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Billet de blog 30 mai 2023

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Saluer MURAT en ses chansons : 1/ Le lien défait

En guise d’hommage, comme lorsqu’on s’attarde sur le pas d’une porte, au moment de quitter le logis d’un ami, quelques poèmes musicaux de MURAT pour mieux redire une ferveur -par lui longuement suscitée- et le présenter à ceux qui le méconnaissaient.

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Jean-Louis Murat - Le Lien Défait [Clip Officiel] © Jean Louis Murat

Pour ceux qui l’écoutaient déjà à la première heure, la chanson va de soi: "Le Lien défait": quasi un "classique" du répertoire de Jean-Louis MURAT. Et qui, aujourd'hui, évidemment, résonne d'autant plus étrangement et plutôt tristement, même si sa discographie nous reste une alliée inestimable.

Parue sur l'album de 1991, "Le Manteau de pluie", elle se distingue particulièrement des autres, sans doute à cause de son titre plutôt séducteur, parce qu’à la fois prosaïque et fatalement intrigant .

L'auteur-chanteur-compositeur n'écrit pas la bête  "séparation" , - le lien n'est pas obligatoirement synonyme de liaison - il va plus loin, osant presque une forme d’oxymore. Car le mot "lien" qui est, aussi, à la source étymologique du mot "religion" suppose, bien sûr, qu'on mette en valeur et à l'honneur, la faculté de l'Homme à créer des affinités durables et à les faire durer, sinon les perfectionner.  Amicales, amoureuses, familiales, professionnelles... le spectre est large.

En ne choisissant pas d'évoquer, de manière univoque, la rupture sentimentale, MURAT, avec cette chanson, ne sait pas encore qu'il trace surtout une ligne de force qui structurera, ensuite, la plupart de ses autres albums. Comme si, d'instinct, il savait que la séparation était au coeur de toute vie humaine. Infailliblement éprouvée, comme évidence d'une étape initiatique qui insuffle alors le chant.

Dans toute son oeuvre, il évoquera les plaisirs de la rencontre, de l'irruption du sentiment nouveau ou de la Débâcle (1) . Il ne s'embarrasse pas avec la mélancolie de l'amour s'effilochant. Rétif à livrer des confidences trop intimes, car il faut, pour lui, qu'une chanson sache toucher à l'universalité des expériences, il refuse néanmoins la médiocrité de l'entre-deux. Seules les déflagrations de sentiments, permises par la Rencontre ou le volcan qui s'éteint avec frein et fracas de la passion trahie, semblent mériter les traces d'aveux pudiquement habillés par des strophes ou refrains dépassant le cas personnel.

Sur fond de musique rappelant vaguement un air médiéval, Murat épelle les images selon lui les plus évocatrices pour nous rappeler que presque tout, sur terre, se fonde non seulement par des concordats mais surtout par des désalliances. Quitte à dépayser, au coeur de certaines de ces métaphores, les personnages et lieux marquant, dans la mémoire collective, les crimes commis au nom de la nécessité de s'en défaire.

Comment ne pas entendre, dans cet espace condensé de deux vers

"Comme l'ange blond,

Noyé dans la Durance",

une probable allusion au crime des Vosges de 1984 ayant sacrifié un enfant, resté inexpliqué ? si la Durance supplée à la Vologne, c'est par respect pour l'enfant Grégory d'Epinal dont le nom et l'existence ont suffisamment servi de machine médiatique fantasmatique. Et c'est aussi, peut-être, rappeler d'autres infanticides dont nul pays, nulle région française ne peut considérer avoir l'apanage.

Hors sur certain « Mont », l'enfance est une période de la vie dont Murat se... soucie. (2)

Enfant de divorcés, en une région et à une époque où pareil événement n'était pas si courant, ni admis, Murat a éprouvé, en sa chair et son esprit, la défaite du lien familial. Qu'il tentera, plus tard, de circonscrire en achetant un domaine non loin de celui de ses grands parents. Afin d’être le trait d’union entre ses propres enfants et ses aieux.

Instruit par cette spécificité de la destinée humaine, qui ne peut que se construire qu'après avoir d'abord connu la défaite des liens, Murat psalmodie plus d'une circonstance devant se plier à cette loi.

Pour évoluer, il faut se démettre de ses chaînes: voilà pour le précepte le plus neutre (si c'est possible) qui prévaut à toute autre prétention. Il n'est pas loin d'un Faulkner encourageant à "tuer ses chéris" ("kill your darlings") ou Blaise Cendrars enseignant, dans sa poésie que "quand tu aimes, il faut partir" (on y reviendra).

La vanité des illusions participe de cet égarement: aucune racine ne peut interdire son arrachement. L'erreur humaine courante est de croire qu'on bâtit un domaine solide

On se croit d'amour
Oh, on se croit féroce enraciné
Mais revient toujours
Le temps du lien défait

Antidotes de l'enfermement et de l'obstination à se penser fidèle et permanent, "vipère et reine-des-Prés" sont les éléments animalier et botanique idoines qui tendent à prouver que leur raison d'être n'est pas indifférente ni négligeable, dans la longue chaîne organique et philosophique qui prédispose l'Homme à guetter et savoir reconnaître les dangers. Et trouver les sauf-conduits propices à s’en écarter.

Presque oracle, Murat édite, tôt, ce précepte capital qui consiste à accepter la loi du "lien défait" non comme un aveu ou preuve d'échec, mais plutôt comme condition raisonnable à toute survie. Pourvu qu'on se souvienne, aussi, que nous sommes tous provisoires et surtout pas confortés dans l'idée fantaisiste d'être "épris d'éternité".

"Epris d'éternité": la formule est admirable: comment mieux moquer le réflexe généralisé de bien des individus qui se pensent libres, tandis que les chaînes d'une chimère les condamne à l'asservissement des illusions?

Murat s'y connaît aussi et essentiellement dans l'art de défaire les simplifications qui abîment notre appréhension du monde. La poésie existe pour rappeler comment un mot n'en appelle pas forcément un qu'on a trop l'habitude de voir "frayer avec".

"Rouge est le ciboire

Que nous aimions croire"

psalmodie-t-il, par exemple, dans "Rouge est mon sommeil" (3) . En lieu et place du "boire" qui tente trop facilement de s'immiscer pour une rime abusivement riche, le verbe "croire" , bien plus en phase avec un "Vatican" rêvant son "décamètre" s'interpose et une image qui se passe d'explication trop rationnelle est alors permise.

Dans le clip officiel du "Lien défait" , le regard glacier de Murat est saisissant et contraste avec le rouge des lèvres et le teint nettement plus blafard des joues. Séducteur en diable, "démon" (comme celui évoqué par la chanson) cadré par le seul visage aux traits presque androgynes (tandis que des parodies de blasons comme ceux connus au Moyen Age, se superposent), l'artiste n'hésite pas à personnaliser, par ces apparats, les appâts fallacieux du "lien" supposé magique et hypnotisant auquel nous sommes tous prêts à nous inféoder pour le meilleur ou le pire. En oubliant juste que, tôt ou tard, viendra l'imparable renoncement à tout et surtout à soi...

Notes:

(1): Sentiment nouveau: autre titre du "Manteau de Pluie", © Virgin, 1991 & La Débâcle: chanson du premier disque "Suicidez-vous, le peuple est mort",  © Emi/Pathé-Marconi, 1981

(2) Au mont Sans-Souci, in "Mustango", © Labels-Disque, 1999

(3) in "Vénus", © Virgin, 1993

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