Et quand bien même ce genre d'hommages ne sont que des concessions un peu trop solennelles, lui, autant que Marcel MARÉCHAL peuvent encore attendre pour qu'une voie, une ruelle, une impasse exhibent, le cas échéant, une plaque à leur nom. Paul Bocuse, lui, tout au contraire, n'en finit jamais d'être célébré et a eu droit à son nom brandi aux Halles rénovées près de la Part-Dieu et tout ce qui s'ensuit: noms d'arrêt de bus et de tramways, etc. À Villeurbanne, seule Isabelle SADOYAN, actrice qui fit partie de la bande à Planchon,  a eu droit à cet honneur, ce qui est parfaitement justifié, tandis que son mentor se contente d'une plaque de rue érigée à... Vénissieux. Mais la capitale des Gaules n'a jamais estimé, jusqu'ici, que la moindre médiathèque ou le plus petit centre culturel hissent fièrement les patronymes d'acteurs majeurs de la décentralisation théâtrale pour se montrer un minimum reconnaissante de l'ensemble des actions engagées par eux pour qu'un peu de culture hors les sentiers battus et les courses au mécénat racoleur marque durablement, génération après génération, les esprits. Et ce ne sont certainement pas les personnalités actuelles des théâtres des Célestins, du Point du Jour ou du Théâtre de la Croix-Rousse, pour ne citer que les principales salles de spectacle, qui oseraient se mesurer à ces figures tutélaires. Même Guignol semble, de nos jours, avoir été prié de moins la ramener, lui qui pourtant orne nombre de cartes postales d'un kitsch assumé ou d'enseignes de restauration, pour rappeler au chaland que la marionnette a beaucoup compté dans l'imaginaire collectif régional puis national. Surtout pour son côté contestataire qui s'est, de toute façon, fortement terni pour seulement privilégier un folklore passéiste.

QUAND JEAN VAUTHIER, SAMUEL BECKETT CÔTOYAIENT MICK JAGGER ET LES PINK FLOYD

Non, Lyon et ses communes avoisinantes, décidément, ne sont guère tendres ni méritants avec la mémoire des poètes. On ne sait si MARÉCHAL offrirait encore une anémone à Guignol (1), mais il peut être à peu près certain que son souvenir est devenu on ne peut plus friable, sans intérêt apparemment dans l'esprit de Wauquiez, Collomb et consorts. À croire que la Culture et les Arts sont pour eux de simples et uniques vecteurs économiques drainant des foules ébahies devant les crèches et les fêtes de lumière bien peu laïques, des défilés chorégraphiques et des exhibitions plastiques pourvu qu'elles soient spectaculaires et engendrent de sonnants, copieux et trébuchants bénéfices. 

Marcel MARÉCHAL est pourtant né, le soir de Noël 1937, à Lyon. Pur gone (2), donc, de la Croix-Rousse, il crée son Théâtre du Cothurne, dès 1958, où il fit débuter Pierre Arditi et Maurice Bénichou pour ne citer qu'eux, du côté de la Rue des Marronniers près la place Bellecour  (aujourd'hui rue commerçante dédiée au tourisme de masse, quasi uniquement réservée à un nombre impressionnant de gargotes qui imitent le goût des célèbres Bouchons gastronomiques) pour, ensuite, fonder, dix ans plus tard, à l'aube des années 70, le Théâtre du Huitième devenu, encore à l'heure actuelle, la Maison de la Danse, après que la Ville de Lyon eut accepté de perdre le seul Centre Dramatique National qu'il recelait en ses murs (et qui fut dirigé, entre autres, par le metteur en scène Alain Françon). Qui se souvient encore que c'est dans ces murs que furent reçus, grâce à MARÉCHAL, les Pink-Floyd, les Who ou Mick Jagger qui côtoyèrent ainsi, sur les affiches de saison, des poètes dramatiques tels Jean VAUTHIER, Louis GUILLOUX, Jacques AUDIBERTI ? Les noms de ces derniers ne doivent plus tellement évoquer grand chose, même auprès d'actuels étudiants en art dramatique, puisque la tendance furieuse de nos jours à préférer les formes hybrides à forte connotation de dénonciation sociale et politique du moment semble l'emporter et que même IONESCO ou BECKETT commencent à être considérés comme presque ringards dans les cours d'apprentissage aux techniques de l'acteur. Le texte théâtral est, de toute façon, en passe de devenir une vieille baderne absolument accessoire, comme l'est devenu le sacro saint bâton de Maréchal qui, c'est bien connu, ne sert à rien, hormis d'ornement à un uniforme. 

Sauf que Marcel MARÉCHAL ne se contentait pas de puiser dans d'obscures partitions dramatiques littéraires: il savait aussi dessiner de belles fresques à partir de légendes populaires comme Les Trois Mousquetaires ou Capitaine Fracasse, hissant ainsi DUMAS ou Théophile GAUTIER au sommet de sagas furieusement colorées. Pour les Lyonnais férus de théâtre, deux clans s'opposaient presque, dans les années 60-80 les Planchoniens et les Maréchaliens. Les premiers se reconnaissaient volontiers dans un art plutôt marxiste tandis que les seconds versaient plutôt dans un goût "chrétien de gauche". Aux lectures politiques et païennes de Planchon des grands classiques et de quelques poètes contemporains d'alors, faisait semblant de s'imposer un théâtre plus humaniste et en apparence moins engagé. 

L'EXIL EN MÉDITERRANÉE AVANT LES DÉCEPTIONS PARISIENNES

Mais Lyon n'aime pas trop que ses enfants se dispersent et quand MARÉCHAL choisit Marseille pour continuer ses aventures et pour fonder le Théâtre de la Criée, aujourd'hui C.D.N aux côtés de François Bourgeat (lui même créateur du Théâtre de l'Ouest Lyonnais, le T.O.L. devenu le Théâtre Point du Jour sur les hauteurs du 5è arrondissement) ses spectacles furent rarement par la suite programmés dans l'agglomération lyonnaise, comme un silencieux reproche d'avoir osé l'exil loin de son cocon natal. C'est au bord de la Méditerranée que le metteur en scène poursuit son épopée en défendant toujours avec rigueur ses auteurs de prédilection (Ton nom dans le feu des nuées, Elisabeth de VAUTHIER ou Cripure de GUILLOUX) en alternance avec des fresques plus classiques qu'il dépoussière par ses adaptations (O'Scapin d'après Molière, La Moscheta de RUZANTE, ou encore SHAKESPEARE et FEYDEAU) tout en créant des auteurs nouveaux (Jacques ROUBAUD et Florence DELAY, Valère NOVARINA...). 

C'est d'ailleurs - il n'est pas vain de le noter - Marseille qui, ces derniers jours, a rendu un hommage digne de ce nom à Marcel MARÉCHAL, surtout par l'entremise de l'actuelle Directrice du Théâtre de la Criée et metteuse en scène Macha MAKEIEFF qui travaille actuellement au TnP de Villeurbanne auprès de Jean BELLORINI, le nouveau patron du théâtre, et grâce à France 3 Régions... Provence-Alpes-Côte d'Azur ! et qui souligne à quel point, tant dans son théâtre que dans celui de Planchon autrefois, bien des techniciens lui confient avoir apprécié le chef de troupe et l'artiste. Elle-même ne manque pas de saluer "le nombre de pièces et de projets qu'il a montés, c'était presque un ogre ! Il était dans un appétit immense de théâtre, de troupe et de scène." Voir ici:

https://france3-regions.francetvinfo.fr/provence-alpes-cote-d-azur/bouches-du-rhone/marseille/fondateur-du-theatre-criee-marseille-comedien-metteur-scene-marcel-marechal-est-mort-1840502.html

Malheureux successeur des Renaud-Barrault au Théâtre du Rond-Point à Paris, Marcel MARÉCHAL, ensuite, et au milan des années 90, ne fut jamais réellement adopté par les résidents de la Capitale qui lui préféraient nettement les joutes réputées audacieuses d'un Théâtre farouchement moderne et tranchant avec la moindre tradition, défendu ardemment par l'esprit des Festivals d'Automne ou les Amandiers de Nanterre avec Chéreau sans compter l'avénement des bandes nouvelles des jeunes générations qui étaient d'accord pour faire table rase avec un passé dramatique jugé alors trop compassé (celles de Lacascade, Nordey, Py, etc). Il a beau remettre à l'affiche Les Trois Mousquetaires, ou encore réhabiliter à la scène Les Enfants du Paradis d'après PRÉVERT, tout en proposant la Trilogie des Coûfontaine de CLAUDEL (L'Otage, Le Pain dur, Le Père humilié) le public et la critique boudent ses spectacles. En tant qu'homme de la décentralisation, il subira l'absence de familiarité et d'empathie réelle avec des Parisiens qui finalement ne le connaissent ni ne l'estiment guère  - en pure méconnaissance de cause. Un pari risqué pour conquérir la capitale que, prudemment, son homologue Roger Planchon eut la sagesse de ne pas tenter alors que l'Etat proposa régulièrement à celui-ci de diriger la Comédie Française ou d'autres salles prestigieuses, parce que viscéralement attaché à rester maître à bord d'une aventure villeurbannaise et d'une histoire de la décentralisation qui marqua plusieurs décennies avant que de lentement s'éteindre à l'aube des années 2000. Soit dit en passant, cette fidélité de Planchon à un territoire fut à son tour bien mal récompensée si l'on ré-examine rétrospectivement avec quelle rapidité la Région et d'autres tutelles ont contribué à expédier manu-militari, dès l'avénement de Christian Schiaretti à la tête du TnP, toutes les archives à la Bibliothèque nationale de France, alors qu'elles auraient pu être préemptées par une bibliothèque régionale, pour encore plus assurer la pérennité de la valeur de la décentralisation, mais ceci est (presque) un autre sujet. 

Illustration 1
Marcel MARÉCHAL - photo: Thierry Lartigue, tous droits réservés

MARÉCHAL OU CAPITAINE ?

Après cinq années au Rond Point de Paris, Marcel MARÉCHAL accepta la proposition du Ministère de la Culture de reprendre Les Tréteaux de France, le Centre Dramatique National à la vocation essentiellement nomade, succédant ainsi une seconde fois à Francis HUSTER (qui fut un compagnon de planches quasi permanent des Renaud-Barrault au temps où ils dirigeaient le théâtre près des Champs-Elysées). 

Mais c'est aussi en tant que comédien que Marcel MARÉCHAL était fort apprécié des spectateurs lyonnais. De par son physique, sa gouaille que rehaussait la tonalité de son accent gone, la rondeur de sa bouille et son jeu expressif, bondissant et très énergique lui conféraient des allures d'histrion shakespearien ou encore, selon les mots du critique Michel Cournot, "d'un comique particulier, intellectuel repu vu par Claire Brétecher, clown rêvasseur" (3) : des qualités devenues aujourd'hui des défauts de l'académisme contemporain qui préfère désormais nettement, hors bien sûr le Théâtre de Boulevard, le jeu cinématographique, souvent inarticulé et chiche, avare en tonitruantes exclamations car soupçonnées de cabotinage. 

Au fond, Marcel MARÉCHAL était peut-être inconsciemment le double idéal du personnage Le Capitaine BADA, sorte de démiurge presque piteux et un peu trop volontairement flamboyant, émouvant autant que volontiers ridicule puisque piégé par son trop grand amour des mots, plus acteur qu'auteur d'une oeuvre qui cherchait indéfiniment à s'écrire directement sur scène, car peut-être prise en étau entre l'économie de moyens complexante, intimidante d'un BECKETT et la splendeur faussement pailletée de fêtes dialoguées par une désinvolture de façade telle que composée par VAUTHIER lui-même, auquel il restait amoureusement mais sincèrement attaché.

À tout Seigneur, tout honneur: c'est désormais et grâce à Marcel MARÉCHAL, à l'instar d'une des scènes du C.D.N. de Bordeaux-Aquitaine,  que l'une des petites salles du Théâtre du Rond-Point à Paris, porte, depuis 1995, le nom de l'auteur des Prodiges... (4). Le plus souvent gratuits car spontanés, les élans de gratitude et de reconnaissance, - Lyon devrait pourtant s'en souvenir - , ne se commandent pas... ni ne réclament pourtant jamais vraiment l'impossible... 

Notes:

(1) Une anémone pour Guignol, texte de Marcel MARÉCHAL, publié aux Editions Christian Bourgois, 1975. M.MARÉCHAL écrivit aussi La mise en théâtre (éd. Bourgois, 1974), Approches de "La Vie de Galilée" de Brecht (éditions Jeanne Laffitte, 1982), L'Arbre de mai, pièce (éd. Jeanne Laffitte, 1984), Rhum-Limonade (Flammarion, 1995), et diverses adaptations pour la scène ou livres d'entretiens avec Nita Rousseau ou Pascal Laîné...

(2) gone: désigne un enfant des rues, dans le patois lyonnais. Le pendant régional, en quelque sorte, au Poulbot parisien. Citons Raymond Queneau: L’averse des avortons, La multiplicité des gonesLa prolixité sans borne des chairs  ("Si tu t'imagines", extrait de L'Instant fatal, 1948).

(3): Michel Cournot, " Ton nom dans le feu des nuées, Élisabeth " de Jean Vauthier, in journal Le Monde, 17/01/1977.

(4) Jean VAUTHIER a écrit en 1952 Capitaine Bada pour André Reybaz qui le mit en scène avant Marcel Maréchal, lequel créa aussi, en 1965, Badaesques. Les Prodiges furent mont(r)és, quant à eux, par le metteur en scène Claude Régy, en 1971, au TnP de Chaillot avec, à l'affiche, Georges Wilson, Judith Magre et Andrée Tainsy: on a connu distributions moins enviables...

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.