Denys Laboutière (avatar)

Denys Laboutière

Conseiller artistique théâtre, écrivain, traducteur

Abonné·e de Mediapart

221 Billets

1 Éditions

Billet de blog 13 décembre 2016

Denys Laboutière (avatar)

Denys Laboutière

Conseiller artistique théâtre, écrivain, traducteur

Abonné·e de Mediapart

Les justes desseins de l'artiste MICAËL

Son blog dans le quotidien national "Le Monde" est tenu avec une régularité qui force l'admiration. Trois à quatre fois par semaine, il commente, à sa manière, élégante mais aussi féroce, les manies désinvoltes de notre époque. Rencontre avec un artiste-journaliste qui a choisi l'image plus que le langage (parlé, écrit) pour secouer nos frilosités et défier nos consciences parfois en sommeil.

Denys Laboutière (avatar)

Denys Laboutière

Conseiller artistique théâtre, écrivain, traducteur

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

A l'heure encore matinale où Paris, un samedi, n'est pas encore très agité, le dessinateur Micaël donne rendez-vous dans un lieu qui célèbre toutes les qualités du vrai café: "Le Lomi", sis 3 ter rue Mercadet, dans le XVIIIè. Décor sobre d'ancien atelier industriel, tables en bois larges et ces vapeurs qui chatouillent les sens parce que le breuvage noir s'y décline selon plusieurs arômes. Peu de bruit (des travailleurs indépendants viennent y trouver refuge en semaine pour oeuvrer à leurs préoccupations), une distance raisonnable et respectée entre lesdites tables, un service discret mais efficace: l'endroit proposé par Micael prédisposait à l'échange, dans la ferveur d'un matin embrumé par la pollution qui voile le ciel.

 LES VERTUS AMBIVALENTES DE CERTAINS SILENCES

A 34 ans, Micaël Quieroz semble apprécier la vie parisienne et sa condition d'homme plutôt célèbre puisque vu à la fois sur le blog ou parfois dans l'édition papier du "Monde". Né à Paris, en 1982, alors que ses parents résident provisoirement en la capitale française, il vit ensuite en Argentine, à Buenos-Aires et retrouve, vers l'âge de 20 ans, sa ville natale, après avoir été reconnu par le dessinateur argentin Pati et suivi deux formations dans le domaine des Beaux-Arts. 

Illustration 1
copyright: Micael, tous droits réservés.

A Paris, Frederic Pajak, (qu'il admire et à qui il voue une vraie reconnaissance d'avoir prêté attention à son travail), lui-même dessinateur et futur éditeur des "Cahiers dessinés" dans les années 2000, l'encourage et publie ses dessins dans sa revue "L'Imbécile", tandis que "Philosophie Magazine" lui confie pendant quatre années la page 3 de sa revue. En 2010, paraît Un Argentin à Paris chez Buchet-Chastel (qui n'est pourtant pas le récit illustré des aventures d'un exilé entre deux capitales). Et, en 2014, est publié, aux "Cahiers dessinés" son Air du Temps, titre éponyme de son blog sur "lemonde.fr" . Lequel blog affiche, en guise de présentation succinte, son objectif: "Muni de ces armes inégalables que sont la plume et le pinceau, Micaël pratique cet art supposé en voie de disparition: le dessin d'humour". La revue "Fluide glacial" fait appel aussi à lui pour illustrer certains numéros spéciaux.

Pourtant, au fil de l'air d'une époque tiraillée entre morosité et besoin d'évasion et d'en découdre avec l'excès de pessimisme, les dessins semblent s'être renforcés d'un trait d'esprit plus grave. L'humour s'y faufile bien sûr, mais déshabillé de la nécessité de faire à tout prix sourire. L'air du temps présent se respire aussi rinçant, grimaçant. Peut-être, au fond, à l'image de ce que l'auteur constate, sans jugement surplombant ni amertume: "les Français n'aiment pas beaucoup exprimer leur frivolité: tout leur semble grave et, bien sûr, les bouches fermées sont sans doute l'expression qui les caractérisent en apparence" suggère-t-il. Bien que doté de la nationalité française, il a la chance de pouvoir comparer, entre les deux villes importantes où il a jusqu'ici passé la moitié de son existence dans chacune d'elles, sinon leurs vertus et leurs limites respectives, tout au moins leurs dissemblances.

Sur la couverture de son deuxième livre publié, plusieurs individus entassés dans ce qu'on devine être un métro ou un tramway, regardent, presque interloqués, ou incrédules, un homme qui, au contraire d'eux, ne porte aucun masque protecteur sur la bouche et semble pris d'une crise d'hilarité personnelle. 

"Quelqu'un m'a fait remarquer que je dessine souvent des personnages qui n'ont quasiment pas de bouche" précise-t-il, lors de l'entretien. C'est vrai. Un seul petit trait rapidement tracé fait office schématique de caractéristique buccale.

Illustration 2
copyright, Micael, "L'air du temps", éd. Les Cahiers dessinés, Paris, 2014

Mais s'ils semblent muets, les personnages de Micaël n'en pensent pas moins. Ses dessins ne sont pas toujours accompagnés d'une légende qui trahirait ou ferait redondance avec ce qu'il dessine. Mais force est de constater qu'il sait instiller dans ses illustrations, une sorte de substance "muette" qui est bien plus éloquente que tout inutile commentaire ou bavardage.

L'un de ses récents dessins (sur son blog) exhibe l'ambiance de bureaux de travail ornementés d'un cadre qui "désigne" le portait d'une femme victime de harcèlement : elle a été "l'élue du mois" (!). Personne ne se regarde... seule une employée dévisage le cadre et ce regard inonde le reste du dessin, tout comme la femme du premier plan, habillée d'un jean et d'un chemisiser blanc, dans son attitude prostrée, semble s'attendre à un quelconque drame à venir. La composition est digne d'un tableau. La ligne esthétique que privilégie Micaël est celle de "la ligne claire" et, en tant qu'artiste, il use de l'encre de Chine, du lavis et de l'aquarelle. Ce qui peut sembler paradoxal alors que ce qui se joue dans l'épaisseur d'une ambiance peu amène semble voilé d'une austérité délétère. Jugez-en plutôt:

Illustration 3
copyright: Micael, blog "L'air du temps", Le Monde, 5 déc.2016- tous droits réservés

Et Micaël sait fort bien suggérer l'ambivalence, la perception contradictoire des réalités quand celles-ci viennent à s'entrechoquer jusqu'à l'absurde et heurter à leur tour le cynisme des injustices. "Bien souvent, la violence la moins spectaculaire est plus traumatisante que la violence qui éclate" constate l'artiste. Et il s'interroge souvent sur la notion de "méchanceté". Ses proportions, ses manifestations, ses sources et ses cibles. Comment un dessin peut-il parvenir à en rendre compte? à partir de quel moment décrète-t-on qu'une illustration est, volontairement, méchante? Voilà un sujet qui ne lasse pas ses interrogations. Et encore: L'indifférence à autrui n'est-elle qu'une forme déguisée de méchanceté, sous couvert d'inconscience ou de distraction ?

Illustration 4
copyright: Micael, tous droits réservés.

L'un de ses mondes de prédilection reste également - mais non de façon obsessionnelle- l'univers des gens avides de culture. Prix littéraires, salons "où l'on cause", vernissages d'expositions, débats réputés intellectuels, sont des captures d'instants que Micaël se plaît à narguer. Souvent maladroits dans l'expression de leurs engouements, de leurs partis-pris, les esthètes autoproclamés sont cernés parfois dans un cadre qui les renvoie, malgré eux et sans qu'ils s'en rendent compte, à leur absence de vigilance ou d'auto-critique. Comme en témoigne ce dessin hilarant (mais qui ne peut s'appréhender que par ceux qui saisisent l'allusion et la référence précise à un film somme toute assez célèbre). Or ici, point n'est besoin de "légende" pour parachever l'illustration: celui qui regarde est convié à agir, en scrutant l'habileté du dessinateur à rendre compte d'une mise en abyme subtile. Le silence ou l'absence de mots (comme déjà évoquée plus haut) conférant alors à la planche, une aura encore plus déterminante:

Illustration 5
copyright: Micael, tous droits réservés.

Nul doute que Tati aurait souri en découvrant ce dessin: le perplexe et doux rêveur M.Hulot, protégé par son inadaptation au monde moderne  se serait bien reconnu, sans rien dire, l'air de rien, mais à distance, protégé par sa fantaisie hors normes. Loin des fracas du monde qui s'agite ou s'entasse en tous sens, partout, tout le temps.

DESSIN DE PRESSE versus BANDE DESSINEE

Micaël semble davantage trouver de satisfaction à s'adonner à cette forme de journalisme qu'est le dessin de presse. Il n'envisage pas de risquer son trait et son esprit vers les rivages plus vagues de la bande dessinée pure et dure.

Sans le dessin de presse, notre appréhension de l’actualité, de la société confinerait bien vite à un exercice de vivre tout à fait irrespirable, par le seul biais des articles. Un quotidien, un hebdomadaire, et même un mensuel seraient-ils concevables sans illustration? Nous serions bien vite si accablés, voire effrayés, qu’on hésiterait à noircir nos doigts de l’encre d’un quotidien ou à aveugler nos yeux à la lueur d’un écran d’ordinateur.

A contrario de la bande dessinée qui s’envisage surtout comme succession de cases agençant illustrations et bulles, le dessin de presse doit condenser en une seule vignette, l’équivalent d’un point de vue, d’une pensée, d’une perception du réel forcément biaisée, interprétée, raillée ou inquiète. Il me semble qu’une planche de bande dessinée me happe et me force à entrer dans la fiction qu’elle propose, tandis qu’un dessin de presse m’oblige davantage à me projeter pour construire son « sens » et être ainsi, grâce à la pertinence du dessinateur, un peu aussi le créateur de l'illustration. L'une suppose plus de passivité (la notion de "distraction" est plus prégnante) tandis que l'autre présuppose davantage d'implication de la part du lecteur qui devient alors plus actif.

Sans compter – et nous éviterons de frôler le cliché à trop deviser sur ce sujet hélas moult fois débattus depuis ces deux dernières années funestes qui ont vu certains de leurs auteurs être massacrés pour cause d'activité réputée outrancière - qu’il peut provoquer la terreur …

Pour ma part, je ne connais pas de meilleure définition que celle proposée par le très regretté Tignous, victime de la barbarie  : « Un dessin réussi prête à rire. Quand il est vraiment réussi, il prête à penser. S’il prête à rire et à penser, alors c’est un excellent dessin » (Bernard Verlhac dit Tignous, interview au site de l’Ambassade de France en Colombie, mars 2010).

On peut sans hésiter prétendre que cette définition sied parfaitement au talent de l'artiste Micaël. L'ensemble de ses dessins, d'une belle homogénéité, en font foi.

2017 verra la publication de son 3è album aux éditions "Les Cahiers dessinés". Une promesse à venir dont on n'hésitera pas à signaler son avénement en temps et en heure...


-Un Argentin à Paris, Micaël, Les Cahiers dessinés, éd. Buchet-Chastel, Paris, 2010. 19 euros.

Illustration 6

-L'Air du temps, Micaël, Les Cahiers dessinés, Paris, 2014, 19 euros.

-Blog Le Monde de Micaël "L'Air du temps"http://micael.blog.lemonde.fr/

L'Air du temps chroniqué par le blog BD du journal Le Monde http://bit.ly/1iRtXwM

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.