Une fois appuyé sur le bouton, il est trop tard, la machine infernale est lancée. Jacques Chirac s’en aperçut à ses dépens à la suite de la dissolution du 21 avril 1997, tout comme David Cameron après l’annonce d’organiser un référendum sur le Brexit, le 23 janvier 2013, référendum qui aura lieu trois ans plus tard, le 23 juin 2016. Encore, dans ce dernier cas, le temps avait été donné pour pouvoir convaincre. Tout ceci aurait pu inciter Emmanuel Macron à la plus grande prudence. Il n’en fut rien. Il aurait été compréhensible qu’une dissolution intervienne après une motion de censure, par exemple sur les questions budgétaires, comme cela risquait d’advenir à l’automne 2024, mais pas à la suite d’élections européennes. Il s’agit de la décision d’un homme seul, effectuant un pari dont les conséquences potentielles sont incommensurablement plus élevées que celles de la dissolution de 1997 (risque d’une cohabitation gauche/droite) ou du Brexit de 2016 (risque de sortie de l’Union européenne d’un pays toujours en position marginale par rapport à celle-ci et ne faisant pas partie de l’euro). Par-delà l’échec politique probable de ce pari politique, d’autres dissolutions pourraient s’enclencher.
La dissolution de son propre camp présidentiel. Positionner au centre, il ne sera plus qu’une force d’appoint, pris en tenaille entre les députés du Rassemblement national et ceux du Front populaire, aucun de ces trois groupes ne paraissant en capacité d’obtenir une majorité absolue. La dissolution a de fortes probabilités de déboucher sur une majorité relative pour le Rassemblement national, à la place de celle dont disposait le camp présidentiel avec Ensemble. Actant cet état de fait et voulant se positionner comme recours pour l’avenir, certains leaders politiques d’Ensemble, tel Edouard Philippe le 21 juin ont déjà pris leurs distances avec le chef de l’Etat considérant que c’est « Le président de la République qui a tué la majorité ». Un seul constat : bien joué…
La dissolution des Jeux olympiques qui ne pourraient ne pas se tenir dans le climat délétère qui suivra la mise en place de la nouvelle Assemblée nationale et les tensions qui pourraient en résulter dans la rue. La crainte des touristes de venir dans un Paris soumis à de forts troubles aurait de toute façon réduit à néant l’impact économique qui était attendu de l’événement. Comment réagiront les syndicats en cas d’arrivée à Matignon de Jordan Bardella ? Tout peut être envisagé, jusqu’à la grève générale. Ces risques ont-ils été pris en compte ? Probablement pas. Un seul constat : bien joué…
La dissolution de la Vème République qui ne pourra fonctionner longtemps dans une nouvelle situation d’instabilité institutionnelle. Rappelons que les architectes du passage au quinquennat lors du référendum du 7 juin 2000 avaient justifié ce choix par la nécessité de ne pas reproduire des cohabitations entre droite et gauche, que dire d’une cohabitation entre extrême droite et centre… Elle ne pourra rien décider, rien faire, d’autant que la majorité à l’Assemblée nationale ne sera que relative et au profit du parti avec lequel les deux autres groupes ne pourront travailler. S’il avait voulu faire la preuve des limites de l’actuelle constitution et des risques inhérents à la concentration de trop nombreux pouvoirs dans les mains du président de la République, Emmanuel Macron ne pouvait mieux s’y prendre. Par ailleurs, en confondant en permanence son rôle de chef de l’Etat et celui de chef du gouvernement, il contribue à fragiliser Gabriel Attal dans sa campagne pour obtenir une majorité. Il est difficile d’imaginer que celui ayant déclenché une dissolution qui ne s’imposait pas, puisse ensuite reprendre de la hauteur en se positionnant comme garant des institutions. La Vème République s’en retrouvera nécessairement fragilisée, voire discréditée. Un seul constat : bien joué…
La dissolution de l’alliance mise en place au profit de l’Ukraine. Le Rassemblement national a toujours été un allié objectif de la Russie de Vladimir Poutine. Ceci a été observé par toutes ses prises de position (ou plutôt l’absence de celles-ci) à l’Assemblée de Strasbourg. Poussant le cynisme jusqu’au bout, Jordan Bardella ne participa pas au débat sur les questions internationales, le 14 mars 2024, se faisant remplacer par Thierry Mariani, poutiniste notoire. De fait, dans cette défiance vis-à-vis de l’Ukraine, le Rassemblement national pourra compter sur ses fidèles alliés en Hongrie, en Slovaquie, voire peut-être aux Pays-Bas. Si le Président de la République reste le chef des armées, sur le plan diplomatique, il ne pourra décider seul. Avec qui devra-t-il discuter, avec un Thierry Mariani ? Un immense vainqueur sur ce point, Vladimir Poutine. Un seul constat : bien joué…
La dissolution de l’Union européenne, tout du moins sa fragilisation dans un premier temps, résultera mécaniquement du renforcement du rôle politique du Rassemblement national. Son principal pilier, la France ne pouvant plus tenir, en particulier sur les plans économiques et budgétaires, il s’en suivra des tensions fortes avec l’exécutif européen, la France ne pouvant respecter ses engagements en particulier dans le domaine financier. Ceci sapera le reste de la confiance existant entre l’Allemagne et la France, les tensions se trouvant exacerbées par l’instrumentalisation que ne manqueront pas de faire les populistes. Un seul constat : bien joué…
La dissolution de l’influence de la France. Elle se trouvera totalement discréditée sur le plan international en résultante des points précédemment mentionnés. Les soubresauts économiques dans l’Union européenne, risquent de la rendre infréquentable pour ses partenaires. Alors que la France bénéficiait d’une situation économique meilleure que l’Allemagne, mais d’une situation financière moins bonne, perdre cet atout est la preuve d’une infinie légèreté dans les calculs opérés. Nous ne dirons rien de l’image internationale qui va en résulter dans le monde pour un pays qui a longtemps été perçu (à tort ou à raison) comme un phare pour les droits de l’Homme. Un seul constat : bien joué…
La dissolution de la démocratie. Celle-ci ne repose pas que sur des élections, mais également sur la richesse de son tissu associatif, sur sa presse indépendante et d’investigation, sur son potentiel d’innovation culturelle et sur l’existence d’une constitution, garante du fonctionnement démocratique. A n’en pas douter, chacun de ces quatre piliers va faire l’objet d’un pilonnage systématique de la part des médias populistes, au premier rang desquels CNews. Le tissu associatif rencontrera des difficultés à maintenir ses financements, les médias indépendants seront systématiquement critiqués comme « porte-parole de la pensée unique », l’innovation culturelle sera fragilisée, en particulier sur le plan des financements ou des facilités de programmation et le conseil constitutionnel sera taxé de « gouvernement des juges ». Cette dérive vers ce qu’Emmanuel Macron qualifie de régime illibérale est pour le moins déroutante, sachant qu’il est le premier à les fustiger au niveau européen. Un seul constat : bien joué…
Bien évidemment ces différentes dissolutions en chaine ne sont pas certaines, mais le simple fait qu’elles puissent s’imaginer est simplement vertigineux.