Le « vivier » et le « managérial » entre les mains des ministres et des directeurs de cabinet. Un sous-directeur de l’un des plus grands ministères de la République, polytechnicien, ancien prix de concours général en lettre et en science, ayant préféré servir l’Etat à l’âge de 22 ans qu’épouser les grandes fortunes du privé a aujourd’hui 60 ans. Interrogé lors d’une soirée parisienne, à la mi-décembre, par un universitaire et haut fonctionnaire anti-régime et vieux condisciple, il lui répondit : « N’ayant pas ma carte UMP, je ne risque pas d’être directeur ». Triste République… car cette réplique est multipliable à la puissance dix !
La circulaire du Premier ministre du 10 février, et publiée au JO du 16 février 2010, ne fait qu’abonder dans ce sens.
Deux présidents de la République, avant Nicolas Sarkozy n’étaient pas issus de la haute fonction publique mais la culture politique de Charles de Gaulle et celle de François Mitterrand avaient côtoyé, dans un très haut respect mutuel, les compétences et le savoir de ce que l’on nommait à l’époque, encore, les grands commis de l’Etat. Nicolas Sarkozy a changé la donne : au peu de diplômes, au peu de connaissances s’est invité l’esprit d’entreprise, non pas celui du goût d’entreprendre, de créer, mais celui du chiffre, du rendement, du « contrat d’objectif » et désormais des « indemnités de performance » ; l’homme, dans tout cela, a disparu au profit de la rationalisation pas nécessairement budgétaire mais assurément managériale. Ce mot revenant neuf fois dans la circulaire - et autant pour celui de « vivier » - on croit deviner que les futurs cadres de l’Etat seront, plus issus désormais des écoles de commerce - supérieures bien évidemment - que de l’ENA qui vit lentement son agonie sous l’empire de la gouvernance libérale. Mais il n’est pas si sûr que le recrutement se fasse sur la base de critères des « hautes études commerciales ».
Quelques phrases à retenir : « il conviendra notamment d’apprécier s’il est opportun de susciter des candidatures à l’extérieur de l’administration. Les candidats seront reçus par un de vos proches collaborateurs qui devra pouvoir les apprécier par comparaison, le cas échéant, avec le candidat sélectionné parmi vos cadres ». La place des membres de cabinets reste privilégiée et le rôle du directeur de cabinet dans la procédure d’identification n’est pas négligeable ; elle devient même stratégique lorsqu’il s’agit d’évaluation et d’appréciation des performances et du développement du haut personnel d’encadrement.
En clair l’ombre du parti du président n’est pas loin et l’astreinte de « la nouvelle démarche relative à la sélection des cadres dirigeants applicable aux nominations » intervient dans quinze jours ! De quoi assurer le blocage de l’Etat, en juin 2012, en cas d’alternance démocratique…
Voir la circulaire du 16 février sur le site de l'Observatoire : www. vlvp.fr (Carrefour de la démocratie/Débats)
Denys Pouillard
Directeur de l'observatoire de la vie politique et parlementaire