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Billet de blog 26 juin 2024

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La polémique sur la binationalité, révélatrice du projet du Rassemblement national.

L’annonce par Jordan Bardella de la proposition de réserver quelques postes dits « sensibles » à des non binationaux, peut sembler anecdotique. Elle est pourtant révélatrice, tout à la fois des objectifs anciens de ce parti et de la méthode qu’il envisage de mettre en œuvre. Elle doit être repoussée avec la plus extrême vigueur.

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L’extrême-droite aura beau avoir fait tous les efforts pour ripoliner sa façade, se rendre acceptable des polémistes de Cnews (ce qui était acquis d’avance), ceux-là même qui affirment que l’extrême-droite n’est plus extrême, qu’elle est devenue responsable, le vieux fonds de commerce réapparaît bien vite. L’étranger est un danger, le binational un traître potentiel.

Lorsque Jordan Bardella affirme qu’une fois aux responsabilités son parti « empêchera les binationaux d’occuper les postes les plus stratégiques de l’Etat », lors de la présentation de son programme, le 24 juin, il dévoile son projet, mais aussi sa méthode.

La suspicion sur les binationaux est une obsession du clan Le Pen, le père qui pointait les franco-israéliens, la fille qui s’intéresse plutôt particulièrement aux franco-maghrébins, ou aux franco-africains. Tous ceux qui, du fait de leur binationalité, seraient des demi-français, des personnages louches.

Afin de rendre acceptable, cette mesure discriminatoire, le « gentil Bardella » applique une méthode douce. Il ne s’agit pas d’interdire à tous les binationaux d’exercer dans la fonction publique, mais uniquement à ceux qui exercent dans des emplois « sensibles », ceci ne concernerait donc que « très, très, peu de monde » (dixit, Jordan Bardella devant France Info, le 25 juin). Qui croît à une telle fable ? Qui est rassuré par de tel propos ? La menace est là, sourde, elle vise quelques-uns au début, avant d’en cibler quelques autres plus tard, puis les premiers pas ayant été faits, de les considérer tous dans leur ensemble. Il y a les vrais Français et les autres.

Ceci conduira nécessairement à la chasse aux « traites binationaux », cette cinquième colonne qui nuit aux intérêts supérieurs du pays et que le personnage de Lob et Gotlib, Superdupont parvenait toujours à démasquer. Jordan Bardella n’est que l’incarnation humaine de ce personnage de bande dessinée. Il croit (?) préserver la France éternelle, il ne fait qu’attenter aux valeurs de la République. Sont français, ceux qui adhèrent aux idéaux de cette nation, qui espèrent que la devise de la République n’est pas creuse et qu’elle s’applique à toutes et tous de façon identique. Peu importe les lieux de naissance initiaux, l’essentiel est l’attachement à une forme d’idéal de société. En cela, Mélinée et Missak Manouchian étaient beaucoup plus français que Paul Touvier (le chef de la Milice de Lyon, ndlr) ou que Jacques Doriot (créateur de la Légion des volontaires français, ndlr). Les racines du Rassemblement national se trouvent dans le Front national qui lui-même provenait du pétainisme et de la collaboration. Tout cela peut paraître lointain, les mêmes veines irriguent néanmoins le projet actuel du Rassemblement national. Aucune rupture idéologique de fond n’a jamais été engagée, seuls les éléments les plus choquants ont été déplacés vers l’arrière-boutique.

La méthode Jordan Bardella, quant à elle, est pernicieuse. Elle prétend s’inscrire dans une logique de défense des intérêts stratégiques vitaux. Elle peut paraître emplie de bon sens et à ce titre, sembler acceptable. Ne pas permettre à un franco-russe d’exercer à un poste stratégique dans les armées… Elle n’en révèle pas moins l’objectif : fragiliser le Conseil constitutionnel en enclenchant avec lui une controverse, avec en arrière-plan d’autres champs de la Constitution qu’il s’agirait par la suite de fragiliser.

Avant que le feu ne prenne, il faut donc rejeter de la façon la plus catégorique cette proposition de campagne. Elle ouvre la porte aux pratiques les plus discriminatoires et s’inscrit en totale contradiction avec les valeurs sur lesquelles reposent la République française. Si la Constitution s’effrite sur ce point, si elle rend possible l’ouverture d’une brèche, la même méthode s’appliquera à des pans entiers des acquis que l’on estime définitifs, de la liberté pour les femmes de disposer de leur corps (inscription dans la Constitution, le 14 janvier 2024) ou de la peine de mort (inscription dans la Constitution, le 23 février 2007).

Si la Constitution fournit des outils de défense, ne doutons pas une seconde que ces derniers vont être pilonnés sans cesse. Les arguments sont déjà dans la bouche des polémistes de Cnews, pestant contre le « gouvernement des juges » qui empêche le peuple de s’exprimer.

En tant que Français (non binational) on ne peut donc que se sentir solidaire des Français (binationaux) qui ressentent cette proposition, à la fois comme une humiliation et comme une menace. Ce que de fait elle est.

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