Il serait nécessaire de comprendre la logique du camp présidentiel lors de la campagne pour les européennes de 2024. Pouvant arguer d’un bilan à défendre et d’une certaine influence au Parlement de Strasbourg, il lui est apparu préférable de rejouer le sketch éculé de l’opposition frontale avec le Rassemblement national, parti qui n’exerce aucune influence au Parlement européen, y manque totalement de cohérence en particulier sur la guerre en Ukraine, mais profite grassement des moyens qui sont alloués aux députés européens. Mieux, Jordan Bardella, tête de liste de ce parti, préféra ostensiblement snober les débats avec les autres leaders en compétition, préférant pratiquer la stratégie de communication par le selfie, tellement plus confortable. Ce contexte aurait justifié que soient à la fois dénoncés les options politiques du Rassemblement national et le mépris de sa tête de liste pour l’exercice démocratique. Face à une telle situation, le chef du gouvernement, Gabriel Attal, ne trouva rien de mieux que de débattre avec Jordan Bardella, le 23 mai 2024. Il s’agissait d’une triple erreur : se substituant à la tête de liste de son propre camp, Valérie Hayer, il la fragilisa ; en débattant avec le seul Jordan Bardella, il le crédibilisa ; en descendant dans l’arène européenne, il contribua à faire de ce scrutin un plébiscite contre son propre gouvernement. Résultat largement confirmé le 9 juin, au bénéfice du seul Rassemblement national.
Arguant de ce résultat déstabilisateur, Emmanuel Macron opta pour la dissolution de l’Assemblée nationale, sans avoir au préalable daigné consulter son Premier ministre… Dans un contexte de crise géopolitique majeure, le chef de l’Etat prend donc, seul, le risque d’ajouter une crise politique, voire potentiellement une crise institutionnelle, au sein du pays européen charnière pour les questions diplomatiques et stratégiques. Par-delà l’insigne maladresse, il s’agit d’un inquiétant manque de sang-froid. Une telle décision résulte toujours d’un calcul politique visant à améliorer sa situation initiale : dissoudre pour obtenir la légitimation de sa politique, comme Charles de Gaulle en octobre 1962, ou pour sortir par le haut d’une crise majeure en mai 1968. Il peut aussi s’agir de mettre en concordance une majorité législative avec une majorité présidentielle récemment élue, comme François Mitterrand en mai 1981 et mai 1988. Enfin, il existe le cas de la volonté de renforcer sa propre majorité, en raison des incertitudes qui pèsent sur celle-ci à brève échéance, comme Jacques Chirac en avril 1997. Mais comment saisir le calcul effectué par Emmanuel Macron ? Sa majorité actuelle n’est que relative, elle risque de ne même plus être majoritaire au soir du 7 juillet… S’il s’agit d’ajouter des erreurs à celles déjà commises, c’est bien joué… S’il s’agit d’offrir des perspectives rationnelles, voire rassurantes, au pays, cela l’est beaucoup moins… A vouloir crever l’abcès du vote extrémiste, il risque d’en diffuser le poison et de générer une septicémie.
Par-delà les choix effectués par le Président de la République, qui l’engage lui, mais nous impacte toutes et tous, la situation actuelle interroge sur les pratiques politiques enracinées dans ce pays. Yaël Braun-Pivet, l’actuelle Présidente de l’Assemblée nationale a clairement pointé ce paradoxe. Plutôt que d’espérer une illusoire majorité au parlement, mieux vaudrait (aurait valu) chercher à construire des majorités provisoires en fonction des sujets abordés, voire mieux de négocier un accord de gouvernement avec certaines de forces en présence… et ensuite de s’y tenir. Ceci demande du temps, nécessite des compromis et suppose que la logique descendante présidentielle s’estompe au profit d’une progressive maturation des projets. Toutes choses éloignées de l’ADN politique français, et non uniquement de celui du Président de la République. Dans des pays européens voisins, des pratiques politiques de ce type existent et ne nuisent pas aux prises de décision. Or en France, chaque camp estime disposer du plan idéal et tout ira mieux pour le pays lorsqu’il pourra enfin disposer d’une majorité absolue à l’Assemblée lui permettant d’appliquer son programme à la lettre. Dangereuse illusion et parfait mensonge, source de rancœur pour les populations du pays.
La convergence des mécontentements à l’encontre d’un Président de la République qui n’est pas parvenu à créer de dynamique à la suite de son élection en avril 2022, risque de le conduire au mieux à une nouvelle majorité relative et au pire à une cohabitation avec le Rassemblement national. L’hypothèse d’une victoire, même relative, du nouveau Front populaire en gestation semblant plus faible en raison de sa création récente. Dans le premier cas, nous reviendrions à la case départ, avec la nécessité de concevoir des compromis, dans le second, il s’agirait d’un scénario catastrophique pour l’image internationale de la France, que le Rassemblement national bénéficie d’une majorité relative qui serait très vite confrontée à des motions de censure, ou hypothèse peu probable, qu’il parvienne à atteindre la majorité absolue. Vouloir à chaud, clarifier la situation issue des élections européennes, ouvre grand les perspectives d’un chaos, politique, institutionnel, mais aussi financier et diplomatique. Il est à espérer que ceci ait, a minima, été anticipé par les concepteurs de cette initiative déroutante…