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Billet de blog 22 juillet 2009

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«L'homme n'a pas marché sur la Lune» et autres balivernes

Donc, incroyable révélation, l'homme n'aurait pas marché sur la Lune. Les preuves sont incontestables: les étoiles n'apparaissent pas sur les photos, le drapeau flotte étrangement, les ombres ne correspondent pas à ce qu'elles devraient être et ce sont les Américains, d'authentiques manipulateurs qui ont nécessairement orchestré le tout. Complot, complot !!

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Donc, incroyable révélation, l'homme n'aurait pas marché sur la Lune. Les preuves sont incontestables: les étoiles n'apparaissent pas sur les photos, le drapeau flotte étrangement, les ombres ne correspondent pas à ce qu'elles devraient être et ce sont les Américains, d'authentiques manipulateurs qui ont nécessairement orchestré le tout. Complot, complot !! Heureusement que de rigoureux esprits critiques veillent. Ils sont parvenus à démasquer la supercherie. L'opération Lune a été organisée dans une base secrète, quelque part dans un désert américain, avec la participation des plus grands scientifiques et de quelques brillants cinéastes passés maîtres dans les effets spéciaux (S. Kubrick pour ceux qui n'auraient pas deviné).

De tout temps, les rumeurs ont existé. Elles constituent de remarquables objets d'étude pour les historiens : ainsi des « Grandes peurs » de la Révolution française. Elles révèlent l'inconscient des peuples, apportent des éclairages en creux sur leurs schémas de pensée. Dans le cas présent, la polémique peut surprendre compte tenu du bain de technologie dans lequel vivent les populations des pays développés, technologies résultant grandement de la conquête spatiale (télécommunications, téléphones portables, Internet, GPS, modélisations climatiques, Google Earth, etc.). Comment expliquer le décalage entre une société de plus en plus technicienne, vivant comme un village en communication permanente et l'inculture scientifique dont témoignent les partisans de « l'option complot » ? Comment analyser la cassure intellectuelle entre la sophistication croissante des théories scientifiques et leurs applications concrètes d'un coté et de l'autre, les archaïsmes mentaux qui supputent dans chaque réalisation l'œuvre d'une manipulation fomentée par un esprit malin, un docteur Mabuse à l'échelle de la planète ?

Premier élément d'explication, les propagateurs de ces idées « critiques » baignent dans le monde de la virtualité, du trucage des images où la frontière entre le réel et le virtuel est toujours plus ténue. Tout peut se transformer, se maquiller, faire l'objet d'une mise en scène sans cesse plus incroyable. Deuxième élément, le refus de toute confrontation à la preuve. La critique ne rebute pas les scientifiques, elle fait partie intégrante de leur démarche : hypothèse, critiques, preuves, débouchant sur la validation ou l'invalidation de l'hypothèse initiale selon le principe fondamental depuis l'antiquité grecque du « tiers exclu ». Rien de tel dans la démarche des adeptes de la « théorie du complot », ils postulent d'abord le complot et rien ne pourra les en faire démordre. Ils se placent ainsi dans un champ intellectuel a-scientifique. Il est en conséquence inutile de leur signifier que des pierres lunaires furent rapportées par les astronautes, que la trajectoire de leurs vaisseaux spatiaux put être suivie par les observatoires du monde entier, que le laser qu'ils déposèrent à la surface de la Lune permit un calcul précis de la distance avec la Terre, que leur amerrissage fut suivi par de nombreux journalistes, que les Soviétiques reconnurent eux-mêmes leur défaite dans la course à la Lune, etc. Tout cela ne pèse rien face à la rhétorique de la défiance. Même lorsque de futurs hommes ou femmes retourneront sur la Lune et pourront toucher du doigt les traces de ceux qui les ont précédés, il sera toujours loisible aux propagateurs de la « théorie du complot » de signifier qu'il s'agit d'une nouvelle manipulation. Nous touchons là au troisième élément explicatif, la logique inflationniste dans laquelle ils baignent. Maintenir leur construction intellectuelle suppose un échafaudage toujours plus complexe, une pyramide de Ponzi qui se nourrit d'elle-même et nécessite sans cesse de nouvelles pseudo-explications toujours plus invraisemblables. Comble de l'absurdité, au final le coût financier de la manipulation deviendrait supérieur au coût même, considérable, des opérations lunaires.

Tout ceci prêterait à sourire si en arrière-plan n'apparaissaient les stigmates d'une société inquiétante. Société où se côtoient les prouesses scientifiques les plus remarquables qui irriguent aujourd'hui la vie quotidienne de centaines de millions d'individus (si loin du monde terrestre que quittèrent momentanément les astronautes des expéditions Apollo) et le développement des superstitions les plus naïves, ainsi de la ferveur que suscitent les horoscopes « scientifiques », les cartomanciens « professionnels », les numérologues « certifiés », les jeux de hasard « où chacun à sa chance »... Le succès des productions livresques des tenants de la « théorie des complots » est révélatrice d'une résurgence des obscurantismes, d'un rejet d'une approche rationnelle des enjeux de société, d'une fascination pour les discours invérifiables. C'est sur ce terreau que se sont construites certaines des pires tyrannies du XXe siècle. L'histoire prouve que l'extrême organisation industrielle et scientifique peut rimer avec de redoutables régressions intellectuelles. Le phénomène même s'il demeure

En attendant et n'en déplaise à ces esprits prétendument critiques, permettez-moi de saluer l'exploit considérable que constitua l'arrivée des représentants de l'espèce humaine sur la Lune, à la croisée des prouesses scientifiques, technologiques et... de la poésie la plus fascinante.

Didier Desponds

Maître de conférences en Géographie

Université de Cergy-Pontoise


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