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Billet de blog 12 janvier 2010

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« L'égalité des chances » contre la justice sociale

La tournure prise par les débats consécutifs au refus de la CGE (Conférence des Grandes Ecoles) d'élever à 30 % la part des boursiers dans leurs effectifs fait jusqu'à présent l'impasse sur l'acteur majeur de formation de la population française : l'université.

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La tournure prise par les débats consécutifs au refus de la CGE (Conférence des Grandes Ecoles) d'élever à 30 % la part des boursiers dans leurs effectifs fait jusqu'à présent l'impasse sur l'acteur majeur de formation de la population française : l'université.

Deux formes de critiques s'expriment : elles correspondent aux positions d'A. Minc ou de F. Pinault qui estiment moralement « indigne » le refus de s'ouvrir à la diversité (cf. leur tribune dans Le Monde du 7 janvier) ou à celles de R. Descoings (Directeur de l' IEP de Paris, Sciences Po) témoignant à partir de sa propre expérience, qu'il est possible de mettre en place des dispositifs de « discrimination positive » sans risquer la remise en cause de la qualité des formations délivrées. La position de P. Tapie (Président de la CGE) a le mérite de la clarté : ouvrir davantage les grandes écoles risquerait d'en affaiblir le niveau, garantes de l'excellence elles ne peuvent modifier les règles du jeu sauf à affaiblir le modèle qui est le leur. Pour cela, un concours couperet demeure indispensable. Il permet de trier le bon grain de l'ivraie, de sélectionner les sujets qui seront les plus adaptés à exercer les fonctions supérieures dans les secteurs économiques, politiques et autres. La garantie de cette éminence impose un modèle malthusien, rétréci à la base par un mécanisme précoce de sélection que ni A. Minc, ni F. Pinault, ni R. Descoings n'envisagent de remettre en question, sinon de façon homéopathique.

Face à ce schéma, existe un contre-modèle, étrangement absent jusqu'à présent des débats. Probablement parce que lui sont attribués tous les maux : choix par défaut des étudiants, faible sélectivité, taux d'échec élevés, mauvaise insertion, mauvaise image, grèves à répétition, autrement dit l'inverse de l'excellence dont s'enorgueillissent les grandes écoles. Dépassons maintenant cette image caricaturale et analysons leurs spécificités en regard de la polémique en cours.

Les universités françaises n'ont pas à se forcer pour aller quérir les populations les plus diverses, elles les accueillent a priori. Elles accueillent des jeunes venant de tous les types de formation initiale (baccalauréats généraux, technologiques, professionnels voire ceux sans bac, par l'intermédiaire du DAEU qui constitue une véritable école de la seconde chance), elles accueillent des populations venues de tous les territoires (des banlieues aisées comme des quartiers de la « géographie prioritaire »), elles accueillent des jeunes dont les parents sont de catégories populaires et d'autres de milieux favorisés, elles accueillent des étudiants venant des tous les horizons, de pays développés et de pays parmi les plus pauvres de la Terre, elles accueillent enfin des populations plus âgées en reprise d'études. Ceci constitue leur première spécificité.

La deuxième repose sur la construction progressive du parcours des étudiants. Ceux-ci ne peuvent, sauf exception, indiquer en début de cursus ce que sera leur avenir professionnel. L'université ne postule pas que tous les jeux sont faits par la grâce d'un concours réussi à vingt ans qui déterminera les bonnes et les mauvaises positions dans la vie (point d'ailleurs souligné dans la tribune de A. Minc et F. Pinault). Elle laisse la possibilité aux talents de s'exprimer, aux spécialisations de mûrir. En cela, le modèle des grandes écoles apparaît comme réducteur, trop formaté.

La troisième caractéristique et richesse du modèle universitaire réside dans sa pluridisciplinarité. S'y côtoient des enseignants-chercheurs et des étudiants en sciences et techniques comme en sciences humaines et sociales, des économistes comme des linguistes, des juristes comme des sociologues, etc. Ces diversités d'approche débouchent parfois, trop rarement, sur des enrichissements mutuels. Et pourtant la complexité croissante des enjeux contemporains impose la confrontation de ces champs disciplinaires variés. La pluridisciplinarité peut inquiéter et paraître source d'éparpillement, autrement dit d'une moindre efficacité, quant à l'inverse, son atout majeur réside dans les opportunités de croisement et d'enrichissement. En ce sens, le modèle des grandes écoles à la française est très efficace mais construit sur un schéma plus strictement mono-disciplinaire.

Enfin une quatrième spécificité doit être mise en avant, celle du maillage territorial assuré par les universités et leurs antennes locales, en particulier par les IUT. La présence universitaire ne se réduit pas à un point isolé sur une carte mais correspond à un véritable réseau. Ceci constitue un indéniable atout pour les territoires en offrant des opportunités de formation de proximité ainsi qu'en facilitant les relations avec le tissu économique local, le plus souvent constitué de PME ou de PMI lorsque l'on s'éloigne des principales agglomérations.

En conclusion, plutôt que de se battre pour que les grandes écoles daignent élever à 20 %, puis 25 %, puis 25,5 %, leurs taux de boursiers, il serait socialement et économiquement plus efficace de parier sur le modèle le plus ouvert sur la société, celui qui balaie les champs disciplinaires les plus variés et parvient avec des moyens, somme toute limités, si l'on compare aux sommes dont disposent de nombreuses universités étrangères, à lier enseignement et recherche, autrement dit, à produire de l'excellence et à en diffuser les résultats.

D'une manière plus générale, les promoteurs de l'égalité des chances se satisfont d'une société de plus grande injustice[1]. Que les portes se referment sur le plus grand nombre ne leur semble pas gênant, ni menaçant, tant qu'il est possible de laisser croire que les élites vont accepter de s'ouvrir à quelques nouvelles populations. Les dispositifs mis en place par l'actuel gouvernement s'inscrivent dans cette idéologie : ici, un peu de « busing » pour permettre à quelques « jeunes méritants » des quartiers d'avoir accès aux meilleurs collèges ou lycées du centre-ville ; là, un peu de « coaching » pour donner à quelques autres les clés permettant de réussir les concours les plus ardus, dispositifs bénéficiant, il faut le souligner, de subsides conséquents de l'Etat. Pendant ce temps, la situation se dégrade dans une large majorité d'établissements du secondaire, les réformes les plus confuses affectent les lycées ou la formation des futurs enseignants.

Le débat sur la prétendue « égalité des chances » ne répond pas en conséquence aux défis majeurs de notre société. Il ne s'agit pas d'ouvrir de manière parcimonieuse l'élite à une frange un peu plus diverse, mais de permettre au maximum de talents de s'épanouir. En ce sens, les universités mettent en œuvre de vrais projets de justice sociale au sens de J. Rawls et non de simples dispositifs d'égalité des chances.

Didier Desponds, maître de conférences en géographie, université de Cergy-Pontoise. Dernier ouvrage paru : « Stratégies résidentielles et logiques ségrégatives », ed. Connaissances et savoirs. 2005


[1] Ces thèmes seront développés lors d'un Colloque intitulé : « L'égalité des chances, au-delà des mots » se déroulant à l'université de Cergy-Pontoise, les 24 et 25 mars 2010.

Nouvelle version mise à jour jeudi 14 janvier.

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