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Billet de blog 7 août 2017

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Ce qui s'effondre en 1917

Depuis la restauration conservatrice des années 1980, la révolution n'a rien d'enviable dans l'imaginaire libéral contemporain. Comment alors comprendre ce qui prend fin en 1917 avec la révolution russe? Une première approche pourrait être visuelle: la statue équestre d'Alexandre III réalisée par le prince Troubetskoï et inaugurée en 1909 à Saint-Pétersbourg, place Znamenskaïa.

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Illustration 1
Statue équestre d'Alexandre III réalisée par Pavel Troubetskoï et inaugurée en 1909, place Znamenskaïa, Saint-Pétersbourg.

Inaugurée en grande pompe le 23 mai 1909, la statue est sensée incarner la modernité dans laquelle s'engage le régime impérial russe. Lorsque le ministère des Finances met au concours un monument à Alexandre III en 1899, il s'agit d'honorer la mémoire du tsar créateur du Trans-sibérien (1891-1902) en faisant coïncider l'inauguration de la statue avec l'inauguration de la nouvelle ligne de chemin de fer, devant la gare Nicolas (devenue gare de Moscou après 1917).

Installé sur un piédestal de trois mètres de haut, le monument porte l'inscription suivante: "A l'empereur Alexandre III, souverain fondateur de la grande voie sibérienne." (cf. Laure Troubetzkoy, "Un autre cavalier de bronze: la statue d'Alexandre III, par Paolo Troubetzkoy", La Revue russe, no. 22, 2003, p. 45-56).

L'immense statue de bronze a suscité des critiques dès son inauguration. La raideur du cheval et ses pattes épaisses fixées sur le sol, "comme des poteaux dans le sol" (Orlando Figes, La Révolution russe I, Gallimard, 2007, p. 66.) symbolisaient aux yeux de plusieurs l'immobilité du régime tsariste et son incapacité à s'adapter aux changements du monde moderne alors que la statue devait représenter le contraire.  De même, Alexandre III semblait par sa figure massive impossible à déplacer. Le tsar revêtait un uniforme de cavalerie, le regard droit et un poing sur la hanche, rappelant ainsi les légendes épiques de la tradition qui par un effort de stylisation identifiaient Alexandre III à un preux cavalier.

Les bolcheviks ne s'y trompèrent pas lorsqu'ils décidèrent de laisser la statue en place après la révolution d'Octobre. C'était un rappel de l'ancien régime: la représentation de l'autocratie impériale, de son despotisme, de l'oppression. Il est vrai que la foule pétersbourgeoise n'avait pas tardé à tourner en dérision le monument en le baptisant "Hippopotame" et en y récitant ce couplet: "Ici trône une commode/Sur la commode, un hippopotame/Et sur l'hippopotame un idiot" (Cité par Orlando Figes, La Révolution russe I, Gallimard, 2007, p. 66). Le poète révolutionnaire Vladimir Maïakovski quant à lui avait une position plus iconoclaste: il appelait à dynamiter "le tsar Alexandre sur la place des Insurrections" dans son poème Ne nous réjouissons pas trop tôt (1918). Mais c'est l'option du détournement politique de la statue qui a prévalu jusqu'en 1937: un autre poète révolutionnaire, Demian Bedny, avait écrit ce quatrain qui allait remplacer l'inscription impériale d'origine, intitulé "L'épouvantail": "Et mon fils et mon père furent châtiés tout vifs/Mais le sort qui m’échoit est l'opprobre posthume/Je sers d'épouvantail de fonte à mon pays/Qui pour toujours a renversé l'autocratie." (Cité par Laure Troubetzkoy, La Revue russe, no. 22, 2003, p. 54).

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