L’atome et l’archipel : l’Indonésie face à son pari nucléaire
Dans un archipel aussi vaste et vulnérable que l’Indonésie, l’idée d’un avenir nucléaire a des allures de pari audacieux. Le gouvernement projette de bâtir sa première centrale nucléaire d’ici 2032 — une échéance symbolique, mais aussi technique et politique.
Le récit de cette ambition s’écrit entre la promesse de modernité formulée dès 1965 à l’époque de Sukarno, et les échos persistants des grandes catastrophes nucléaires que le monde n’a pas oubliées.
Un rêve de souveraineté énergétique
Pendant des décennies, dans l’ombre des priorités économiques et des urgences sociales, des agences comme BATAN ont discrètement exploré la possibilité de doter le pays de l’atome civil.
Aujourd’hui, les enjeux climatiques et la crise du charbon semblent avoir ravivé cette vieille flamme. Le nucléaire, dans son éclat technologique, se présente comme la voie de sortie : électricité abondante, zéro émission carbone, prestige international. Sur le papier, tout semble rationnel.
Une énergie propre, vraiment ?
Mais une question hante les esprits lucides : peut-on encore qualifier le nucléaire de “propre” ? Propre par rapport au charbon, sans doute. Mais qu’en est-il des déchets radioactifs enfouis pour des milliers d’années, de la vulnérabilité des installations aux secousses sismiques, ou encore du coût colossal de construction, de maintenance, et de démantèlement ? Le mot “propre” devient ambigu dès qu’on gratte le vernis de surface.
Le gouvernement mise sur les réacteurs modulaires de petite taille — technologie encore jeune, promesse de sécurité accrue, flexibilité territoriale, et moindre impact initial. Mais derrière cette sophistication, l’enjeu est d’abord humain. La population est-elle prête à accueillir l’atome dans son voisinage ? Est-elle même au courant des débats, des risques, des alternatives ? L’énergie nucléaire ne se limite pas à la physique des particules, elle touche à la culture du risque, à la transparence démocratique, à la confiance envers les institutions.
Un choix de civilisation
Car en Indonésie, comme ailleurs, l’accident de trop ne viendrait pas forcément d’un défaut technique, mais d’un défaut de gouvernance. Dans un pays souvent traversé par des tensions entre centre et périphéries, entre développement et écologie, entre progrès et mémoire, l’atome pourrait bien catalyser les contradictions les plus profondes du XXIe siècle.
Et si demain, sur une île du sud-est asiatique, surgissait une tour de béton chargée d’uranium, entourée de rizières et de maisons sur pilotis, que dirait-on ? Qu’un pays en développement a conquis le droit à l’énergie moderne ? Ou qu’un peuple a accepté, ou subi, une technologie qu’il ne maîtrise pas encore totalement ?
Conclusion
L’Indonésie avance, portée par sa croissance et les injonctions du monde. Mais l’atome, lui, demande lenteur, prudence, humilité. Il exige une société informée, une ingénierie mature, et une confiance institutionnelle qui ne se décrète pas. Alors, avant d’enfouir les barres de combustible, peut-être faut-il d’abord éclairer les esprits.