Chercheur postdoctoral à l’université Harvard. Docteur en science politique
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Une Assemblée citoyenne constituante pour transformer la démocratie
Comment sortir de la crise politique ? Réformer la Constitution apparaît nécessaire pour résoudre les problèmes structurels et faire advenir une démocratie plus forte. A cette fin, une assemblée citoyenne constituante tirée au sort, articulée à un référendum national, apparaît comme une voie prometteuse. Elle dispose d’expérimentations précédentes robustes et bénéficie de soutiens grandissants.
La Vème République a montré ses limites depuis longtemps. En cet été 2024, elle s’est éteinte. Plus que jamais dans notre histoire récente, il est temps de restructurer les institutions en profondeur. La division en trois blocs et le blocage des partis nous imposent d’explorer une autre voie. Il est temps de mettre en place une assemblée citoyenne constituante pour renouveler la démocratie, et la rendre plus forte. Pour comprendre cette proposition, il faut analyser ses raisons, ses modalités, et ses soutiens.
Problèmes de Constitution
Les problèmes du système politique français sont nombreux : hyper-présidentialisme, réformes impopulaires, 49.3 à répétitions, non-respect des promesses électorales, etc. Mais plus largement, les autres systèmes de nos voisins, bien que fort différents et souvent parlementaires, sont également frappés de violents maux, malgré des scrutins à la proportionnelle : défiance élevée, abstention massive, partis sans militants, voire montée de l’autoritarisme.
Des questions de nature constitutionnelle se posent alors. Faut-il passer d’un régime présidentiel à une république parlementaire ? Faut-il rénover la sélection du Sénat ? Faut-il instaurer le référendum d’initiative citoyenne (RIC), à l’instar de la Suisse ? Faut-il changer le mode de vote en faveur d’un scrutin proportionnel à un tour, et sous quelles modalités ? Ou, de façon bien plus ambitieuse, adopter le “jugement majoritaire” dit aussi “vote de valeur” ? Ce modèle de vote permet à chaque électeur non seulement de se prononcer sur toutes les options et non une seule, mais aussi d’exprimer l’intensité de ses préférences à chaque fois. Les français pourraient donc “noter” toutes les propositions ou candidats sur une échelle allant de –2 “à rejeter” à +2 “très bien” (voire +3 “excellent”), et donc garantir une véritable représentation politique fidèle. Beaucoup d’autres interrogations constitutionnelles, dont il est impossible de dresser la liste ici, sont débattues depuis des années.
Assemblée citoyenne tirée au sort et référendum
Pour y répondre, il faut faire preuve d’humilité, aucun acteur ne dispose seul de la légitimité nécessaire ; ni les partis, ni les experts. Il est donc temps de redonner le pouvoir au peuple, sens littéral du mot “démocratie”. Étant donné que délibérer à 60 millions est difficile, il convient de recourir dans un premier à une assemblée citoyenne constituante. Composée de citoyens ordinaires sélectionnés par un tirage au sort stratifié, elle sera réellement représentative de la société française en rassemblant ses différentes composantes de façon proportionnelle ; notamment en termes d’âge, de sexe, de classe sociale, de lieu de résidence, de niveau de diplôme, etc. Ce panel diversifié fonctionnera de manière délibérative et collégiale avec le soutien de facilitateurs professionnels. Elle étudiera les enjeux de réforme constitutionnelle et auditionnera des experts, des responsables politiques et associatifs. Le peuple français pourra observer ses débats en direct, discuter en réunions locales, faire des propositions via une plateforme participative en ligne, et surtout il votera directement par référendum pour approuver ou rejeter la nouvelle Constitution. En démocratie, la souveraineté appartient au peuple, et à personne d’autre.
Cette aventure politique ambitieuse ne sortirait pas de nulle part, mais s’appuie sur des décennies d’innovations démocratiques partout dans le monde. Issus de la théorie de la démocratie délibérative, les “mini-publics” tirés au sort sont apparus dès les années 70 et comptent des cas majeurs. Au Canada, en 2004 et 2006 des assemblées citoyennes ont proposé des réformes électorales dans deux provinces. En Islande, un processus délibératif constituant a contribué à la rédaction d’une Constitution plus ambitieuse et juste, bien que bloquée ensuite par la classe politique. En Irlande, en 2012 et 2017, deux assemblées tirées au sort ont délibéré sur des enjeux tels que le mariage homosexuel ou le droit à l’avortement, avant de voir leurs recommandations constitutionnelles validées par référendum. En France, depuis 2019, nous avons désormais pratiqué la délibération au niveau national avec les Conventions citoyennes pour le climat et sur la fin de vie, regroupant respectivement 150 et 184 participants tirés au sort au Conseil Economique Social et Environnemental (CESE). Ces innovations démocratiques et bien d’autres ont été étudiées par des chercheurs en science politique, qui reconnaissent leur capacité à proposer des solutions informées et nuancées.
Des soutiens nombreux
Écrite au lendemain du second tour, puis retardée dans sa publication, cette tribune rejoint les nombreuses voix qui appellent depuis des années, y compris lors du mouvement des Gilets Jaunes, à la tenue d’assemblées citoyennes sur des enjeux cruciaux, y compris constitutionnels. Personnellement, j’ai commencé mes réflexions sur le tirage au sort en politique au début de mes études de science politique, en 2009. A l’époque, l’idée semblait risible à la plupart de mes professeurs et camarades de promo. Deux masters, puis un double doctorat, tous consacré à cette question, et 15 ans plus tard, force est de constater que la situation à radicalement changée. Les mini-publics tirés au sort sont non seulement réclamés par de multiples acteurs mais aussi mis en place un peu partout dans le monde, bien que leur institutionnalisation reste inachevée. En France, la proposition d’une assemblée citoyenne constituante est en forte progression.
En termes de soutien institutionnel, constate que le CESE semble ouvert à cette idée et pourrait donc fournir un appui organisationnel. En plus d’avoir accueilli et co-organiser les deux Convention citoyennes, il intègre occasionnellement entre 15 et 30 citoyens tirés au sort dans certaines de ses commissions. Par ailleurs, le Président Macron avait annoncé en avril dernier son intention de lancer une troisième convention citoyenne d’ici à la fin de l’année. Du côté des partis, des propositions de 6ème République et de d’assemblée constituante tirée au sort circulent depuis des années.
En termes de soutien dans l’opinion publique, une pétition lancée le 9 juillet 2024 demandant une assemblée constituante tirée au sort, par un collectif du même nom, a déjà récoltée près 58.000 signatures. Cette nouvelle tentative est plus fructueuse que la précédente pétition déposée sur le site du CESE en mai 2023, et qui n’avait récolté que 679 soutiens, loin des 150 000 requises, malgré la promesse d’une prise en compte par la 3ème chambre de la République. De plus, un sondage OpinionWay pour AgoraLab montrait en janvier 2023 que 82% des sondés, jugent important “d’associer les citoyens aux initiatives visant à transformer le fonctionnement de nos institutions politiques”. Cette tendance est vraie à travers toutes les composantes de la population, peu importe leurs sympathies partisanes ou leurs tendances abstentionnistes, De même, la grande majorité des interrogés sont en faveur des innovations démocratiques que sont le RIC constituant et la Conventions citoyenne. Plus récemment, en juillet 2024, un sondage IFOP publié dans Politis révèle que 63 % des Français sont favorables à une nouvelle Constitution. Diverses propositions pour une VIème République ont été débattues depuis des décennies, y compris pour une république écologique ou un Sénat tiré au sort ; les options ne manquent donc pas.
Le futur de la démocratie
Certes, la nouvelle étape envisagée ici gagnerait encore davantage en ampleur, en importance, mais aussi en complexité. Certes, l’organisation d’un tel processus suscite des questions, notamment sur sa durée, la sélection des organisateurs et des personnes auditionnées, la taille de l’assemblée, les critères de représentativité, les méthodes pour permettre une délibération impartiale, ou encore l’articulation avec la participation du peuple et la campagne référendaire pour un niveau d’information optimal. Mais à situation exceptionnelle, remède exceptionnel. La France et son peuple ont permis l’avènement mondial du modèle républicain moderne avec la Révolution. Il est temps d’éclairer de nouveau la voie pour le futur de la démocratie.
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