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Billet de blog 29 juin 2019

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La transition écologique n'aura pas lieu

Les politiques ont compris l'urgence climatique, les entreprises font de la croissance verte, les citoyens sont écoresponsables et même la jeunesse se mobilise. Toute la société semble en mouvement pour le climat. Pourtant, la transition écologique n'aura pas lieu car ces postures ne remettent en cause ni notre mode de vie ni sa base idéologique : culte de la technologie, consumérisme, économisme.

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Dans l'imaginaire collectif, la transition écologique est une période d'efforts basés uniquement sur l'intelligence et le volontarisme -donc indolores- qui nous conduira à un monde tout neuf et tout propre, ultra technologique, une sorte de monde parfait à la "Minority report". Une fois l'affaire entendue, on pourra continuer comme avant et même pire qu'avant (croissance oblige), avec des black friday tous les vendredis de l'année et une accumulation de bidules et autres machins inutiles. Mais c'est un pur fantasme, le plus probable c'est qu'on fonce tout droit vers un monde à la "Mad Max", un monde de guerres généralisées pour capter les ressources et d'ilots clôturés de riches interdits aux pauvres. Pour éviter Mad Max il faudra consommer mieux certes mais surtout consommer moins et mieux répartir. L'exemple doit donc être donné par les riches des pays riches sinon c'est inacceptable pour le reste de la population. C'est la seule voie raisonnable mais elle est impensable dans le cadre économique et idéologique dominant.

Le capitalisme détruit la planète mais il a tellement imprégné les consciences que le Marché est présenté aujourd'hui comme LA solution, alors qu'il est au coeur du problème. Ainsi la loi de l'offre et de la demande inspire des mesures de "bon sens" comme la taxe carbone. Or, en dehors des livres d'économie, cette loi fonctionne rarement. Pour la taxe carbone, le consommateur -spécialement le pauvre- ne peut arbitrer entre différentes options, dont une est de ne pas consommer. De la même façon que si on taxe l'air ce n'est pas pour autant que les gens vont moins respirer. Même chose pour les fameux "droits à polluer" (un prix à la tonne de carbone dérisoire, compétitivité oblige) qui sont rapidement devenus des produits spéculatifs comme les autres, sans aucun impact sur la pollution. Idem pour la nouvelle mode des investissements verts, placements recherchés à condition qu'ils soient aussi rentables que les autres, donc -car il n'y a pas de miracle- à condition qu'ils polluent autant. Même certains écologistes, gangrénés par l'économisme ou ne sachant plus comment convaincre, nous expliquent qu'il faut moins polluer non pas parce que l'air va devenir irrespirable mais parce que cela risque d'avoir un coût financier exorbitant dans le futur. Seulement voilà, il y a une vérité bête qu'il faut rappeler : l'argent ne se mange pas et ne se respire pas non plus.

Certains se réjouissent un peu vite de la prise de conscience écologique de la jeunesse. En vérité, jamais la jeunesse n'a autant consommé de bidules et n'a été autant fascinée par la technologie. Ils ont beau pousser la chansonnette pour "sauver la terre"  dans les spectacles d'écoles en fin d'année, combien parmi eux sont capables de renoncer à leur portable? On retrouve ce même culte de la technologie dans les entreprises où la mode est à la digitalisation et à l'intelligence artificielle, avec pour parfaire le tableau un zeste de croissance verte, c'est à dire du greenwashing pour nous inciter à consommer toujours davantage, quand il ne s'agit pas de délocaliser la pollution dans les pays pauvres. Comme pour le Marché, la technologie -en tous cas celle qui est proposée- n'est pas la solution mais le problème. Le numérique consomme déjà 15 % de l’électricité mondiale et cette consommation double tous les 4 ans. A ce rythme Internet deviendra bientôt plus énergivore que la totalité des autres activités humaines. Ce ne sont donc pas les voitures autonomes ou même les voitures électriques qui régleront nos problèmes de ressources, d'énergie et de pollution. De plus, pour fabriquer toutes ces nouvelles machines (voitures, usines etc) soit disant propres (rien ne l'est vraiment), il va falloir pousser au maximum les feux de nos anciennes machines polluantes, puis les jeter. Cette transition devrait donc s'accompagner d'une augmentation conséquente de la pollution pendant des décennies.

Alors, si on ne peut se fier au Marché, aux entreprises, à la technologie et à une jeunesse déjà fourvoyée, d'où viendra l'éclaircie? Des citoyens qui, ici ou là, prennent des initiatives en matière d'écologie? Leurs efforts de sobriété sont admirables mais ils ne se rendent pas compte qu'ils essaient de vider la mer avec une petite cuillère, encore qu'ici la mer en question gagne du terrain à vue d'oeil. Phénomène plus pervers encore, persuadés que c'est localement qu'ils changeront le monde en votant avec leur portefeuille, ils deviennent indifférents à la chose politique. Mais n'en déplaise à Adam Smith, les intérêts privés -surtout dénués de morale- ne produisent pas l'intérêt général. Une petite minorité de privilégiés peut parfaitement -et c'est bien sûr le cas- polluer davantage que le reste de la population. Au final il n'y a qu'une entité qui peut les contraindre à respecter un choix majoritaire et qui peut relever les immenses défis de la transition écologique et ainsi défendre l'intérêt général. C'est la puissance publique, enfin ce qu'il en reste après des décennies de privatisations et de délégation de pouvoir au niveau européen.

Que peut donc faire la puissance publique ou plutôt que ne peut-elle plus faire dans le cadre du libéralisme économique et des traités européens? Consommer moins, c'est renoncer au Graal de la croissance. Mieux répartir, c'est rompre avec la théorie du ruissellement vers le bas. Développer des services publics ambitieux, c'est contraire à l'ouverture des marchés publics imposée par Bruxelles (rappelons que l'ouverture du fret à la concurrence a augmenté le nombre de camions sur nos routes). Investir massivement dans les énergies renouvelables, c'est transgresser la règle européenne des 3% de déficits publics. Imposer des seuils et des objectifs à atteindre aux entreprises en matière d'écologie, c'est mettre en danger la sacro-sainte compétitivité. Limiter nos échanges (taxer le fioul des tankers, augmenter les droits de douane)  pour nous débarrasser de la viande néozélandaise ou autre absurdité écologique envahissant nos étals, c'est contraire aux traités de libre-échange signés par l'UE.

Si on ajoute à cela quelques critères psychologiques, l'égoïsme des nations (aucune ne souhaite se tirer une balle dans le pied), l'individualisme crasse qu'on pourrait résumer à "après moi le déluge", la croyance religieuse qu'on "n'arrête pas le progrès" et le syndrome de la grenouille (*)  inhérent à la lenteur des phénomènes en jeu, il est évident que nous sommes complètement cornérisés. Et c'est dans ce contexte qu'apparaissent les oxymores "finance verte" et "croissance verte", le localisme utopiste et dépolitisé et les parades d'une jeunesse plus consumériste qu'écologiste. Sans doute faut-il faire semblant d'agir pour se rassurer à bon compte? Ou bien est-ce une tactique pour désarmer  ceux qui voudraient renverser la table? Toujours est-il que la transition écologique n'aura pas lieu sans remise en cause globale du système économique qui produit pollutions et réchauffement climatique. Et l'hégémonie de l'idéologie libérale est telle qu'il n'y a probablement qu'un choc d'une exceptionnelle gravité, par exemple une déflagration économique inouïe (**), qui peut remettre les choses à plat, réveiller les consciences et nous réconcilier avec l'essentiel.

 (*) Une grenouille réchauffée peu à peu dans une casserole ne se rend compte de rien et meurt. Mais si on la plonge dans l'eau bouillante, elle a le réflexe de bondir pour échapper à la mort.

(**) Rappelons que même la crise historique de 2008 n'aura pas suffit à faire sourciller les partisans de l'économie néoclassique.

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