Ils sont deux aux extrêmes de l'insolence et pas très éloignés de la diffamation: le premier est professeur de médecine et député UMP, ayant, au demeurant, été membre fondateur de la «droite populaire» –même s'il s'en est éloigné depuis; le second est philosophe, comme bien d'autres, mais n'a pas écrit l'équivalent de la «Critique de la raison pure» ni «Les deux sources de la morale et de la religion».
Ces deux hommes, Bernard Debré, le premier, Bernard-Henri Levy, le second, se sont donc déchaînés depuis lundi matin, mettant la plume ou le verbe au service de la haine.
Le député UMP, sur son blog, ne s'est absolument pas embarrassé du principe d'innocence, à propos de l'arrestation de Dominique Strauss-Kahn. Lire ce blog conduit au vomissement, prenant à témoin l'épouse de DSK ou menant même François Mitterrand «et ses deux épouses» au bûcher. De ligne en ligne, le ton monte: «...votre attitude gênait le monde; ryad au Maroc, voiture de luxe, appartements parisiens dans les quartiers les plus huppés; cette attitude «bling bling» ternissait votre image». Pire: «il était connu de beaucoup que vous aviez des attitudes sexuelles débridées, en France, en Belgique. Les choses étant connues, les participants à ces parties fines s'en vantaient... une alerte aux USA vous avait quasiment disqualifié même si votre épouse vous avait pardonné, pour faire pleurer les chaumières». Puis «trop c'est trop», «vous avez humilié la France». Le député des beaux quartiers en ajoute, comme si la bile ne s'arrêtait jamais: «vous allez peut-être être condamné à une peine de prison. Bravo!...» Et de poursuivre: «Quand vous sortirez de prison, disparaissez dans votre ryad, ne vous justifiez pas, ne dites plus rien. Vous avez été une fausse valeur, un obsédé sexuel, un escroc intellectuel... maintenant de vous soigner, il existe des médicaments pour les délinquants sexuels». Avant de conclure: «disparaissez et vite».
Voilà ce qu'écrivait l'un des fils du respectable Michel Debré, l'un des petits-fils du très grand pédiatre Robert Debré, lundi matin. Un script à ne jamais plus oublier quel que soit l'avenir de DSK et quelle que soit l'issue d'un vrai débat contradictoire souhaité... Sur France Inter, Marine Le Pen disait, le même jour, à peu près la même chose... avec des mots presque plus policés, faisant attention sans doute à la dérive diffamatoire. La «droite populaire» de l'ouest parisien qui élit Bernard Debré serait-elle la même que celle qui élit dans l'Etat de New-York, les juges, les procureurs, et les shérifs ?
A l'autre extrémité de l'échiquier... le verbe de BHL, sur France Inter, ce mardi matin à 7h50, n'a pas manqué de déplacer le curseur vers un autre type de mépris: tous ceux qui se mettraient en travers de la pensée unique, non pas celle juridique de la présomption d'innocence, mais celle sans détour de la seule innocence, consacrée comme valeur absolue, au nom de l'amitié infaillible, sont tout simplement traités de «petits mecs». Au demeurant, Bernard Debré doit, en bonne logique, rejoindre aussi cette communauté intellectuelle. A une question risquée de la journaliste relevant l'éventualité des chefs plausibles d'accusation, Bernard-Henri Lévy a eu cette réponse d'une haute portée philosophique et sous forme interrogative: «vous vous foutez de ma gueule?» Mais allant plus loin dans la posture de l'intellectuel au dessus de tout soupçon qui se fait un devoir d'injurier pour s'affirmer, BHL est revenu sur ces «petits mecs» accusés de tirer sur une ambulance: les «petits mecs» en question, dont les journalistes bien évidemment, ne seraient que de médiocres informateurs n'ayant jamais eu le courage de leurs révélations par le passé. Faux... et le directeur du CFJ (Centre de formation des journalistes), Christophe Deloire –un «petits mecs», sûrement!– dans le Monde daté du 17 mai a rapporté avec justesse –et justice– le travail difficile des journalistes, sous la pression, dont le rôle n'est pas plus d'accabler que de «faire office de témoins de moralité».
Entre le discours populiste plein de hargne et l'interpellation incantatoire pleine de morve, il faut raison garder; attendre ce fameux vendredi avec dignité, en espérant que ces auteurs aux mots extrêmes, en cas de procès ouvert ou de libération totale, ne reprennent pas le chemin de la haine pour commenter une décision de justice. Personne n'est indispensable, ni au FMI, ni au PS, ni à l'Elysée et... Bernard Debré n'est pas non plus indispensable comme représentant du peuple pas plus que BHL dans les agapes mondaines parisiennes. L'opposition socialiste a vraisemblablement mieux à faire pour désigner, sans tarder, le meilleur au sein de son élite et redonner de la sérénité à la gestion publique et du sens à l'intérêt général.
Denys Pouillard
Directeur de l'observatoire de la vie politique et parlementaire ; site : www.vlvp.fr