L'histoire de ce remaniement ministériel demeurera-t-elle dans les annales de notre vie politique ? Il s'agit, néanmoins, d'une «première» dans les péripéties gouvernementales de la Ve République. On croirait revenir au temps de la IVe, lorsqu'on prédisait le nom du futur président du conseil, son prédécesseur à peine désigné ! Et puis c'était franchement plus drôle pour les journalistes et les photographes de presse aux flashs au carbure de tungstène d'avoir deux gouvernements pour le prix d'un : le premier dit « pressenti » qui généralement laissait place à un second dit « investi » et modifié en conséquence...
Durant plus de sept mois, l'annonce du remaniement a fait monter aux arbres, gonfler les chevilles et au final provoquer de vrais ulcères. Le jeu pervers et unique auquel s'est livré le président de la République rappelle Néron... le sang en moins.
Au passage, et quel que soit le résultat définitif, un seul a résisté à la température des pneumatiques, à l'huile chaude et aux vapeurs de benzène : François Fillon, pilote amateur de voitures de course, au calme olympien mais surtout maître de ses nerfs, de ses émotions ; le Premier ministre actuel est demeuré, à la barre, quels que soient les virages et les épingles à cheveux ; le même qui, à son banc, les mardis et mercredis, ne livre aucun commentaire, ne se prête à aucun froncement de sourcils, aucune grimace, tout au plus les yeux au ciel de temps en temps : pilote de course dans la tête... jusqu'au podium. Cette attitude zen, le président ne la possède pas ; pire elle l'énerve... et c'est la force de François Fillon.
Mais Néron est allé plus loin dans la manière de pousser la torture morale : faire croire à l'une, à l'autre que son jour était arrivé ou leurs laisser supposer qu'ils avaient la stature ou la posture. On imagine le président s'amusant de la coiffure moins écolo de Jean-Louis Borloo ou des propos mégalos de la garde des sceaux qui « s'y prépare » et de son député-compagnon qui lui reconnaît une réelle « capacité ».
On devine le président se livrant, hilare, à la Lanterne ou au Cap-Nègre, à un véritable jeu d'oies où, durant sept mois, le sort des dés faisait reculer de deux cases ou avancer d'une seule les éternels inquiets, les hépatiques et les bileux, les aspirants et prétendants, les ambitieux et courtisans.
On le suppose, encore, avec son « vice-président », cherchant, des journées entières, la faille, le « non droit », qui permet d'habiller Pierre, sans dévêtir Paul, des coups tordus sur le modèle des prolongations de mission pour les députés aux circonscriptions fragiles ou du choix de sénateurs, dans les départements non renouvelables en septembre 2011, pour, comme lui suggère Gérard Larcher, ne pas affaiblir le nombre de voix UMP-centristes à l'occasion du vote solennel à la présidence du Sénat.
Le président du conseil régional d'Alsace, qui vient de sauter en parachute de l'Association des régions de France, pourrait bien trouver, au sol, la semaine prochaine, un costume de ministre tout comme la députée-maire UMP de Montauban, - parité oblige ! - pour éviter une législative partielle aux effets prévisibles calamiteux et lui permettre de siéger toujours dans l'opposition au conseil régional de Midi-Pyrénées.
Mais, en réalité, peu importe la tête de pont ! La question prioritaire demeure le rôle que jouerait l'actuel secrétaire général de l'Elysée s'il devait entrer au gouvernement. L'intérieur, la justice, la défense, les affaires étrangères ? Peu d'importance, également...l'essentiel étant que là où il sera, c'est le porte-voix de l'Elysée qui se substituera au premier ministre. Rien que pour cela, il faut le moral et le psychisme d'un sportif de haut niveau, même amateur, pour accepter d'occuper, comme au bridge, la place du mort. Si néanmoins, ce scénario prévisible devait se produire... nous aurons alors changé de pratique constitutionnelle : un gouvernement surveillé de l'intérieur. Un progrès... quand même : à Rome, l'élimination se terminait au cirque, le pouce en bas ou les stylets de la mort dans les plis des toges.
Denys Pouillard
Directeur de l'observatoire de la vie politique et parlementaire ; site : www.vlvp.fr