Amateurs d’intrigues, de scénarii trop bien ficelés, d’images rapides et de sons intempestifs, d’écrans trop larges ou de séries, vous risquez d’être totalement déboussolés en arpentant les allées estivales du Parc, œuvre inclassable et sans cesse surprenante.
L’argument y est encore plus mince que dans un conte rohmérien, même si, par paresse, on aimerait l’apparenter à d’éventuelles Nuits de pleine lune et autres Rayon Vert ou Genou de Claire. Rien à voir avec Rohmer : aucun bavardage puisque les mots, justement y sont à l’économie et que le silence y règne en maître.
Les dialogues sont raréfiés et n’en sont que plus rendus à leur quasi inutilité (d’autres diront « nullité »). Dès lors, l’on ne cherchera plus à comparer ce film avec aucun autre. C’est justement là que réside sa grande réussite.
Soit un très jeune homme qui attend, l’été, dans un parc, une jeune fille, pour une après midi à passer au milieu d’une nature urbaine et circonscrite à son paysage dompté. Echanges de mots sans importance qui ne définissent qu’en creux les deux protagonistes. En fin d’après midi, s’éclipse le jeune homme. Tandis que sa partenaire occasionnelle demeure comme prisonnière entre arbres et buissons : l’amour encercle, emprisonne surtout celui qui s’y abandonne totalement.
A la nuit tombée, après quelques courts échanges via les téléphones mobiles et dont le texte s’affiche sur l’écran du film, on apprend que le garçon n’est pas libre et qu’il l’avoue à sa récente conquête. Laquelle, déterminée, exprime sa vive réprobation, sa déception, sa révolte. Et s’endort.
Quand la nuit a fini d’envahir tout le parc, et puisqu’elle tient ses engagements, elle essaie d’en sortir à reculons (« j’aimerais revenir en arrière pour faire en sorte de ne t’avoir jamais rencontré » écrivit-elle par texto, en riposte à son amant fuyard).
C’est là qu’opère la grande force du film : à la rupture sentimentale obéit la rupture formelle de l’œuvre. Désormais, tout est permis : la jeune fille marche donc "à l'envers", dans la nuit et se fait arrêter par un gardien du parc d’origine africaine qui, dans un premier temps, lui ordonne de partir, la menace d'appeler la police, avant que de la conduire dans une barque, sur la pièce d’eau qui jouxte le grand jardin.
NATURE ET CORPS CELEBRES
L’attachement du cinéaste à savoir filmer à la fois des corps maladroits, engoncés dans cette semi chrysalide qu’est la fin de l’adolescence pour ensuite mieux montrer des acharnements corporels, des duels physiques et une nature domestiquée mais prolixe (le parc, selon les plans qui en structurent la densité est tantôt montré comme une esplanade lisse, tantôt comme une jungle) est très signifiant et intelligent.
Corps et nature sont parfois presque abstraits : nuages, bruissement du vent dans des hauts feuillages dessinent curieusement des chorégraphies aussi corporelles que le sont les danses du garde africain ou la démonstration de combat de kung-fu du jeune garçon.
Manivel semble avoir très naturellement adopté puisque compris les préceptes de Robert BRESSON en ses Notes sur le cinématographe : aucune image en redondance avec un son (et vive versa) ; aucun « personnage » mais des « figures » ; laisser un plan durer autant qu’il le faut sans l’interrompre pour être à tout prix efficace, etc.
Et pourtant, là encore, Le Parc ne louche même pas vers « Mouchette » ou vers Pickpocket . Il s'en rapproche... lointainement.
La grande qualité du film est d’aussi savoir coudre (consciemment ou non ?) des dichotomies normales, tout en en contrariant l’univocité apparente : lumière vive du jour /obscurité épaisse, féminité/masculinité (la gestuelle du jeune homme peut sembler par moments délicate tandis que le regard de la jeune fille épingle ce qu’elle voit de façon férocement virile), le représentant de l’ordre semble en même temps inquiétant et paternellement rassurant, etc.
Car à chacun de comprendre (ou non) que la superposition formelle de la figure du garde de la barque au jeune homme, peut être une suggestion subtile: le mensonge par omission n'est-il pas un viol par trahison?
Le garde du parc à la peau sombre mais aux yeux clairs draîne, malgré lui, un folklore de malédiction (comme la chouette hulotte blanche, en son arbre, mais au cri strident, marque son apparition comme stigmate d'un malheur superstitieux). Or, le garde, contre laquelle la jeune fille se récrie en hurlant qu'elle veut rentrer chez elle, semble la mener sereinement vers la rive de la raison (alors que le charmant dragueur avec lequel elle avait rendez-vous a bien dissimulé ses noirs desseins).
UN DEFI CONTRE LA SIMPLIFICATION DE L'ANALYSE
Voilà enfin un cinéma qui renoue avec le refus du simplisme, qui coud, avec loyauté (MANIVEL a tout de suite reconnu qu’il avait improvisé le scénario), une approche poétique sans se jouer de l’attente du spectateur ni le rassurer. On peut se perdre dans les méandres du film qui n’offre rien de si stable, de si déterminé. Il rabroue justement aimablement le spectateur en refusant tout chemin balisant cette errance faussement désœuvrée.
A notre tour d’être loyal aussi en ne reconnaissant pas ne pas tout maîtriser, tout contrôler, dans l’exercice de notre appréhension d’un tel film. L’un de ceux qui vous fait gamberger longuement, après l’avoir vu, mais sans obsession, sans volonté outrecuidante de prétendre en saisir tous les charmes et, sûrement, quelques imperfections... tellement minimes au regard des énormes qui subsistent dans la plupart des films aujourd'hui produits et considérés comme fameux!