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Billet de blog 17 janvier 2018

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MOREL (François) présente... Gérard (MOREL)

A l’occasion de la parution de son dernier disque, "Affûtiaux cafouilleux" (mais oui !), Gérard MOREL se produit le 5 février prochain, au Café de la Danse à Paris.

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Présenté il y a peu sur ce blog (voir ici), Gérard nous a signalé qu’il polissait, comme à son habitude, ses fourberies de mots, ses jeux d’assonances, de rimes vigoureuses et fuyant la guimauve, ses instruments de musique (bien sûr) et recrutait quelques uns de ses joyeux drilles qui font partie de sa garde de complices paisibles. Lesquels, cette fois, sont présentés comme « Les Quatre mains qui l’accompagnent » (1) - en guise de sous-titre de ce nouveau spectacle créé l’automne dernier en résidence et coproduction (2) au Train-Théâtre de Portes-les-Valence (Drôme); car « l’animal » chantant et composant est un Ardéchois qui tient (on le comprend) particulièrement à ce territoire de Rhône-Alpes, qui sait lui accorder un accueil toujours impeccablement fidèle, chaque fois qu’il s’y produit. Mais comme Le Train sait aussi faire sillonner ses artistes par vaulx, villes et vallées, un peu partout en France, il se trouvera forcément une halte près de chez vous pour y garer la disposition d’une de vos soirées des six mois à venir?

Si Gérard M. n’a cependant pas, pour la circonstance, posé sur photo de la pochette de son CD avec casquette et sifflet de cheminot, il a revêtu un accessoire de show-business étonnant qui lui sied comme personne : un boa rouge vif... Si MOREL fait son Zizi JEANMAIRE avec une mine, sur son visage, qui fait semblant de vous toiser et lui confère une élégance que ne renie pas l'ironie d'un sourire qui vous met au défi de ne pas trop "bicher", c’est que, forcément, les bretelles (qu’il porte généralement affublées de notes musicales en noir et blanc) devaient être au pressing et que « Mon truc en bretelles » ne constituait pas non plus, à fortiori, un refrain très crédible. Sans compter que, pour MOREL, la bretelle n'a sûrement rien d'un affûtiau, contrairement à cette dérisoire guirlande qui sent souvent le rance et la poudre de riz de dimanches désoeuvrés dans des coulisses.

Mais, si ce tissu de plumes en apparence léger louche en effet du côté du cabaret, tant les nouvelles chansons déclinent des rythmes divers et entraînants, tandis que les paroles n’hésitent pas à adresser divers clins d’œil à des chansonniers (Fernandel, par exemple), l’artiste partage avec l’égérie de feu Roland PETIT non pas l’art de l’entrechat ou des pointes sur chaussons disciplinaires, mais une exigence de liberté qui autorise à varier les prestations. Théâtre ou chansons: l’art du spectacle en apparence guilleret n’empêche pas la gravité qui n’est pas non plus synonyme de sérieux sévère.

Illustration 1

Il faudrait bien trop de lignes, ici, pour citer, pointer, tous les jeux verbaux dissimulés, ou au contraire assumés, que même une quatrième écoute du disque n’épuise pas, loin de là. Or, on se doit de saluer la maîtrise exacte et poétique dont ce MOREL-là fait preuve, quant à la gymnastique de l’allitération éloquente (on vous met au défi de chanter sans faillir « La Prunelle de ses yeux » ou « Le Dit du chat de Nathalie » ), la maniaquerie du détail et de l’inspiration en goguette qui relativisent tout ce qui risquerait, si l’on écoutait superficiellement, de verser vers l’à priori convenu.

Car oui, chaque fois qu’on écoute Gérard MOREL, nous viennent, comme un bête réflexe, l’envie de nous en référer à des aînés jouteurs verbaux et chanteurs. Or, cet opus-là, sans doute plus que les précédents, marque bel et bien l’originalité d’un talent qui lui est définitivement personnel.

Emballées et emballant une éventuelle humeur mélancolique, un soir d’hiver, alors qu’on taquine la solitude qui ne veut pas se faire oublier, ces chansons-là vous la ragaillardissent vite mais sans vous y forcer. Elles procurent un bien-être authentique et subtil, comme la simple présence d’amis qui ne chercheraient pas, à tout prix, à être drôles ou simplement plaisants, mais qui seraient LÀ pour un moment de partages, sans la vanité des fioritures ou la gaucherie des précautions inutiles. Fin lettré et cultivé, MOREL G. sait déployer des Stances (à sa gorge) ou concevoir des "poulets" enchantés (à la fausse mode du XVIe siècle)-déplumés, ceux-là -, billets mi-doux, mi-vifs mais demi-sel toujours. Car la fadeur ne connaît pas MOREL.

Côté musique, l'amour du jazz ou le cha-cha-cha drôlement bien imité soutiennent des couplets et refrains qui peuvent se rengorger d’orgueil à savoir ainsi si bien manier et accommoder les styles et les rebonds paroliers. Il signe toutes les musiques et souvent avec son compère, Stéphane MEJEAN.

Si le gaillard ne cache jamais son plaisir à tisser l’éloge de la gent féminine qui emprunte divers prénoms (« Elle se nomme Aimée ») ou des caractéristiques de tempérament contrastés (« Toujours jamais contente » est bien le portrait en trompe-l’œil d’une compagne au moral froissé, mais se nuance aussi précisément comme le titre le promet avec faux embarras, même de manière acide et surtout par une musique volontiers tonitruante), il célèbre aussi les plaisirs de la chère, avec ce cri plutôt de l’estomac que du cœur : « Vive la caillette ! » (spécialité ardéchoise charcutière), slogan que ne renierait pas, par exemple, une Alice DONA avec son succès des années 1970,"Chanson hypocalorique". Mais avec "Cacahuètes" en apéro et en prime (seul titre aux paroles non signées MOREL mais Roger RIFFARD).

L’élan amoureux ne se décrète pas sans ambages, semble chanter Gérard MOREL qui, même quand il se surprend lui-même à emprunter la voie du flagrant délit de tendresse, la réfrène pour ne pas effaroucher l'ambivalence. (« Je t’aime très beaucoup ») et la rectifie, donc, comme on le ferait pour une œillade trop insistante qui sait feindre de s'éteindre, grâce à un rythme de fanfare imprévisible.

Il n’empêche que « La prunelle de ses yeux », elle, emprunte sans pudeur, cette fois, mais en délicatesse, les chemins de la galanterie et qui se réfère à l’art du portrait ou du blason de la poésie de la Renaissance. C’est d’ailleurs – est-ce un hasard ?- dans les mots de ce titre que sont évoqués ces fameux Affûtiaux cafouilleux (3) qui fournissent à l’album son nom générique. Et que dire de cette "Berceuse à Suzie "qui répète, à l’envi « Dors, Suzie, dors » chantée en duo avec Yves JAMAIT, qui n’est pas loin de nous évoquer une autre représentante fameuse de l’art du cabaret d’après-guerre, Suzie SOLIDOR… ?

Quoi qu'il en soit, même sans croire au croisement hasardeux des homonymies, entre "gars MOREL", on doit forcément se comprendre... Puisque l’autre (François) qui sévit à la radio, qui a joué au cinéma, au théâtre auprès de la Compagnie Deschamps-Makeieff (puis en vedette des Deschiens sur Canal +), qui cause le Diablogue de Dubillard comme vous et moi le Français du XXè siècle, après avoir chanté avec Gérard (qui convie bien des ami-e-s chanteurs lors de ses concerts, Anne SYLVESTRE par exemple) a offert, pour la publication de ce disque, un texte qui résume parfaitement la personnalité de son faux-frère mais véritable artiste :

« Avec un entêtement farouche, une obstination tenace, Gérard a décidé de ne pas traiter du méchant, du violent, du dégueulasse, du merdeux. Gérard préfère raconter le beau, le doux, le tranquille, le fragile. (…) Il n’est pas de ceux qui donnent des mots d’ordre, des sentences, des préceptes, des instructions. ». (François MOREL). 

 Que rajouter ?...

Notes:

(1) Les Quatre Mains qui l'accompagnent sont celles de Françoise CHAFFOIS (à l'accordéon) et celles de Stéphane MEJEAN (au saxophone, entre autres).

(2): coproduction Vocal26/Le Train-Théâtre/MC2: Grenoble.

(3) "Affûtiaux": accessoire, parure sans valeur -  "cafouilleux": comme comiquement indiqué de façon faussement sentencieuse sur la pochette du CD, grâce à une astérisque ironique et selon Le Petit Larousse: "adj. fam. Qui cafouille"

-GERARD MOREL & les Quatre mains qui l'accompagnent, Café de la Danse, 5 février 2018, 20h, 5 passage Louis-Philippe, PARIS, métro Bastille -première partie: Luc CHAREYRON surchauffe (Pensée magique, pensée rationnelle? Une vraie fausse conférence bouillonnante et délirante entre raison et déraison, autour des mythes et des sciences). Réservations: cafedeladanse.com & points de vente habituels. Prix: 20 et 15 euros.

-CD "Affûtiaux cafouilleux", production: Archipel-Chanson et L'Autre Distribution, 2017.

Pour les autres dates et tournées: www.gerardmorel.fr

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