Le projet de loi relatif à l'élection des conseillers territoriaux (transmis au Conseil d'Etat le 25 septembre 2009) revient devant le conseil des ministres mercredi 21 octobre, au lendemain du discours présidentiel de Saint-Dizier. Ce projet de loi serait aussi «celui du renforcement de la démocratie locale»...
Les discours ministériels et les commentaires un peu hâtifs en ont fait trop rapidement un modèle de la simplification et de la rationalisation de la représentativité au service de la gouvernance territoriale. Entre une présentation idyllique au nom des économies de l'argent public et la volonté politique - à peine cachée, au demeurant - de reconquête des assemblées départementales et régionales perdues, le parti qui gouverne la France introduit gravement des dispositions qui chahutent l'expression démocratique et la valeur du suffrage universel direct, la représentativité et l'accessibilité à la fonction élective, ainsi que la grande diversité et le pluralisme politique qui ont fait depuis la Révolution française, à la fois l'originalité mais aussi la vraie grandeur des systèmes électoraux de la France.
- Il est d'abord absolument faux d'affirmer que ce qui va être proposé au vote des députés et sénateurs est un système électoral «à l'allemande» ou très proche. Nous en sommes loin... très loin car le système électoral d'outre Rhin est un vrai processus démocratique dans lequel le citoyen dispose de deux voix («zwei stimme») et le «bundestag» est composé à 50 % de députés élus dans 299 circonscriptions et à 50 % de députés élus proportionnellement, dans chaque land, au poids que représentent leurs partis. Les 62 millions d'électeurs allemands peuvent à leur aise choisir dans leurs Lander avec la première voix les candidats à la députation qu'ils considèrent les meilleurs représentants territoriaux (effet gestionnaire) et avec la seconde voix le parti auquel ils font le plus confiance (effet politique). Ce système n'est validé, bien évidemment, qu'avec un nombre limité de partis ou nuances politiques (autrefois trois mais aujourd'hui cinq) .
- Ensuite le vote à un tour prévu pour l'année 2014 inaugure non seulement une matrice nouvelle dans les régimes électoraux de la Vème République mais aussi une dangereuse dérive d'accaparement du pouvoir par un parti unique. L'idée n'est pas nouvelle; déjà Michel Debré après le scrutin présidentiel de 1965 et la «non majorité» en France métropolitaine de l'UNR et ses alliés aux élections législatives de 1967 se faisait le théoricien du scrutin à un tour... et Jean-Louis Debré, alors président du groupe RPR à l'Assemblée nationale, à titre personnel, se déclarait favorable pour «le scrutin à l'anglaise».
Ceci signifie que si l'on avait adopté ce principe, en 1968, la gauche française aurait été encore moins représentée qu'elle ne le fût... qu'en 1973, les centristes d'opposition de Lecanuet et Servan-Schreiber n'auraient jamais eu -ou presque- de représentants... qu'en 1978, le RPR aurait eu bien du mal à s'imposer. Mais pire: François Mitterrand, élu quand même dans un scrutin présidentiel, en 1981, mis dans l'impossibilité de changer le mode de scrutin avant la dissolution, aurait pu voir sa majorité législative étriquée en un seul dimanche, sans pouvoir s'assurer du vote d'un retour au principe du scrutin majoritaire uninominal à deux tours, ce qui aurait été plus accommodant pour la gauche qu'un passage à la «proportionnelle». Que se serait-il passé en 1988?
Assurément, le scrutin à un tour aurait rendu quasi inexistante l'opposition en 1993, aurait reconduit la majorité présidentielle en 1997 (351 députés à droite et 11 FN contre 164 PS, 29 PC, 7 PRG, 6 Verts, 4 MDC, 4 DVG et 1 indépendantiste) ou 1998 et en l'absence, sûrement, de modification du calendrier électoral, la droite aurait continué à régner en maître absolu sur le Parlement.
L'ancien Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin poussait depuis 2008 à une «réflexion sur le sujet»; le 14 mai 2009, sur RTL, il s'est «lâché». «Dans une élection à un tour, nous sommes entre 25 et 30 % des suffrages, disait-il, ce qui correspond au score sarkozyste», se demandant si «le mode de scrutin britannique, à un tour» ne devait pas être généralisé pour ne pas «laisser les petits partis devenir les arbitres des grandes échéances électorales». Grande leçon de démocratie!!
En avril 2008, Gérard Longuet était l'un des très rares dirigeants de l'UMP à préconiser déjà le scrutin «sans appel» pour asphyxier les petits partis et Patrick Devedjian, secrétaire général de l'UMP, s'interrogeait, benoîtement, sur l'opportunité d'un scrutin qui favorise le bipartisme sans «priver les partis minoritaires de toute expression». Le maire du Havre, Antoine Ruffenacht, était plus catégorique, en juillet 2008: «Elisons les conseillers régionaux au scrutin uninominal majoritaire à un seul tour...Une telle réforme me donnerait presque envie d'être à nouveau candidat en Haute-Normandie»! Que cherche Jean-Pierre Raffarin? «Revanche et humiliation»... une vieille recette apprise, en son temps, chez Bernard Krieff et stratégie constante du giscardisme des années 70, transmise de générations en générations et dont l'ancien ministre de l'intérieur républicain indépendant, Raymond Marcellin, était l'initiateur (sa proposition de loi du 7 décembre 1993 est d'ailleurs signée par Hubert Bassot, Roland Blum, Loïc Bouvard, Hubert Falco et André Santini).
Les tentatives de scrutin uninominal à un tour pour les élections législatives -
- En 1932, la proposition de Georges Mandel est adoptée par 311 voix contre une à la Chambre des députés (la gauche, hostile au texte, avait quitté la salle des séances) et repoussé au Sénat.
- Le 30 octobre 1955, la proposition de Raymond Marcellin recueille 183 voix, toutes issues des rangs des groupes modéré et gaulliste.
Ainsi, Jean-Pierre Raffarin, en 2007, aurait goûté avec un certain cynisme un PS à 98 députés, un PC à 7 élus, un seul député chez les Verts et suprême supplice le Modem à un seul siège.
- Le scrutin à un tour s'inscrit, par ailleurs, dans un calendrier très sophistiqué jusqu'en 2017 avec une année «pivot»: 2014. Le pouvoir joue la durée car les régionales de 2010 et surtout les sénatoriales de 2011, pourraient obliger l'Elysée à jouer «piano» d'abord et «solo», ensuite. Un Sénat de gauche bloquerait le Parlement durant trois ans, soit jusqu'au printemps 2014, date de renouvellement des conseils municipaux et de l'élection des conseillers territoriaux à un tour. Un pari risqué mais jouable, d'autant que s'il est gagné, c'est tout l'appareil d'Etat (principalement les modes de désignation et de nomination), et tout l'exécutif local qui appartiendraient au même et unique parti de gouvernement.
En 2014 l'Elysée (président et conseillers) sortirait de son sanatorium, humant l'air du pouvoir personnel absolu, peut-être même d'une perspective dynastique, par népotisme ambiant!
- Enfin, faute de disposer d'une grille de lecture de la nouvelle carte territoriale avec un nombre considérablement réduit des cantons (autour de 2 400 au lieu de 3 883 actuellement pour la France métropolitaine), il est permis de demeurer dubitatif sur le vote demandé sur un principe général, alors même que l'annexe (répartition des sièges par région et départements) n'accompagne pas le dispositif. La méfiance est d'autant plus de mise que le décret, prévu pour les nouvelles limites des cantons, peut être pris au plus tard en février 2013. On comprend aisément pourquoi le gouvernement se refusait l'an passé à procéder à la réforme de la carte cantonale, avant le redécoupage de la carte législative! Le renouvellement de l'Assemblée nationale de juin 2012 avec ses nouvelles circonscriptions et son passage au scanner laissera environ six mois pour ajuster le remodelage des cantons (et ses subtilités de cantons urbains, ruraux, voire rurbains) pour les besoins de convenance personnelle de la majorité présidentielle sortante.
Le suffrage universel par soustraction et non par élection .
Les conseillers territoriaux seront donc de deux types: ceux avec un territoire et ceux sans. L'originalité se drape dans une grande générosité politique: l'obtention d'une pincée de proportionnelle (20%). Ainsi au niveau national 2.400 conseillers arrivés en tête du scrutin seraient immédiatement élus et 600 autres seraient issus, dans chaque département, des partis politiques ayant eu des candidats battus! Ce système, un peu tortueux, donne l'apparence d'un suffrage universel direct et d'une élection à la proportionnelle.
En fait l'élection dans chaque département de 20 % de conseillers par résultats négatifs équivaut à une représentation sans élection mais par simple soustraction. Il n'est pas certain d'ailleurs que les partis traditionnellement minoritaires et non représentés jusqu'alors dans des élections locales soient gagnants pour autant, car l'abaissement des effectifs des nouveaux conseils généraux sera tel que la part des 20% dans certains départements laissera peu d'espace numérique aux formations politiques même dotés d'un score supérieur à 5% des suffrages exprimés. La composition des conseils dans les départements va donc connaître un régime amaigrissant... et paradoxalement les assemblées régionales vont prendre du poids (en siège, seulement)!
Explication: les conseillers territoriaux appelés à siéger en formation de conseil régional, ce sont donc, au niveau national 3000 élus qui en remplacent environ 2000. Au niveau régional les effectifs de certains conseils généraux vont fondre, au point de faire ressembler certaines assemblées à de simples commissions et donc de trouver des majorités de style «commission mixte paritaire» des assemblées parlementaire. Le débat contradictoire ne va pas gagner en qualité dans cet essorage politique.
Si l'on retient un quotient de 21.000 habitants par canton pour satisfaire à la norme de 2 400 territoires (il est de 16.232 au 1er janvier 2009, pour la France métropolitaine), il sera nécessaire de faire des redécoupages plus ou moins équilibrés en regroupant de très nombreux cantons ruraux. Ce nouvel ensemble conduirait souvent à la disparition d'une dizaine de cantons par département, mais conduirait aussi de nombreuses régions à élargir les bancs de leurs assemblées.
En théorie, on peut imaginer que Poitou-Charentes qui à 157 cantons actuellement, en perdrait une quarantaine mais compenserait cette perte en partie par une petite trentaine de sièges à la proportionnelle; le conseil régional passerait de 55 à un peu plus de 140 sièges! Pour d'autres régions, le déséquilibre départemental serait plus important.
Un tour, de grands cantons ruraux... et l'UMP partout
L'idée fixe d'introduire le scrutin à un tour est née bien évidemment des élections de mars 2008, qui ont donné à la gauche la possibilité de gagner huit départements supplémentaires. L'analyse de ces départements montre en effet que dans l'Ain, l'Allier, les Deux-Sèvres et le Val d'Oise, le basculement à gauche est directement lié à des conseillers élus au second tour sans avoir été en tête au premier tour! Les majorités fragiles de l'UMP ou de ses alliés dans la Loire, les Pyrénées-Atlantiques, le Jura, les Hautes-Alpes, la Côte d'Or ou la Vienne et la Charente-Maritime étant à portée de main de la gauche dans un prochain rodéo électoral, il est aisé de comprendre les motivations supplémentaires de l'UMP pour arrêter l'effusion.
Mais en supprimant la possibilité des désistements ou des consignes de vote, il est porté une sérieuse atteinte au pluralisme. Le gouvernement connaissant son handicap au second tour en créant l'unité au premier tour veut obliger l'opposition à reconstruire un modèle unitaire non plus autour d'un programme mais d'un candidat, et se mettre au même rang qu'elle: le piège se referme sur une gauche désunie mais peut atteindre tout autant, à terme, la droite au pouvoir lorsque les sensibilités locales, s'apercevront avec un peu de retard, certes, que le nouveau système, avec son apparentement obligatoire à une liste politique départementale conduit à éliminer les candidats individuels (le «peuple» des DVD et DVG), qui ont fait souvent la richesse du renouvellement des compétences et de l'indépendance dans les départements.
Les cantons ruraux aux populations clairsemées ont vécu; une bonne résolution mais leur remembrement au sein des nouvelles circonscriptions législatives leurs laisse encore un monopole politique fort, particulièrement dans les régions moins peuplées (Bourgogne, Auvergne, Champagne-Ardenne, Franche-Comté) ; le parti présidentiel y est encore bien implanté au niveau départemental (ou l'opposition sérieusement divisée) ce qui facilite, dans le nouveau mode opératoire, la constitution de majorités régionales aux couleurs présidentielles.
La parité sort par une porte et entre par une autre
Les conseils régionaux représentaient les seules assemblées avec les villes de plus de 3 500 habitants ou la parité est stricte, au bénéfice du scrutin de liste. Il n'en sera plus de même avec le nouveau projet de loi. Les conseillers territoriaux, pour 80% d'entre eux issus des cantons ne sont pas astreints à des règles de représentativité paritaire, à l'exception du choix du suppléant. On peut douter, dès lors, d'une entrée même plus raisonnable de femmes dans les assemblées départementales ; c'est un recul évident... une faute commise, impardonnable si les auteurs du projet de loi recherchaient, en fait, ce moyen pour privilégier le retour des vieilles écuries locales à la recherche de sauts d'obstacle éliminatoires.
N'y aura-t-il pas d'ailleurs matière à non-conformité avec les principes de valeurs constitutionnelle dès lors que l'on met en recul -et dans une situation de législation «moins favorable»- une disposition de représentativité du corps électoral et de légitimité par votation? Mais en élargissant le régime électoral réservé aux communes de plus de 3 500 habitants (2 826 villes plus PML) à toutes les communes de plus de 500 habitants (soit un ensemble de 16 200 collectivités), le pouvoir veut donner à la parité un nouvel espace de démocratie locale.
S'il ne fallait retenir que le seul aspect paritaire, l'initiative est heureuse, mais le seuil de 500 habitants va créer une politisation excessive de la vie locale, là où le plus souvent le consensus se fait sur la base de «l'action locale» et des «intérêts municipaux» et où l'on s'éloigne, ordinairement, des conflits idéologiques. Introduire la politique dans les très petites villes et bourgs est une mauvaise chose; c'est la main mise sur l'ensemble de la France du seul parti au pouvoir.
La prochaine étape sera-t-elle la suppression des communes de moins de 500 habitants, un seul tour aux élections municipales, présidentielles et législatives? Le président du Sénat rassurait son monde, au début de l'été, en affirmant qu'il n'y avait pas de «fric-frac» dans la réforme. Pour l'heure c'est son rival de septembre 2008 qui a fait avancer les pions. Le discours d'Epinal de juillet 2007, dans lequel Nicolas Sarkozy ne «s'interdisait rien», pas même de remettre en chantier le projet de 1969, demeure encore un texte de référence qu'il ne faut surtout pas oublier; c'était déjà dans ce projet référendaire que ceux qui devaient participer à l'élection des sénateurs devaient s'appeler déjà des «conseillers territoriaux»!
D'autres réformes pourraient aussi guillotiner définitivement l'opposition; il n'est pas loin de supposer que la réforme municipale de 1983 inspire chez certains exécuteurs testamentaires le souhait de revenir au régime antérieur (liste majoritaire) ou d'aligner le régime actuel sur celui du tour unique ce qui placerait l'UMP en situation de premier de cordée dans de nombreuses grandes villes et villes moyennes ou avec un raffinement pervers comme l'avait imaginé dans une proposition de loi Jean-Pierre Schosteck, «de modifier la prime majoritaire accordée à la liste emportant le premier tour afin qu'il ne soit jamais pénalisant de gagner avant le deuxième tour»!
Denys Pouillard
Directeur de l'observatoire de la vie politique et parlementaire www.vielocale-viepublique.fr ou www.vlvp.fr