Denys Pouillard

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Billet de blog 18 septembre 2010

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Les circulaires...l'amalgame et le bouc émissaire

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La circulaire du 24 juin, Saint-Aignan le 17 juillet, la circulaire anti Roms du 5 août

Le 16 septembre, à Bruxelles, le président de la République a trouvé un responsable tout désigné dans cette triste affaire des expulsions de Roms. Peu soucieux du respect du calendrier, Nicolas Sarkozy prétend que la circulaire du 5 août a été annulée immédiatement et que la commissaire européenne a tort de ne retenir que ce « chiffon de papier » signé par un collaborateur du ministre de l’intérieur alors que la « vraie » circulaire est signée trente deux jours plus tard par un « authentique » ministre. !
La commission européenne n’a pas à entrer dans ce genre de considération ; elle a retenu l’action entreprise par la France dès le discours de Grenoble.
Si l’affaire devenait "européennement" judiciaire (!), un juge « indépendant » constaterait d’ailleurs que :
- la première circulaire de huit pages, intitulée « lutte contre les campements illicites » date du 24 juin et qu’elle est signée par Brice Hortefeux et Eric Besson ; qu’elle est suffisamment précise pour y distinguer les différents cas de figure de campements illicites dont, sans les nommer à cette date du 24 juin, les campements de Roms
- la seconde circulaire , de trois pages et trois autres pages de tableaux à compléter, intitulée cette fois « évacuation des campements illicites », du 5 août, fait référence à la circulaire du 24 juin et du télégramme du 30 juillet ; qu’elle est signée du directeur de cabinet du ministre de l’intérieur ; qu’elle porte clairement la mention discriminatoire de référence à une ethnie et population particulière, les Roms, (« en priorité ceux des Roms », est-il indiqué dès la troisième ligne de la circulaire) ; qu’il semble pratiquement impossible administrativement que cette circulaire en référence à la précédente n’ait pu être communiquée aux signataires de la circulaire du 24 juin (les révélations et preuves apportées par le Canard Enchaîné concernant un membre du cabinet du ministre de l’immigration en apportent la confirmation) ; que le ministre de l’intérieur ne peut fuir la responsabilité des terminologies employées dans la circulaire du 5 août sous prétexte qu’il n’a pas signé cette instruction administrative aux préfets et que l’on n’a jamais vu encore, un directeur de cabinet, préfet lui-même, signer pour et au nom de son ministre, sans avoir reçu « un bon à tirer » et qui plus est, dans le contexte particulier de la gouvernance actuelle, sans avoir reçu aussi l’aval de l’Elysée.
- la circulaire de « détresse » - comme s’il y avait urgence - d’une page du 9 août, signée du préfet directeur-adjoint de cabinet de Brice Hortefeux, faisant référence aux deux précédentes circulaires ne peut avoir échappé ni aux deux ministres concernés, ni à l’Elysée.
Si l’ignorance des ministres ou leur irresponsabilité, dans cette affaire grave, était démontrée, il serait, alors inquiétant pour le fonctionnement de la République, de savoir que des subordonnés peuvent, à tout moment, ébranler l’édifice des valeurs de la forme de notre gouvernement . Hélas, il est plus probable que ces lampistes auxquels le président de la République voudrait, au yeux de Bruxelles, faire porter la responsabilité aient agi sur ordre. Mais l’ordre de qui ?
Un « juge » tout aussi indépendant pourrait aussi s’interroger sur cette circulaire du 24 juin 2010 qui semble être le point de départ de cette campagne d’été à la hussarde, envoyant les « brigades » pourchasser les mandolines. Mais pour passer à l’acte, fallait-il encore un fait !
Le préfet du Loir-et-Cher, destinataire comme tous ses collègues, de la circulaire du 24 juin s’attendait-il, au regard des services départementaux du renseignement intérieur, à ce qu’un « dangereux » clan de Gitans pouvait mettre à sac un quartier entier d’une paisible ville de son département ?
Pouvait-il savoir qu’un seul contrôle routier pour rechercher un « dangereux » Gitan , et se terminant tragiquement, allait servir de prétexte à une médiatisation axée sur les agissements, en général, des seuls « gens du voyage » ?
Le même préfet, très au fait des instructions reçues le 24 juin, imaginait-il, ce 17 juillet , que le président de la République, à l’occasion de l’affaire de Saint-Aignan, allait nommément, huit jours plus tard - et donc bien avant la circulaire du 5 août - rendre, déjà, une catégorie ethnique et culturelle, plus exposée à une politique délibérée d’expulsion : «… les problèmes de comportement de certains parmi les gens du voyage et les Roms » et d’annoncer « une réunion pour décider des expulsions de tous les campements en situation irrégulière » alors même que les médias, les associations, les ONG, les institutions religieuses ignoraient l’existence de la circulaire du 24 juin !
Tout cela rappelle trop les incidents médiatisés d’Evreux, à la veille des élections présidentielles de 2002 ; incidents tragiques, aussi, et dont l’enquête livra, bien plus tard, une version quelque peu différente de sa version largement télévisée. Quel amalgame, quelle peur encore, le pouvoir est-il capable d’inventer en avril 2012 ?
Denys Pouillard
Directeur de l’observatoire de la vie politique et parlementaire ; site www.vlvp.fr

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