Denys Pouillard

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Billet de blog 31 mars 2011

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Du Sénat en général... et de 2012 en particulier

Les cantonales passées, il faut bien continuer à jouer au jeu de l'oie... à condition bien sûr de ne jamais reculer! Or la prochaine échéance est en septembre 2011. Vraisemblablement avec plus d'assurance, au lendemain des cantonales, qu'au lendemain même des municipales de 2008, il est possible d'envisager une alternance politique au Sénat.

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Les cantonales passées, il faut bien continuer à jouer au jeu de l'oie... à condition bien sûr de ne jamais reculer! Or la prochaine échéance est en septembre 2011. Vraisemblablement avec plus d'assurance, au lendemain des cantonales, qu'au lendemain même des municipales de 2008, il est possible d'envisager une alternance politique au Sénat. Pourquoi? Alors que l'élection de septembre prochain relève d'un scrutin de second degré et non du suffrage universel direct !


Le Sénat peut-il donc passer à gauche ?

Une fois dispersés les commentaires sur la poussée du FN ou l'ancrage des écologistes dans les zones urbaines (à défaut d'avoir pu convaincre les populations des 33 cantons renouvelables où sont localisées les 19 centrales nucléaires, les 12 raffineries ou les 35 cimenteries et leurs carrières), une autre donnée fait son apparition, collectée auprès de nombreux maires de petites villes ou de chef lieux de cantons et de petites communes : une hostilité grandissante à l'égard de la réforme des collectivités territoriales, présentée en trompe l'œil comme une sage mesure d'assainissement des finances locales, d'économie et de rationalisation territoriale.

L'échec patent du rapporteur du projet de loi élyséen, Dominique Perben, père de la réforme, au second tour des élections cantonales, sonnerait-il déjà le glas des conseillers territoriaux ? Les élus, échaudés par la réforme de la taxe professionnelle, vivent mal une réforme territoriale qu'ils ont dû subir sous la pression d'un parti sans en maîtriser pour autant ce qu'il en résultera dans cinq ou dix ans. Le mécontentement de la gouvernance locale a atteint les maires modérés qui tiennent à le faire savoir et qui n'hésitent plus à évoquer les moyens qu'ils utiliseront pour sanctionner l'exécutif mais aussi ceux qui, au Parlement, lui ont servi de relais. Gare aux sénateurs de la majorité présidentielle ou qui se présenteront sous ses couleurs, un soir de septembre, surpris, non pas par la sanction populaire mais par celle des élus aux mains nues, ce «tiers état» qui fait sa révolution de printemps.

Examiné à la loupe, le basculement de nombreux cantons de droite vers l'opposition fait apparaître que de petites localités ont répondu au sentiment le plus largement répandu aujourd'hui, celui du « tout sauf Sarkozy ». Dans la Loire, le Loiret, par exemple, la sanction des urnes a eu vite fait de renvoyer deux députés au tapis ; dans l'Isère ou le Morbihan, les prétendants à la succession de deux sénateurs qui ne se représentaient pas aux cantonales ont été sortis du ring ; une prime de rapidité pour conclure le match en un seul tour a même été obtenue pour deux d'entre eux ! Dans tous ces exemples, comme dans beaucoup d'autres départements, le réseau des maires a lâché... Galop d'essai et donc signe encourageant pour l'opposition, en septembre prochain. L'étroite majorité en sièges (entre deux et trois) pourrait bien grimper à quatre ; une majorité suffisante pour gérer le quotidien jusqu'en mai 2012 !


L'effet des municipales de mars 2008

Aux élections municipales de mars 2008, la gauche avait augmenté son capital « villes de plus de 3 500 habitants » de 67 communes dans les départements renouvelables à scrutin majoritaire et en avait perdu 29 par rapport à 2001 ; elle a reperdu, depuis mars 2008, deux autres communes lors d'élections partielles.
Au scrutin proportionnel, le score montait à 93 (dont 30 villes en Ile-de-France sans compter les résultats de Paris) ; la majorité présidentielle, en revanche, avait repris 36 mairies dont 11 en Ile-de-France (elle a conquis, au cours d'élections partielles cinq villes dont trois en banlieue parisienne).
La mathématique électorale sénatoriale est très particulière et les élections au Palais du Luxembourg relèvent presque de la science exacte ; si l'on peut calculer, à la virgule près, le nombre de délégués de chaque camp, l'appoint dans certains cas des conseillers régionaux et généraux se révèle bien nécessaire ; mars 2008 et mars 2010 y contribuent pour ces départements renouvelables...mars 2011 complète le tableau de chasse et renforce l'optimisme des présidents de groupes de l'opposition.
Des scénarios pour se faire peur

Naturellement vient à l'esprit l'élection du président du Sénat car il est vrai qu'une gauche à majorité étriquée séduit les malins qui réinventent, à l'occasion, les « majorités d'idées ». Certes on peut toujours imaginer quelques voix qui se dispersent...mais laissons rêver les conseillers en mal de coups tordus.

La présidence du Sénat n'est pas un décor de théâtre ; celui ou celle, à gauche, qui l'assumera devra tenir son rang et sera le voisin de table imposé à Nicolas Sarkozy, durant un peu plus de sept mois. Une cohabitation d'un genre nouveau que l'on imagine néanmoins encadrée par un protocole de convenances et de surveillances mutuelles.

Toute autre serait une seconde période, de mai 2012 à septembre 2014, si le président de la République était réélu (ou un autre candidat de la majorité présidentielle) et simultanément l'actuelle majorité reconduite à l'Assemblée et à Matignon. Un tour pour rien et une occasion manquée peut-être, dirons certains, mais pour la respiration démocratique, l'assurance, au moins, que l'une des chambres parlementaires aurait échappé au système monocolore...

Second scénario du possible (mais peu probable)...celui d'une victoire de l'opposition à la présidentielle mais pas aux législatives ! En somme... un président et un Sénat de gauche et un gouvernement de droite. La terre continuerait de tourner mais la singularité de cette cohabitation - encore d'un autre type - virerait rapidement à la ringardisation de la gauche, réduite à un corporatisme constitutionnel que rapidement la droite rangerait, à son tour, au rayon des « anomalies ».

Troisième éventualité : mai et juin 2012 colorent la gouvernance en rose. Cris de joie sans doute à la Bastille et belle revanche sur le trottoir du Fouquet's ! «Elle est trop belle la vie» et elle finira par se poser rapidement la question du monopole et de l'hégémonie en politique. Personne ne désire le retour au gaullisme même relooké par Pompidou et Giscard où de l'Elysée à Matignon, du Luxembourg au Palais Bourbon, on parle le même dialecte ; où le même parti détient la majorité des départements, celle des régions et celle des grandes villes, des agglomérations etc. La plus belle victoire du peuple ne durerait pas, en ce cas, trois ans car les Français auront vite fait en mars 2014 de rééquilibrer les puissances partisanes ; c'est le sens de l'histoire de toutes les élections lorsqu'elles sont dispersées dans le temps et qu'elles servent d'exutoire. Ce modèle là est peut être en train de se réaliser ; aux futurs dirigeants de la gauche de conserver le sens de la mesure et savoir dès maintenant trouver les moyens, à côté des urnes, de faire vivre aussi un droit de l'opposition et s'assurer que le pouvoir de gestion n'a pas été remis dans le seul intérêt d'un ou plusieurs partis mais bien dans les mains de ceux qui détiennent leur légitimité, du vote ; et leur exercice du pouvoir, de l'existence absolue, à côté, de contrepouvoirs réels, respectés de contrôle et de transparence.

Demeure non pas le meilleur scénario, mais celui qui, sans être original, ouvre la voie à la nécessaire révision tôt ou tard de notre Constitution : le président actuel est réélu, en mai 2012, avec une majorité si insignifiante qu'elle entrevoit, un mois plus tard, la victoire de la gauche aux législatives et donc son retour au Gouvernement. Ce scénario qui n'est pas à rejeter est celui aussi qu'inspirent les dernières « cantonales », les « régionales » de 2010 et élections cantonales et municipales de 2008 : une gauche dispersée au premier tour qui ne dépasse pas au niveau national les 48 à 49 % et pas suffisamment unie sur un programme commun de gouvernement pour assurer un rassemblement majoritaire au second tour mais, en revanche, solidement implantée dans les cantons et villes constituant les nouvelles circonscriptions ( où rien ne prouve, bien au contraire, que le redécoupage lui est, encore, néfaste). Or la droite a toujours montré sa capacité à s'unir au second tour des « présidentielles » et même faire le grand écart en allant chercher, sans complexe et au nom de valeurs à géométrie variable, les voix de l'extrême droite pour assurer sa pérennité.
Ce scénario dans lequel tout le monde rit et pleure à tour de rôle ne dure que si la gauche victorieuse ignore le président reconduit... ou si le président oublie volontairement de relire, tous les matins en se rasant, quelques articles de la Constitution. C'est l'éternelle histoire politique de la France : se démettre ou se soumettre... et tout cela, en 2012, peut-être à cause d'un Sénat à gauche ! Mais se démettre relèverait du simple bon sens... celui qui remettrait le calendrier à l'endroit - comme il aurait dû le rester - en rappelant que l'erreur fatale de l'inversion du calendrier électoral à conduit au 21 avril 2002 et que nous vivons, depuis, sous la menace permanente de 21 avril répétitifs, ce qui n'est pas de bonne augure politique, quelle que soit la nuance du candidat arrivé en tête.
Denys Pouillard
Directeur de l'Observatoire de la vie politique et parlementaire (www.vlvp.fr)

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