Le garçon était semble-t-il surdoué puisque né en 1938, il eut la chance que son premier roman Les Yeux secs, soit publié par les éditions du Seuil, en 1957, à une époque où la majorité s'obtenait à 21 ans. Journaliste, spécialiste surtout des rubriques artistiques, il côtoie Jean-Edern Hallier et Philippe Sollers. Mais comme sa jeunesse coïncide avec l'avénement et le développement de l'audiovisuel public, quelques poètes télévisuels comme Guy Bedos et Jean-Christophe Averty l'entraînent dans leur sillage pour participer à des émissions hors normes. Les années 60 et 70, réputées glorieuses, vont également lui permettre de favoriser quelques fructueuses collaborations avec des cinéastes, en tant que scénariste et dialoguiste. Auprès de Yves Robert, Claude Sautet, François Truffaut ou encore Claude Pinoteau.
A l'instar d'un Michel Audiard, avant lui, il verra son nom au générique de longs métrages connus et encore très plébiscités par un certain public d'aujourd'hui, être la garantie d'une certaine "qualité France" qui ne cherche pas à briller par l'aspect novateur des réalisations mais repose, avant tout, sur la coïncidence rigoureuse entre un sens du texte de préférence réaliste, quotidien et des castings jugés actuellement prestigieux. La Gifle (Pinoteau) ou César et Rosalie (Sautet) ne sont pas des oeuvres cinématographiques révolutionnaires, au regard des propositions d'un Jean-Luc Godard, d'un Jacques Rivette ou d'un Eric Rohmer ou même, ailleurs en Europe, à peu près à la même époque, d'un Antonioni ou d'un Fassbinder. Car si ces films qui dépeignent ces Choses de la vie véhiculent encore des idées et images relatives aux valeurs familiales ou sociales, c'est tout juste si la démonstration de leur lente érosion (qui ne dépassera cependant jamais une conception que certains qualifièrent d'arrière-garde), se risque à représenter les prémices de bouleversements intervenus dans ces sphères où prime le sens du "collectif". Cette prudence à ne pas trop renverser les tables est sans doute le secret de la longévité de l'estime que les spectateurs conservent à l'égard de ces longs métrages décrivant pourtant des contextes sociaux et politiques bien particuliers.
Au théâtre, Jean-Loup Dabadie qui a fourbi ses premières armes aussi grâce au cabaret et à l'écriture de sketchs (dont le plus connu, La Drague avec Bedos et Sophie Daumier, reste fameux dans le répertoire des comiques) ne fréquente pas non plus les lieux aventuriers mais adapte, assez librement, des pièces étrangères (Madame Marguerite pour Annie Girardot, Deux sur la balançoire, d'après William Gibson, avec Nicole Garcia et Jacques Weber, Double-mixte d'après Ray Cooney pour Pierre Mondy), dans le strict cadre du théâtre privé.
PLUS DE SIX CENTS CHANSONS
Mais c'est surtout en tant que parolier pour divers chanteurs, que le nom de Dabadie est aussi très recommandé et connu. De Marcel Amont à Isabelle Boulay, en passant par Serge Reggiani (Le petit garçon, L'Italien, entre autres), Barbara (Marie-Chenevance), Juliette Gréco (Ta jalousie), Nicole Croisille (La Femme et l'Enfant), Petula Clark (Dans la ville), Robert Charlebois, Johnny Halliday, Mireille Mathieu, Enrico Macias, Patrick Juvet, Marie Laforêt, Claude François, Nicoletta, Sacha Distel, Yves Montand, Michel Polnareff, Nana Mouskouri, Michel Sardou: c'est plus de 600 chansons qui ont alimenté stations de radios et autres hits-parades, tout au long de l'âge d'or de la chanson française populaire.
L'intellectuel (réputé comme tel, par ceux qui le côtoyaient, tandis que le principal intéressé ne se comportera cependant jamais ainsi) qu'aurait pu être Dabadie ne se cloisonnait pas, en effet, dans des cercles fermés : on peut écrire sans se leurrer, que cet éclectisme, précisément, sut donner ainsi des lettres de noblesse à un genre qu'il est parfois de bon ton de railler: la Variété.
On reconnaît d'ailleurs assez aisément la "patte" Dabadie dans l'écriture de ses chansons, à son attachement, dans ses textes, pour la structure maîtrisée par un sens aigu, parfois, de la narration. Structure permise soit par l'élection d'un endroit qui donne lieu à des évocations de drames ténus (Hôtel des voyageurs par Reggiani), soit le portrait de personnages veillant jalousement sur leurs destins uniques (L'Italien, Reggiani, Marie-Chenevance avec Barbara, L'Homme aux bras fermés pour Alice Dona...) soit, encore, des moyens de locomotion propices à dépeindre regrets sentimentaux ou désirs d'évasion romantiques, avec une prédisposition particulière pour les navires (Tous les bateaux, tous les oiseaux pour Polnareff, Un train ce soir pour l'interprète aussi de Lettre à France, Tous les bateaux s'envolent pour Sardou, mais aussi De quelles Amériques pour Reggiani encore, Petit Bateau pour Sylvie Vartan...).
Un autre de ses interprètes de prédilection, avec lequel le compagnonnage aura duré de 1976 à 2011, Julien Clerc, est sans doute celui qui résume le mieux leur méthode de travail. Clerc, qui connut des débuts fracassants grâce aux paroliers Etienne Roda-Gil ou Maurice Vallet, cherche à élargir ses contributions et obtient, de Jean-Loup Dabadie, pour son huitième album À mon âge et à l'heure qu'il est, trois titres: Je suis mal, À la fin je pleure, Le Coeur trop grand pour moi. Mais la hiérarchie dans le processus d'élaboration des chansons s'inverse avec le célèbre scénariste: "Roda-Gil me confiait ses textes pour que je compose des musiques ; je donnais mes musiques à Jean-Loup pour qu'il m'écrive des textes" confiera au journal Le Monde, l'interprète de Femmes je vous aime (1982) chanson de Dabadie pour laquelle Julien Clerc exprimera au début ses réticences sans deviner qu'au contraire, la chanson deviendra l'une des préférées de son public et ce, pendant plusieurs décennies.
MÉLANCOLIES, UTOPIES, PARADIS...
Ecrivain de bien des nostalgies, du lent ternissement des peintures dans des demeures où s'échangèrent des promesses souvent non tenues, où manquent des pères parfois, où se déchirent des amours concomitantes, des chemins parallèles qui voudraient trouver l'intersection idéale pour se rejoindre, moins joueur avec les mots que son collègue Roda-Gil (excepté peut-être, pour Clerc, Quelle heure est île Marquise) Dabadie a su bien souvent suggérer poétiquement, tant pour des films que des chansons, les ecchymoses invisibles des Ptites liqueurs amères de coeurs écorchés vif par des Amours sans larmes, les soleils voilés parfois par les Mensonges d'un père à son fils mais surtout la course inextinguible des Temps mêlant remords et regrets, quand la mélancolie vous conduit à trop mesurer celui qui reste ou celui qu'il faut pour encore aimer.
Multi-primé, récompensé pour des oeuvres en particulier ou pour l'ensemble, Dabadie fut sûrement surtout très fier de la gratitude exprimée à son endroit par Robert Badinter, Garde des Sceaux qui fit voter l'abolition de la peine de mort en 1981, et le remerciera donc pour sa chanson L'Assassin assassiné parue un an plus tôt, dans l'album de Julien Clerc, Sans Entracte (1980) alors que Michel Sardou opposait, quatre ans auparavant, son propre texte virulent "Je suis pour" tandis que l'affaire Patrick Henry divisait le pays en deux. Preuve, s'il était besoin, que Dabadie était apte à diversifier ses compagnonnages et acolytes, même s'il ne partageait pas leurs opinions, loin s'en faut.
L'une des rares utopies en lesquelles il se risquait de croire, après avoir sondé et ramené du réel savamment observé et maturé, des chroniques de vies hâtives mais mémorables, était... le Paradis. Celui qu'il promettait à tous d'abord dans une chanson de Polnareff (On ira tous au paradis) en 1972 puis, par obstination, cinq ans plus tard, dans le titre du film d'Yves Robert (Nous irons tous au paradis).
Cette fin mai 2020, Monsieur Dabadie est allé vérifier, avant nous tous, si le lieu ainsi tant convoité vaut le détour...
Le Coeur trop grand pour moi, l'une des premières chansons de Jean-Loup Dabadie écrite pour Julien Clerc, album À mon âge et à l'heure qu'il est, 1976. Dabadie, d'après les aveux mêmes de Julien Clerc, sera le premier auteur qui lui permit de s'exprimer, dans ses chansons, à la première personne du singulier et à dire "j'aime", contrairement à ses deux paroliers historiques, Vallet et Roda-Gil.
Marie Chenevance, un des rares titres, extrait de l'album Ma plus belle histoire d'amour (1967), dont le texte n'a pas été écrit par Barbara, -qui ne confiait que rarement ce soin à d'autres-, mais par Jean-Loup Dabadie. Chanson aux paroles poignantes, qui conserve une aura mystérieuse, à propos de laquelle certains y ont vu une variante d'évocation de ce que les chansons Nantes et L'aigle noir ont pu, elles aussi, en leurs temps respectifs, suggérer...