Denys Pouillard

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Billet de blog 19 mars 2010

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Les régionales ou la démocratie de... proximité

Si l'élection de dimanche avait été législative, la gauche disposerait d'une courte majorité à l'Assemblée. Mais le prochain scrutin sera présidentiel. D'ici là, que deviendra le vote écolo-centriste? Comment les PS régionaux pourront-ils se réconcilier?

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Si l'élection de dimanche avait été législative, la gauche disposerait d'une courte majorité à l'Assemblée. Mais le prochain scrutin sera présidentiel. D'ici là, que deviendra le vote écolo-centriste? Comment les PS régionaux pourront-ils se réconcilier?

La démocratie de proximité contre la démocratie élective
Les résultats du premier tour de scrutin des élections régionales du 14 mars 2010 augureraient vraisemblablement une victoire de la gauche aux législatives... si les élections avaient lieu avant la présidentielle! On retrouve, hélas, le même raisonnement et les mêmes rapports de force qui ont précédé «l'inversion du calendrier» sous la cohabitation Jospin-Chirac et qui ont conduit au résultat que l'on connaît: une gauche pas suffisamment forte au niveau national –particulièrement le PS– mais en tête et opérationnelle sur le terrain... Insuffisante, une fois de plus, pour gagner une présidentielle dans l'ordre chronologique actuel, elle ne peut emporter les suffrages que dans des législatives qui précèdent le primo-scrutin ou en cas de dissolution comme en1997.


En projection qualitative (à partir des résultats de dimanche dernier), les groupes de gauche auraient donc, en mars 2010, engrangé entre 72 et 80 circonscriptions supplémentaires soit une majorité, en France métropolitaine, oscillant entre 291 et 299 sièges sans compter les représentants d'outre-mer (la majorité absolue étant de 289 sièges). Une projection quantitative (cumul brut de transferts de voix) donnerait, naturellement, une majorité plus confortable ; mais toute projection basée sur les rapports de force en fonction des pourcentages obtenus le 14 mars déformerait la photographie réelle du corps électoral (les sondages, même exacts dans leur estimation des deux principales forces politiques, ont sous-estimé la représentation de l'un des curseurs majeurs des consultations électorales et mal apprécié les composantes de la «gauche de la gauche» et les courants écolo-centristes).
Les effets de la démocratie de proximité et de l'écolo-centrisme
Il faut rappeler d'abord que les taux d'abstention forts ne sont pas le signe d'un désamour avec la politique.
Lorsque l'on a, à la fin de la dernière cohabitation, institué l'inscription d'office sur les listes électorales, on a parallèlement augmenté le corps électoral jusqu'à atteindre, à terme, ce que l'on nomme le potentiel électoral (toute la population âgée de plus de 18 ans). Pour autant, le comportement électoral n'a pas changé et l'on retrouve une classe d'âge, toujours éloignée de la portée et de la seule définition de la démocratie, celle élective et représentative ; cette classe d'âge ne votait pas hier au moment où on lui donnait le droit de vote et il en est de même aujourd'hui... et demain comme hier.


Mais, fortement engagée dans les associations, les mouvements participatifs et surtout la communication interactive sur Internet, elle croit vivre la démocratie depuis qu'on lui inculque –de la gauche nouvelle à la droite «sarkozienne»– que la proximité crée la représentation. La proximité ne crée pas la représentation: elle augmente la confusion et, pire, engendre la frustration lorsque l'atomisation, déjà très riche, des idées en vogue, ne lui fournit pas la réponse attendue.

Les phénomènes écolocentristes répondent exactement à ce brouillage des discours dans lesquels se retrouvent les argumentaires de «politique par compensation»: le vélo doit remplacer la voiture, l'éolienne, le nucléaire; le jury citoyen, le jury d'assises; le médiateur, le surveillant; etc. Cette politique des vases communicants ou «par gage» n'a, hélas, pas de colonne vertébrale. Le discours est séduisant, il ne crée pas d'ennemis: c'est la «fête des voisins». Il ne résout en rien le traitement de la rationalisation budgétaire, le déficit de la sécurité sociale, les régimes de retraite, la dette publique, la politique extérieure, les choix en matière de diplomatie, de défense, de sécurité, d'éducation...

En 1971, le Mouvement réformateur s'était déjà engagé sur cette voie, à la fois angélique et populiste, ralliant les anti-nucléaires pacifistes aux européens atlantistes, les régionalistes aux humanistes utopistes. L'affaire pourtant bien partie de Nancy et relativement bien vécue aux législatives de 1973 avait vite fait de revenir aux fondamentaux et se «couler» dans le moule de l'UDF de l'époque.

Le droit de vote à 18 ans, qui fut une heureuse perspective sous l'initiative de Valéry Giscard d'Estaing, ne produisit pas les effets escomptés en 1978; à la même époque, déjà, la démocratie dite de proximité balbutiait avec deux innovations importantes dans l'évolution des réformes de société: d'une part, la notion d'accès au droit permise au citoyen (informatique et liberté, accès aux documents administratifs, etc.) et d'autre part la libéralisation de la communication électronique et les premières messageries. Tout cela n'a pas davantage rendu aux urnes un pouvoir attractif.


Nous vivons, sans doute, un moment identique, voire croissant à terme: une suralimentation du temps disponible au dialogue générationnel qui se suffit à lui-même et qui fait office de défouloir de l'expression citoyenne. Pourquoi se déplacer un dimanche déposer un bulletin dans une urne lorsque, toute la semaine, d'innombrables sites Internet permettent de libérer sa pensée, dans l'anonymat total, et dans le langage le plus folklorique qui n'est pas celui de Molière? Parallèlement, lorsque l'occasion le permet, pourquoi «enfermer» son propre code libertaire dans le carcan d'un programme idéologique, cloisonné, avec des chartes ceinturées d'un périphérique? L'écolocentrisme libère, avec quelques discours enchanteurs, l'expression de la téléréalité, celle aussi, à l'image d'une ancienne émission médiatique, de «c'est mon droit»! Ses électeurs ne sont pas pour autant de gauche: venus de partout, ils peuvent repartir ailleurs...


La démocratie, la vraie, la seule, «élective et représentative», doit reprendre ses droits... si les politiques le veulent bien; s'ils lui donnent les moyens de ne pas se faire contourner par des «génériques», moins chers, et de ne pas encourager l'abstentionnisme de confort, particulièrement urbain et péri-urbain.
L'abstention politique et l'émergence de partis plus régionaux que nationaux
Sans doute s'est-on précipité dans une argumentation peu crédible, le 14 mars, en répétant que la droite bourgeoise n'avait plus de réserves au second tour; elle en a!
La lecture des résultats par circonscriptions législatives et par cantons montre, en effet, que ce «peuple de droite» s'est abstenu dans les espaces traditionnels agricoles ou les zones de désertification rurale, ou encore dans les périmètres à forte densité de population inactive.


Parallèlement au refus de participer au vote, s'est créée une sorte de régionalisation de l'innovation politique. Moins sensible à droite mais néanmoins visible en Ile-de-France où la campagne de l'UMP n'a pas produit, malgré les dérapages indéfendables, le profond séisme attendu, le phénomène demeure plus percutant à gauche et donc au PS.

L'UMP de l'Ile-de-France s'est positionnée hors du champ de la campagne électorale générale du parti gouvernemental et paraît plus structurée pour les combats futurs; les résultats, à Paris particulièrement, mettent Bertrand Delanoë dans une situation plus inconfortable qu'en mars 2008, aux élections municipales.
N'y aurait-il pas plusieurs «PS» ? Les résultats régionaux distinguent bien les bons ajustements, en amont de la campagne, qui laissent loin derrière les consignes de la rue de Soférino. Le président de Languedoc-Roussillon est à même de constituer son propre parti régional avec ou sans socialistes labellisés; la présidente de Poitou-Charente pourrait en faire de même ; les socialistes bretons sont maîtres chez eux, tout comme ceux du Limousin... Les socialistes de Rhône-Alpes et de PACA regrettent-ils d'avoir trop suivi les consignes parisiennes? Ceux de Lorraine, de Bourgogne, de Basse-Normandie sont sortis renforcés de leurs alliances de premier tour.


A l'UMP comme au PS, l'organisation des alliances pourrait bien, à l'avenir, échapper aux états-majors nationaux d'autant que l'organisation des élections territoriales futures (avec son scrutin uninominal à un tour et une pincée de proportionnelle) nécessitera des dosages et des répartitions de territoires plus ciblés vers l'efficacité et l'intérêt général que vers la composition de majorités politiques.


Denys Pouillard
Directeur de l'Observatoire de la vie politique et parlementaire site www.vlvp.fr

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