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Billet de blog 7 mars 2024

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Vladimir Poutine : en attendant le « Moment Ceausescu »

Rien de commun entre le Conducator roumain, Ceausescu, et Poutine. Le premier était le tyran d’un régime totalitaire, quand le second est élu « démocratiquement » sans discontinuer depuis 2000 jusqu’en 2036, si l’on excepte la période, de 2008 à 2012. Rien de commun entre le « Génie des Carpates » qui appauvrit son pays et Poutine qui remit son pays sur l’échiquier des relations internationales ?

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Les bases sur lesquelles reposent ces deux régimes présentent de nombreuses similitudes, la principale étant que les deux sont des états totalitaires, au service de la gloire d’un homme.

Dans un cas, comme dans l’autre, le mensonge règne et les mots perdent toute valeur. Les ennemis sont accusés de ce que l’on fait soi-même. Les Ukrainiens tuent des civils, les Ukrainiens tirent sur les bâtiments publics, les Ukrainiens utilisent des armes interdites, les Ukrainiens maltraitent les prisonniers. Litanie des actes que l’armée russe pratique à grande échelle, engagée dans une guerre que Poutine qualifie « d’opération militaire spéciale » afin d’en limiter l’impact mental pour les populations russes.

La manipulation de l’histoire est un élément central pour ces régimes. Dans ce domaine, en digne continuateur du NKVD qui assassina l’élite militaire polonaise à Katyn, en mars-avril 1940, Poutine est un expert. La réactivation de la barbarie nazie lui sert de bréviaire. Elle permet de disqualifier toute forme d’opposition. Les Ukrainiens sont des nazis, Volodymyr Zelensky est un nazi, les puissances occidentales sont des alliées des nazis, Emmanuel Macron est un continuateur de la politique de collaboration de Philippe Pétain avec les nazis, etc. Il serait possible de poursuivre ad nauseam, la liste de ceux qui sont rangés dans cette catégorie destinée à légitimer à l’intérieur de la Russie, la guerre enclenchée dès 2014 par l’annexion de la Crimée.

De tels régimes s’appuient sur la toute-puissance de leurs services de sécurité (FSB en Russie, Securitate en Roumanie), mis au service de la protection d’un homme et de son petit cercle de fidèles. La journaliste Anna Politkovskaïa, critique du régime, fut assassinée le 7 octobre 2006 dans son immeuble. Deux de ses assassins ont été condamnés, sans que les commanditaires ne soient identifiés. Alexandre Litvinenko, membre du FSB devenu lanceur d’alerte fut empoisonné au Polonium, il décèdera à Londres le 23 novembre 2006. Les coupables, probablement liés au FSB, n’ont jamais été jugés, ni même trouvés. Boris Nemtsov fut assassiné sur le pont Bolchoï près du Kremlin, le 27 février 2015. Les auteurs venus du Caucase auraient été identifiés, sans que les preuves n’aient été apportés. Alexeï Navalny, le 16 février 2024, fut éliminé après avoir enduré un régime pénitentiaire d’exception, digne des camps de la Kolyma soviétique. Ne sont évoquées ici que les victimes les plus connues du régime criminel de Poutine. Il serait possible d’ajouter à la liste, les nombreux oligarques morts de « façon suspecte » à l’étranger, en tombant malencontreusement d’un immeuble, ou passant par-dessus bord (voir : https://www.france24.com/fr/europe/20221229-suicide-noyade-venin-de-crapaud-les-morts-myst%C3%A9rieuses-de-14-oligarques-russes)...

Le crime est au pouvoir à Moscou, comme il l’était à Berlin dans les années 1930, ou à Bucarest dans les années 1980, et il ne cherche même plus à sauver les apparences de légalité. Le plus fidèle des fidèles, Evgueni Prigogine, architecte des basses œuvres du régime en Afrique et ailleurs, en fit les frais le 24 août 2023, son avion ayant malencontreusement perdu une aile avant de s’écraser. Le message est clair, toute forme d’opposition à Poutine, vaut condamnation immédiate à mort. La liste est longue des « ennemis de l’intérieur » qu’il s’agit de traquer, le dernier en date étant l’ex champion d’échecs, Garry Kasparov, placé sur la liste des « terroristes et extrémistes » le 6 mars 2024. Une fois la machine enclenchée, rien ne peut plus l’arrêter, elle suit sa route, telle la Roue rouge d’Alexandre Soljenitsyne, en écrasant toute velléité d’opposition sur son passage. Poutine ne se limite d’ailleurs pas aux ennemis de l’intérieur estimant que des dirigeants étrangers doivent tomber sous sa loi, ainsi de la première ministre estonienne, Kaja Kallas contre laquelle un mandat d’arrêt a été lancé le 13 février 2024.

Ces régimes paraissent d’une solidité absolue, rien ne pouvant les contenir, ni les fragiliser. Ce qui constitue leur force apparente n’est en fait que leur faiblesse. Conduits par l’Hubris de leur leader charismatique, ce sentiment irrépressible de la puissance sans contrôle, ces pays se retrouvent lancer dans des impasses folles. Ayant envahi la Crimée en février 2014, ayant pris le contrôle du Donbass, ayant testé ses méthodes guerrières en Syrie, ayant déstabilisé des régimes subsahariens, en Centrafrique, au Mali, au Burkina-Faso, ou au Niger, ayant obtenu le soutien militaire de la Corée du Nord ou de l’Iran, Poutine peut se sentir intouchable.

Il a néanmoins déjà été observé que cette invulnérabilité peut brutalement se retourner, et ce en l’absence d’intervention extérieure. En cela la Roumanie de Ceausescu a constitué un modèle. Le 21 décembre 1989, le « Danube de la pensée » est inquiet. Les événements récents de Timisoara suscitent des tensions au sein du pays. Il lui faut reprendre la main et vite. D’une main de fer, il contrôle l’armée et la police politique, la Securitate. La presse est sous-contrôle, les médias sous-tutelle et les opposants en prison ou déjà assassinés. Rien ne peut lui arriver. Il va donc prouver son incommensurable ascendant sur son peuple, lors d’un vaste rassemblement sur la place de la Révolution, au centre de Bucarest.

Mais d’un coup, les manettes ne fonctionnent plus, les obligés ne répondent plus au doigt et à l’œil. La peur surgit alors dans le regard du grand dictateur. Il lui faut fuir comme un vulgaire renégat, trouver un appui auprès des fidèles parmi les fidèles. La suite est connue. Nicolae Ceausescu et son épouse Elena, seront jugés lors d’un procès fictif, puis exécutés. De même, il faut souhaiter que Poutine perde au plus vite le contrôle, que les manettes ne lui répondent plus et que la peur change enfin de camp. Que dans son regard vide, un clignement de peur apparaisse. Que son sourire narquois laisse place au rictus de celui qui sent venir sa fin. Quand son cercle proche de fidèles prendra conscience que Poutine les mène au désastre, il cherchera à s’en débarrasser, comme le fit Claus Von Stauffenberg pour Hitler, le 20 juillet 1944. Par contre, ce n’est pas une exécution sommaire qu’il faut lui souhaiter, mais un procès international devant lequel il répondra de ses crimes, de tous ses crimes.

Qu’on le prenne par ses épaules frêles et qu’on l’installe sur une chaise confortable, dans un box sécurisé de la Cour pénale internationale de La Haye (voir : https://www.icc-cpi.int/sites/default/files/Publications/mieux-comprendre-cpi.pdf). Qu’il y réponde aux questions qui lui seront posées et soit jugé à la hauteur des désastres qu’il commit, en pleine conscience. De cette chute pourrait être attendu un avenir meilleur pour les populations de la Fédération de Russie, embrigadées dans des délires de puissance nationaliste, dignes des pires naufrages des XIXe et XXe siècles.

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