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Billet de blog 17 avril 2018

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PARANOID PAUL de Simon DIARD: Mots dits de l'Etre social, Mots tus de l'Etre humain

Se frayant un chemin naguère tracé par les dramaturges Edward BOND et Harold PINTER, l'écrivain Simon DIARD continue de sonder les fosses incultes qui enterrent, sans stèle, les révoltes des opprimés. "Paranoid Paul", après "La Fusillade sur une plage d'Allemagne" et "Comme un zeppelin en flammes dans son vol de retour" se propose de renouveler la question de la représentation de la violence.

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LES VERTUS DU PORTRAIT EN NEGATIF 

C’est une option dramaturgique efficace et juste, éloquente pour l’art dramatique : faire en sorte que le texte retarde le plus possible, voire annule la présence en scène d’un personnage, d’une figure qui donne, le plus souvent, en plus, à son titre, le nom, le prénom ou sa qualité, sinon son caractère. Molière est celui qui innova cette habileté qui fait sens : Tartuffe, dont il est beaucoup question, n’apparaît qu’à l’acte 3, après que tous les gens de la maisonnée d’Orgon ne parlent que de lui, le raillent ou s’en plaignent et le maudissent.

 Plus près de nous, le dramaturge britannique Martin CRIMP,  dans Atteintes à sa vie, suggère le portrait en creux de la protagoniste, Anne, que ceux qui l’ont connue (parents, amis, liaisons professionnelles ou intimes) évoquent. Quand ce ne sont pas simplement les messages laissés sur son répondeur téléphonique qui prennent le relais d’informations factuelles la concernant.

 C’est ce choix aussi qu’a opéré Simon DIARD pour sa nouvelle partition théâtrale Paranoid Paul (you little stupid dreamer). Ou « Paul Parano (toi, petit rêveur idiot) » si l’on s'obstine à vouloir traduire.

Lequel Paul (c’est à peine si les quelques conversations téléphoniques avec sa mère, proposées en off, nous renseignent sur sa personnalité ou son simple profil) est donc à la fois l’objet des fantasmes de tous et surtout de ceux qui ne cessent de parler de lui, sur lui : lui, le souffre-douleur pendant dix années d’un caïd prénommé Gregg, - on sait gré, à ce propos, à Simon DIARD, du choix judicieux (conscient ou non) quant au prénom tronqué du harceleur, Gregg, suffisamment explicite –

Puisque le fait que Paul n’apparaisse que tardivement dans les péripéties actives de la fable, met en relief, précisément, la dérobade du anti-héros et surtout son refus de s’agréger aux groupes, à leurs lois aléatoires, à la bêtise du conformisme.

Car ceux-là qui l’invoquent sont comme obsédés par sa personnalité. Leurs propos sont lestés par la pesanteur quasi permanente de sous-entendus sexuels. C’est l’âge de l’adolescence qui, pour les réputés mais inquiets "virils" ou ceux qui restent en défaillance de l’être assez pour rassurer leur monde, ne peut se jouer qu'en brimades, en blagues salaces ou en paris et défis stupides,  que la méchanceté, la mise à l’épreuve quasi constante, orientent majoritairement.

LE DESERTEUR DES CAMARADERIES OBLIGÉES

La testostérone irrigue grandement les possibilités d’échanges : elle est même, sans jamais bien sûr s’avouer comme telle, la seule monnaie admise pour négocier une reconnaissance, le droit à une aliénation consentie au groupe.

 Mais Paul est un déserteur de toutes les fausses camaraderies, des parodies de casernes ou de tablées de cantine. Et ces logorrhées de mots, en sa persistante absence, finissent par ne figurer pas mieux qu’un portrait-robot crayonné dans son flou d’impuissance affiché benoîtement dans un commissariat où l’on enquêterait sur un criminel et où l’on exhiberait ainsi son profil caricaturé.

 Nous en sommes cette fois convaincus, après avoir étudié de près les précédents textes de DIARD – Comme un zeppelin en flammes dans son vol de retour, La Fusillade sur une plage d’Allemagne – la violence, chez l’écrivain, n’est ni anecdote ni péripétie de fable : elle est constitutive même de l’idée qu’il se fait sûrement de ce que doit être l’écriture théâtrale. En cela, il a fort bien intégré l’idée qu’il ne peut y avoir théâtre s’il n’y a pas conflit. Sauf que, à la grande différence de bien de ses coreligionnaires dramaturges, il ne se contente pas de faire infuser ce principe en le répartissant dans des rapports d’affrontements purs. C’est tout le langage qui est contaminé par davantage que l’idée de violence : son « principe » même. Les échanges de voix parlées, parlantes, sont tous coulés en ce béton armé. Ce qui ne signifie naturellement pas que tous les dialogues – même en trompe l’oreille – satisfont à la tentation de faire éructer des personnages en proie à des pulsions incontrôlées. C’est l’écriture, même, qui est tout entière dévolue à autopsier les mécanismes d’attractions/répulsions qui régissent bien des relations humaines.

 Car, plus et mieux encore que sur des personnalités réputées violentes, stigmatisées ou exposées comme telles, le théâtre de Simon DIARD paraît vouloir opérer presque cliniquement, à l’instar d’une enquête de balistique sur les preuves que bien des psychismes heurtés par les traumatismes peuvent interdire puis détruire la pulsion de vie. Ces psychismes, dont on ne parle que rarement, ou seulement de manière superficielle, dès qu’une tragédie rappelle à l’ordre la société la nécessité d’une vigilance de chaque instant (jusqu’à la paranoïa) provoquent tous la plus élémentaire des fascinations.

CITOYEN D'AUSCHWITZ, CITOYEN DE CHARLIE-HEBDO

Bien sûr, on songe aussi au film de Gus van SANT, Elephant, à cause de la fusillade (non sur une plage d’Allemagne) au lycée de Columbine, aux Etats-Unis.

Et, pour la concision des échanges dialogués (qui rompent avec l’habitude jusqu’ici de Simon DIARD de préférer les quasi répliques monologiques) à la manière de considérer la violence si caractéristique du dramaturge Edward BOND. Comme son aîné, comme dans Sauvés (1) , DIARD sait coudre la rapidité de répliques percutantes, dont la concision et les coutures savent promptement en dire « plus » qu’on ne l’imagine, par des chapes d’allusions à peine dicibles. Ou comme extirpées rapidement d’un puits de désirs saumâtres.

 Evidemment, saluer la qualité d’une telle écriture, en l’abritant sous les auspices paternalistes de telles références, fait courir le risque d’éventuellement minorer l’originalité de la stylistique de son auteur. Mais si on finit par les citer, non pas pour l’ombrager, c’est bel et bien pour souligner que cette éventuelle parentèle n’a rien d’une imitation d’éventuels modèles. Mais bien plutôt que, pour la première fois, sans doute depuis Jean GENET, en France, une dramaturgie sait à la fois conjuguer l’art de composer une trame, filer la métaphore d’une obsession, taire suffisamment pour les rendre encore plus efficientes et probantes, les affres de la comédie tragique de la Peur qui, finalement, n’est pas toujours du côté qu’on pense. Et ne cesse de border nos limites, quoi qu’on en dise, quoi qu’on ose l’avouer à soi-même.

 Gageons que, comme le proférait Edward BOND à propos de son œuvre et de son aptitude à décrire le XXè siècle (« Je suis un citoyen d’Auschwitz et un citoyen d’Hiroshima »), Simon DIARD, lui, se propose sans doute d’être le citoyen d’un XXIè siècle des Attentats de Columbine, de Charlie-Hebdo, du Bataclan.

En échos aux propos de Edward BOND (non tout à fait comme lui), Simon DIARD pourrait prétendre que « Dans mes pièces, la scène obscure, c’est celle où les deux nécessités, celle d’agir en être humain et celle d’agir en être social, se rencontrent, entrent en conflit ».

Plus que jamais, « Paranoid Paul » semble réussir ce pari renouvelé. On espère que le texte trouvera assez vite un-e- metteur en scène suffisamment conscient-e de tels enjeux subtils, pour porter finement, à la scène, cette brûlante partition.

 (1) Sauvés de Edward BOND, Paris, L'Arche Editeur, traduction Georges Bas et Jérôme Hankins, Paris, 1997. 

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Illustration 1

Simon DIARD, Paranoid Paul (you little stupid dreamer), tapuscrit n°135, éditions Théâtre Ouvert, Paris, 2016. En vente (10 euros) dans les librairies théâtrales ou auprès de Théâtre Ouvert - 4 bis cité Véron- 75018 Paris- tél. 01 42 55 74 40. M° Ligne 13 -Place de Clichy.

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