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Billet de blog 10 mars 2011

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Comment en finir avec les président(e)s «thaumaturges»?

En France, toutes les attentes politiques convergent vers le moment de l'élection présidentielle. L'élection législative qui dans la plupart des démocraties constitue le temps fort, celui du débat et des confrontations entre projets, se trouve réduite à entériner le résultat de l'élection immédiatement précédente.

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En France, toutes les attentes politiques convergent vers le moment de l'élection présidentielle. L'élection législative qui dans la plupart des démocraties constitue le temps fort, celui du débat et des confrontations entre projets, se trouve réduite à entériner le résultat de l'élection immédiatement précédente. Tout du moins en est-il ainsi depuis que la durée du mandat a été limitée à cinq ans (référendum du 24 septembre 2000) et le calendrier inversé (le 24 avril 2001). Cette erreur politique considérable de L. Jospin et du parti socialiste remettait J. Chirac sur les rails, elle lui offrit en sus une victoire inespérée. Plus grave, elle modifiait en profondeur la nature du régime. Comment expliquer que la gauche emporte toutes les élections intermédiaires (cantonales et municipales de mars 2008, régionales de mars 2010 et probablement cantonales de mars 2011 avec des effets ultérieurs sur le Sénat) et ne bénéficie pas d'un avantage substantiel lors de l'élection présidentielle ? Si le dernier sondage de l'institut L. Harris, publié par le Parisien le 6 mars 2011, ne constitue pas nécessairement le symptôme le plus significatif, en raison des fragilités méthodologiques qui l'affectent, interrogeons-nous tout de même sur la forme de schizophrénie politique dont nous sommes victimes.

Les explications sont à chercher dans la nature du scrutin présidentiel « à la française », la rencontre d'un homme et d'un peuple, comme le voulait le général de Gaulle. Si la constitution française offre au chef de l'Etat des pouvoirs exorbitants en regard de ceux observés dans les pays démocratiques, c'est dans le processus de désignation qu'il faut voir les principaux problèmes. Parvenir à la fonction suprême, obtenir les suffrages suppose des promesses inconsidérées et une surenchère dans l'affichage du volontarisme. L'espace d'un instant, il va être possible de croire aux miracles, d'échapper au « désenchantement du monde » (cf. le livre de 1985 de M. Gauchet). Les désillusions sont ensuite cruelles, à la hauteur des illusions initiales. Dans le cas d'un président sortant, la mécanique est plus complexe car celui-ci devrait en théorie être jugé sur son bilan. Tout laisse à penser que ce dernier pèsera moins que les nouvelles promesses. Ainsi le candidat Sarkozy pourrait bien parvenir à faire oublier les insignes limites du président Sarkozy. Son agitation permanente sans résultats se transformera miraculeusement en volontarisme.

De façon profonde cela renvoie au caractère magique que l'on attribue au futur président. Il est doté de pouvoirs exceptionnels comme les rois « thaumaturges » que M. Bloch analysait dans son livre de 1924. Ceux-ci devenaient personnages sacrés une fois oints de l'huile de la Sainte Ampoule celle la même qui fut solennellement brisée à Reims le 7 octobre 1793. Une telle magie nécessite des crédules. Dans le cas des rois « thaumaturges », l'esprit rationnel des Lumières ajouté à la réticence des protestants d'accepter la notion de miracle ont progressivement affaibli le mythe. Néanmoins, le dernier roi en Europe ayant cherché à utiliser le subterfuge fut Charles X le 31 mai 1825, bien après l'Angleterre où le dernier toucher royal est signalé le 27 avril 1714.

Et aujourd'hui, dans notre village planétaire hyper sophistiqué, n'existe-t-il pas des réminiscences de ces anciennes croyances ? Ne nous faisons-nous pas encore leurrer par les mêmes sornettes ? Si le président ne touche pas les écrouelles ni ne guérit les scrofuleux, on lui accorde la capacité par la magie de sa toute puissance verbale de faire disparaître les maux de la société. Un candidat-président modeste déçoit. Il doit être capable par le génie de sa propre parole de transmuter le plomb en or. Que cherchait N. Sarkozy en se rendant avec des airs d'enfant de chœur au Puy-en-Velay, avant d'aller au Mont-Saint-Michel puis à la basilique de Vézelay ? Renouer avec les héritages de la « France éternelle », tenter de raviver le prestige naïf dont jouissaient les anciens rois « thaumaturges » ? À un candidat à la présidentielle qui annoncerait qu'il ne peut tout faire, qu'il s'engage à réaliser un programme certes limité mais réaliste, que lui serait-il répondu : « Quel manque d'audace ! Fais-nous rêver ! Réalise des miracles ! Comment, tu ne peux pas tout ? ».

Cette dérive irrationnelle est lourde de dangers. D'abord, elle déçoit systématiquement et génère une atmosphère dépressive. Les promesses incohérentes ne pourront être tenues mais elles auront un prix, du fait des pertes de temps, des revirements. Il n'est pour s'en convaincre que de faire le catalogue des annonces initiales de N. Sarkozy et de les mettre en regard des réalisations[1], qu'il s'agisse de l'agriculture, des banlieues, du capitalisme à moraliser, des droits de l'Homme, de l'Education nationale, de l'Europe, de l'emploi, de l'environnement, de la fiscalité, du logement, du pouvoir d'achat, de la sécurité... Ensuite, les risques existent d'une surenchère. Nous sommes insatisfaits des promesses, optons pour des promesses encore plus radicales ! Cette spirale dans la surenchère est l'apanage des drogues dures. C'est sur ce créneau que prospèrent les candidats hors-système et en tout premier lieu la candidate frontiste.

De quelles solutions disposons-nous ? Comment, briser une nouvelle fois la Sainte Ampoule et en finir avec les relents de thaumaturgie des candidats(es) à la fonction suprême ? Deux voies s'offrent : la première consisterait à modifier la constitution pour glisser vers un régime parlementaire ou à limiter de façon drastique les pouvoirs du chef de l'Etat. Pour cela, il faudrait reprendre la constitution de 1958, celle qui a été modifiée par le référendum d'octobre 1962 ou bien coupler élections législative et présidentielle ou encore séparer de façon rigoureuse les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. L'autre solution consisterait à mûrir, ne plus se laisser duper par les vaines promesses, faire preuve de rationalité. Si des réformes, des adaptations, des inflexions sont possibles, les ruptures radicales ne sont pas la solution. De nouvelles orientations sont envisageables dans de multiples domaines, mais elles prennent du temps et ne font le plus souvent sentir leurs effets qu'au-delà du mandat. Autrement dit, charge à nous, modestes électeurs, de ne plus être dupes des vaines promesses, des slogans débilitants et des croyances infantilisantes. Au final, si la France est malade, c'est probablement d'abord des dérives régressives de son régime hyper-présidentiel mâtiné de thaumaturgie. Espérons que cela ne soit pas jusqu'à la nausée...


[1] Voir à ce propos le site de Marianne : http://www.marianne2.fr/sarkofrance/L-abecedaire-des-promesses-non-tenues-de-Nicolas-Sarkozy-2007-2010_a55.html

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